Mexique : lettre publique de Mario López « Tripa », parti en cavale

Nous reprenons intégralement une note introductive et une traduction des Brèves du désordre.

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Mexique : lettre publique de Mario López « Tripa », parti en cavale

[Le 13 août 2012, nous avions fait un point complet avec de nombreuses traductions de l’espagnol (voir ici), sur la situation du compagnon anarchiste mexicain Mario Antonio López Hernandez (« Tripa »), blessé lors de l’explosion le 26 juin dernier d’un engin qu’il s’apprêtait à déposer contre un parti de gôche (c’était les élections au Mexique), puis incarcéré. C’est avec joie que nous apprenions qu’il était sorti de zonz fin décembre 2012. Sa première lettre dehors avait été traduite ici. A présent, il vient de partir en cavale suite à une énième arrestation lors de son contrôle judiciaire]

Lettre publique de Mario López « Tripa »

 » Vous, vous attendez la Révolution ! Magnifique ! La mienne a commencé il y a déjà longtemps ! Lorsque vous serez prêts – Bon Dieu, quelle attente interminable ! – il ne me déplaira pas de faire une partie du chemin avec vous !
Mais quand vous vous arrêterez, je continuerai ma marche démente et triomphante vers la grande et sublime conquête du Néant !
Chaque Société que vous construirez aura ses marges et aux marges de toute Société roderont les vagabonds héroïques et ébouriffés, avec des pensées vierges et sauvages qui ne savent vivre qu’en préparant toujours de nouvelles et formidables explosions rebelles !
Je serai parmi eux !
 »
Renzo Novatore, Mon individualisme iconoclaste

Compagnon-nes, il y a longtemps que je n’avais rien communiqué de public, à part quelques choses écrites personnellement à des compagnon-nes sur le cours du processus juridique à mon encontre pour attaques à l’ordre public. Cette fois-ci je n’écris pas pour vous raconter quoi que ce soit sur ce procès, ou sur des embrouilles juridiques qui, aujourd’hui m’importent peu et en réalité n’ont jamais été très importantes pour moi. Cette fois, j’écris pour me revendiquer -une fois encore- et prendre position sur ce qui est en train de se passer au Mexique, en ce qui concerne le coup répressif actuel que l’Etat mexicain est en train de préparer et commence à mettre en oeuvre. En cela, il est clair qu’il a bien appris de ses compères de merde italiens et chiliens, car il ne s’agit en fin de compte que d’une reproduction pittoresque des montages du style Marini ou “caso bombas”, mais made in mekxicou.
Une construction qui ne peut être prise que comme une réponse immédiate de l’ennemi face à la pression qu’exercent ces derniers temps des groupes et des individualités anarchistes (N1) et libertaires -de nuit comme de jour, de manière publique ou plus fermée-, face à la dangerosité de ces idées pour le bien social. Elle ne devrait pas non plus être prise dans le sens d’une médiation qui sert à faire de nous les victimes d’un système contre lequel nous avons décidé de lutter, par différents moyens et en nous organisant de différentes manières. Ce montage construit des leaders, une structure organisative hiérarchique et une organisation criminelle à des fins terroristes dans laquelle figure même une équipe juridique chargée, selon eux, de nous faire sortir quand ils nous mettent en prison. Cette structure s’apparente donc plus à n’importe quel groupe de narcotrafiquants ou de guérilla, ou encore à une organisation marxiste de n’importe quelle obédience (léniniste, maoïste, marquista, stalinienne, etc.), qu’à la conception que nous, de nombreux anarchistes, avons de l’organisation, qu’il s’agisse d’une tâche dite publique ou plus fermée, et ce d’autant plus lorsqu’on promeut l’organisation informelle. Une construction étatique selon laquelle les principaux promoteurs de l’action anarchiste seraient des compagnon-nes d’autres pays venu-es au Mexique pour des raisons X, et dont les bâtards de la PGR [Parquet Général de la République, chargé de diriger les enquêtes et instructions au niveau fédéral, NdT] prétendent qu’ils seraient la source de financement de la lutte ; une construction à travers laquelle ils ne cherchent pas seulement à frapper un secteur anarchiste en particulier, mais qui va toucher différentes parties de l’anarchisme local ; et une construction policière où les moyens de communication de l’Etat/Capital jouent un rôle important pour la bâtir.
Mais bon, ce que l’Etat/Capital peut faire ou penser ne relève pas de moi, essentiellement parce que je ne pense pas comme le pouvoir, et c’est justement parce que je ne suis pas une personne de pouvoir et d’autorité que mon esprit ne peut raisonner de manière autoritaire et que je préfère ne pas perdre de temps à me préoccuper de comment et de ce que pense l’ennemi, pas plus qu’à corriger l’image qu’il a de nous pour obtenir de moindres condamnations ou accusations ; tout ce que contient cette lettre est adressé aux compagnon-nes de lutte, aux compagnon-nes libertaires et aux anarchistes en affinité avec mes idées.

Bien, comme vous le savez, j’ai été à nouveau arrêté le 20 janvier, alors que je sortais du tribunal de paix situé avenue James Sullivan dans le District fédéral de Mexico, où je devais pointer tous les lundis sous contrôle judiciaire, comme une condition de ma précédente libération sous caution. A la sortie, un homme m’a sommé de m’arrêter, pas très sûr de lui, et m’a demandé si j’étais bien moi, puis m’a dit que je devais le suivre à cause d’un mandat d’amener lancé contre moi… je raconterai plus tard l’histoire en entier, plus tranquillement, car elle me semble intéressante principalement sur la manière d’agir de ces bâtards de la PGR.

Finalement, alors que je me trouvais déjà dans les bureaux de la PGR de Camarones, après quelques heures de harcèlement et de questions et re-questions de la part de fanfarons essayant de procéder à d’aimables interrogatoires, le chef du Ministère Fédéral, un certain commandant Silva, m’a notifié qu’ils avaient un mandat d’amener contre moi devant le Parquet fédéral, en tant que supposé témoin, et aussi un mandat d’arrêt pour « fabrication d’explosifs sans autorisation« , découlant de la violation de la loi sur les armes à feu et les explosifs réservés à l’armée… Ce mandat a été délivré par une juge fédérale du sixième tribunal de district depuis novembre 2013, et il ajouté que conformément à cela ils allaient me transférer à la prison-ouest. Quand mon avocate -personnelle- est arrivée, j’étais déjà passé devant la nonne -je devrais dire sorcière, si les sorcières n’avaient pas tout mon respect- du parquet qui m’avait notifié qu’elle m’avait fait venir comme suspect dans une enquête fédérale pour « terrorisme » et « association de malfaiteurs » pour l’affaire des compagnon-nes du Canada (Fallon & Amélie) et de Carlos Chivo ; elle nous a montré le dossier et la partie qui me met directement en cause, tentant de me mettre en lien avec le compagnon anarchiste d’affinité insurreccionaliste Carlos “el Chivo”.
C’est ainsi que nous avons pu nous rendre compte de comment ils sont en train de structurer leur montage. A la fin de la session, elle a gardé certains de mes objets personnels : un téléphone portable, deux clefs USB, un cable Mp3, le petit livre La tension anarchiste de A.M. Bonanno, le petit livre sur Le projet anarchiste à l’époque post-industrielle du compagnon Costantino C. (dommage, il était bien joli) et la brochure sur la prison et son monde de Massimo Passamani, (je les mentionne car les flics et le Procureur Général ont fait preuve d’une grande émotion face à ce que je portais mystérieusement dans mon sac-à-dos) et quelques papiers sans grande importance. Ils m’ont fait chier un peu plus et m’ont transféré un peu plus tard à la prison, où ils m’ont présenté devant la juge qui me réclamait.
Le lendemain, sont arrivées les avocates du GASPA qui ont argumenté que les accusations n’étaient pas valables, car elles reposent sur des preuves non recevables puisqu’elles proviennent de l’autre procédure à mon encontre pour attaques à l’ordre public pour laquelle je n’est pas encore été jugé. La juge avait deux options, soit me relâcher après 6 jours sur requête de l’avocate, soit me libérer sous une petite caution -petite, comparée à l’autre fois et à celles qu’ils ont imposées à d’autres compagnon-nes. L’avocate m’a demandé ce que je voulais faire et j’ai choisi de payer la caution, pas pour filer plus de fric à l’Etat (en effet, je partage la critique qu’on nous a faite quand ils m’ont arrêté pour l’histoire de l’ambassade chilienne), pas par peur non plus, mais parce que j’ai pris la décision, librement et sans conseil de personne que dès que je serais dehors, je partirais en cavale. Tout était on ne peut plus clair, le harcèlement et la répression contre moi de la part de l’Etat à travers la PGR.

Voilà donc, de mon propre chef je décide de revendiquer ma rupture juridique (ou antijuridisme anarchiste, comme on l’appelle communément) qui est mon refus de continuer -et ainsi de collaborer- à leur cirque judiciaire contre moi et mes compagnon-nes. En effet, en partant de mon individualité, c’est l’option que je trouve la plus cohérente avec mon discours, avec mes idées et avec ma manière de concevoir la vie, qui est l’anarchie. Rien de plus, sinon qu’on sait désormais que des mandats de recherche et d’arrêt contre moi ont été lancés pour m’être soustrait à la justice (ou être parti en cavale) dans cette procédure pour : attaques à l’ordre public relevant du droit commun, fabrication d’explosifs relevant du droit fédéral, sans compter l’enquête fédérale pour « terrorisme » et « association de malfaiteurs » [Ndt : « criminalité organisée »], avec au passage les outrages à l’autorité pour la perturbation de l’ambassade du Chili l’année dernière. Qu’est-ce que je suis dangereux, non !? Ha, Ha, dangereuses les idées et les pratiques !

C’est une autre phase de la lutte que j’ai décidé de mener, c’est une autre phase assez commune dans la vie de l’individu qui décide de prendre un chemin d’insurrection et de conflit permanent -intérieur et extérieur- contre le pouvoir, de qui ne se rend pas et reste en lutte contre tous les moyens de destruction de l’Etat/Capital, c’est une autre phase qui pour moi ne signifie pas la clandestinité (en effet, je suis très critique sur la position de clandestinité assumée ou volontaire comme forme de “lutte”), il s’agit plutôt d’une mesure imposée par l’ennemi qui délimite et définit de nouvelles conditions pour mener la lutte anarchiste.

Je profite de l’espace de cette lettre, tout en voulant être bref, pour rendre public le harcèlement que la police a utilisé contre moi (N2) – comme la fois où la SSP [Secretaría de Seguridad Pública, flics du ministère de sécurité publique] et la PDI [Police judiciaire] m’ont arrêté puis libéré dix minutes plus tard, dans un parc à Mexico lors d’une réunion publique sur la situation des compagnon-nes emprisonné-es, ou les visites de la PGR là où ils supposaient que je vivais et qui était en réalité la maison de ma compagne, ou les filatures constantes et volontairement indiscrètes, ou l’irruption chez ma compagne où ils ont défoncé la maudite porte, etc. – sans compter qu’ils ont aussi harcelé et suivi ma compagne et sa petite fille. S’il leur arrive quelque chose, l’Etat/Capital en sera le responsable… je dis cela, non pas pour réclamer une protection institutionnelle pour elles ou pour nous faire passer pour des victimes, mais bien plutôt pour exposer la situation qu’elles vivent elles aussi.
Je profite aussi de cette lettre pour saluer toutes celles et ceux qui, sans me regarder en face, ont passé leur temps et les limites en prétendant que moi et d’autres compagnon-nes avions collaboré avec la police pour pouvoir sortir de prison, -plus précisément lors de l’histoire de l’ambassade chilienne- voire même en prétendant rien moins que moi et d’autres compagnon-nes étions des flics… le temps et les fruits de la lutte donneront raison, à court, moyen et long terme à qui de droit… Pour ma -notre- part, nous restons debout, en lutte… Et vous ?

C’est tout pour le moment, je prends congé et vous envoie une forte accolade à toutes et tous ! Une accolade particulièrement à ma mère, à qui je n’ai même pas dit au revoir et qu’ils ont aussi fait chier, mais qui comme ma compagne tient bravement le coup.

 » D’un coté il y a l’existant, avec ses habitudes et ses certitudes. Et de certitudes, ce poison social, on en meurt. D’un autre coté, il y a l’insurrection, l’inconnu qui surgit dans la vie de tous. Le possible début d’une pratique exagérée de la liberté. »
A Couteaux tirés avec l’Existant

Soutien total aux compagnon-nes anarchistes incarcéré-es !

Un salut fraternel à Felicity R., Nikos Mazotis, Pola et le petit Lambros Victor, Solidarité avec les compagnon-nes anarchistes, antiautoritaires et libertaires en cavale ! Solidarité et soutien total aux compagnon-nes sous enquête au Mexique dans l’affaire de terrorisme et criminalité organisée ! Solidarité avec Amelie, Carlos et Fallon !

Ni vaincu-es ni repenti-es !
Face à face avec l’ennemi ! Ils ne pourront pas nous arrêter !
Je ne me rends pas, nous ne nous rendons pas !
Vivre l’anarchie !

En lutte contre l’Etat,
Mario Antonio López Hdz. Tripa.
Planète terre, le 3 Février 2014

N1 : Je ne fais ici référence qu’à la situation qui arrive, à aucun moment je ne souhaite utiliser cette rhétorique maoïste selon laquelle la validité de notre lutte ou de nos actions dépendrait de la réponse de l’ennemi, ce qui revient au même que de mesurer une dangerosité supposée que l’on aurait en fonction du degré de dangerosité que nous accorde l’ennemi, qu’est l’Etat, limitant ainsi l’agir et la théorie anarchiste à l’existence de l’ennemi. La lutte contre l’Etat/Capital est une partie (importante) de ce que nous concevons comme l’anarchie. Je ne sais pas comment beaucoup de compagnon-nes en arrivent ou en sont arrivés à utiliser cette phrase qui en plus apparaît dans le film commercial sur la RAF.

N2 : Je raconte cela pour élargir le panorama répressif, sans vouloir faire une comparaison qui minimise ce qu’ils ont fait à d’autres compagnon-nes, ni le harcèlement contre l’anarchisme en général dans la région centre du Mexique. Cela sera plus clair lorsqu’on verra la suite.

[Traduit de l’espagnol de abajolosmuros par Les Brèves du désordre]

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