Histoire d’une balade au CRA de Vincennes

A 16h c’était l’heure du rendez-vous à la station RER de Joinville-le-Pont pour un départ en manif sur le CRA de Vincennes. A ce moment-là on est bien 80 au jugé. Quelques flics qui se répartissent entre 2-3 bagnoles et bavassent paisiblement en nous regardant. Pas de CRS en vue …

On démarre direction la D4 banderole en tête, vers le Centre de rétention. Au niveau de la route de la Pyramide, qui remonte vers l’hippodrome et le CRA, on rencontre notre premier camion de CRS qui se déploient vite fait bien fait, pensant qu’à cinq on peut bloquer une chaussée rien que par la dissuasion. Manque de bol, même scénario qu’il y a deux ans, on aime pas qu’on nous dise où il faut aller, on prend la tangente, on poursuit sur l’Avenue des Canadiens au pas de course, à grands renforts de slogans et les flics sont débordés, écartés, dépassés ; un cycliste frénétique fait des allers-retours le long de la manif tandis que trois de ses copains affolés courent vers l’avant pour rejoindre la bretelle qui mène sur l’autoroute, la même où la manif de 2008 avait fini en joyeux bordel entre les voitures stoppées sur l’autoroute.

Seulement cette fois-ci on remonte l’avenue de Gravelle qui longe le CRA, et on se retrouve rapidement refoulés par quatre cars de robocops qui vomissent leurs occupants ; Des grenades assourdissantes sont tirées pour nous signifier qu’on ira pas plus loin que le pont au-dessus de l’autoroute. Côté flics on a un cames-COP qui filme, le même qui a sûrement permis aux flics de profiler plus tard, devant le centre.

Quelques slogans pour se faire entendre des détenus (et se faire détester des flics à qui on le rend bien) plus tard, on repart dans l’autre sens, suivis par un cordon bleu nimbé d’un fumigène rose du plus bel effet sur fond de soleil déclinant.

Retour sur la Route de la Pyramide, direction l’Hippodrome et le CRA. A l’Hippodrome c’était jour de courses, les camions repartent avec leur chargements équestres et l’aristocratie hippique quitte les lieux en sens inverse de notre défilé qui a grossi les rangs avec ceux qui avaient raté le début et ont rallié le CRA. On doit pas être loin de la centaine.

Devant le CRA on aperçoit l’armada de gardes mobiles qui défend la forteresse derrière une double rangée de barrières. Les grilles de l’Hippodrome sont surveillées par les vigiles qui les ferment rapidement. Le chemin vers le CRA ressemblant à une fourmilière de flics, on se déplace vers le parking de l’Hippodrome en même temps que des gardes mobiles qui, ayant compris qu’on allait pas rester à crier sagement face à eux, commencent à courir entre les voitures pour verrouiller la Route de la Ferme en face de nous. Un face à face musclé s’engage, un garde mobile se prend un coup de savate sous la banderole, des coups de matraque fusent, des crachats, insultes et bousculades y répondre de notre côté, un caillou vole.

A 17h une poignée de gardes mobiles finissent de verrouiller la Route de la Ferme d’un côté tandis qu’un mouvement rapide s’engage pour s’extraire par l’autre côté où les bataillons du CRA se déploient à leur tour pour nous couper toute retraite. La manœuvre réussit pour une poignée qui s’échappe, les gazeuses rentrent en action, asphyxiant tout le monde : une centaine de manifestants reste coincée, encerclée par un nombre impressionnant de gardes mobiles (facilement 100 à 150). On continue les slogans un temps, on jauge la situation …

Finalement un groupe de civils entourant le chef des opérations commence à scruter les manifestants, très visiblement à la recherche d’individus ciblés d’après la vidéo tournée auparavant et des observations des flics durant la manif. Le manège dure un quart d’heure et c’est le même scénario qu’à Stalingrad lors du G8 : ils vont à la pêche en fonçant dans le tas avec quelques gardes mobiles, distribuant des petits coups de matraques et des coups de poings jusqu’à ce qu’ils aient attrapés ceux qu’ils ont ciblés. Le manège se répète un peu plus tard, un copain est attrapé par dessus le capot d’une voiture, tiré vers l’arrière et emporté. Il se débat, tentant de s’échapper vers le toit de la camionnette où ils essaient de l’embarquer. Le troisième coup, le copain est pas mal rudoyé à son tour. Apparemment ils ont ce qu’ils veulent : ils arrêtent leurs petites incursions.

Finalement un cordon bleu vient nous séparer en deux groupes, en coupant à la bousculade. Les slogans se poursuivent, on perd pas l’entrain même si l’ambiance est plus tendue. A 18h on nous embarque un par un dans les deux paniers à salade (la phrase du jour d’un des gardes mobiles : « voulez-vous bien me suivre ? »). Les bus démarrent vers 19h, au cours du trajet on refait la déco aux marqueurs.

Porte d’Aubervilliers, à 19h30, on commence à se demander où on va.

19h45 : on s’engage avec les bus dans une zone ferroviaire, au 2 rue de l’Évangile dans le 18ème arr., estampillée SNCF à l’entrée ; des véhicules de police garés le long d’entrepôts de fret, sur notre gauche et sur notre droite un bâtiment assez hallucinant, tout droit sorti de l’imaginaire carcéral : un long bâtiment de 100m de long surmonté, à 10m au-dessus, d’un large toit comme ceux qui abritent les quais de gare, le tout entouré d’une grille surmontée d’un barbelé en lames de rasoir. Dans la cour, une vingtaine de policiers arnachés de leurs tenues anti-émeutes attendent les bus et forment une haie d’honneur jusqu’à la porte du comico. Du second bus on voit les copains refuser tout d’abord de sortie puis sortie en chaîne au bout d’un certain temps (20h20 à peu près). Ils sont fouillés, interrogés chacun leur tour, un certain nombre de portables confisqués, puis les militants parqués plus loin derrière des barrières. On apprend également que ceux qui avaient été extraits de la manif devant le CRA sont en garde à vue. Mais l’ambiance est toujours bonne, on rit, on plaisante, on scande, on tape sur les parois et on discute.

Notre tour arrive au bout d’un temps considérablement long où la température du bus s’est nettement accrue et rend l’air étouffant. Il est près de 21h quand on nous gare dans la cour pour suivre le même scénario que l’autre bus. A la sortie on nous demande nos noms et prénoms et si on est majeurs, sans vérification des pièces d’identité. Nous veau profilage d’un flic genre pète-sec qui s’énerve facilement. Visiblement ils recherchent celui qui a mis un coup de tatane au flic asiatique [1] qui s’est aussi pris des crachats en pleine gueule. Un copain est emmené à part et prend un crachat dans la gueule (la loi du talion n’a pas été abrogée faut croire).

Finalement, vers 21h50 les flics ont l’air de se rendre compte que 5h ça commence à faire beaucoup pour un contrôle d’identité. Le reste du second groupe qui n’a pas encore été interrogé et fouillé rejoint les autres derrière les barrières. La cour résonne de nos « Libertés, Libertés, … ». On nous fait mine de sortir enfin vers 22h15, en traversant à nouveau un long double rang de policiers armurés. Au passage le flic asiatique [1] chope un copain et le tire en arrière pour lui mettre un bon coup de pied (toujours le talion). On rattrape vite le copain, on gueule, ça bouscule mais on sort en criant de plus belle, avec l’envie d’en découdre une nouvelle fois.

22h20 : on est tous dehors sauf nos trois amis en garde à vue et nos amis sans-papiers qui nous ont confirmé qu’ils nous entendaient de l’intérieur.

Une fin de journée qui nous fera pas passer l’envie de continuer à manifester et crier :

Pierre par pierre, mur par mur, nous détruirons toutes les prisons !!

Feu, feu aux Centres de Rétention !

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[Texte publié sur Indymedia Paris]

[1] sic

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