Lors de la deuxième journée de la dernière grève générale en Grèce, les staliniens du parti « communiste » grec KKE et de son syndicat affilié PAME montrèrent une fois de plus leur vrai visage : celui de chiens de garde du pouvoir. Ce n’est pas la première fois qu’ils trahissent une révolte populaire. L’exemple le plus récent ne remonte même pas plus loin que 2008 où ils condamnèrent la révolte suite à l’assassinat d’Alexandros Grigoropoulos par la police grecque. Cette stratégie politique oscillant entre collaboration avec le pouvoir et récupération de révoltes constitue en fait le fil rouge dans l’histoire de ce parti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, par ici aussi, les staliniens helvètes ont défendu la collaboration de leurs acolytes grecs et reproduit leurs mensonges.
Tout d’abord, il faut rappeler ce qui s’est passé lors de la grève générale de 48 heures du 27 au 28 octobre. Le premier jour, des centaines de milliers de personnes descendirent dans la rue dans toute la Grèce, rien qu’à Athènes, entre 200 000 et 500 000 personnes manifestèrent contre les mesures d’austérité. Les flics furent violemment attaqués sur la place Syntagma et faillirent perdre le contrôle de l’accès au parlement. Le jour d’après, le PAME décida d’encercler le parlement, officiellement pour « empêcher » les députés d’y accéder. Or, ceux-si se trouvaient déjà dedans. En réalité, le service d’ordre du syndicat stalinien empêcha tous les autres manifestants d’accéder à la place Syntagma. Ceci non pas pacifiquement, comme les articles de journaux bourgeois parlant de « manifestants pacifiques » rassemblés à la place Syntagma pourrait le faire croire, mais avec des bâtons, des pavés et des sprays au poivre, tout en étant équipés de casques. Selon un témoignage, la contre-attaque commença lorsqu’une fille du mouvement « Den plirono » (« Je ne paierai pas ») reçut des coups de bâton sur la tête par des voyous staliniens.
Par la suite, des pavés, des bouteilles et des cocktails molotov furent lancés en direction des rangs du syndicat collaborationniste. Celui-ci continua à défendre le parlement avec la police antiémeutes postée tranquillement derrière eux. Les porcs étaient visiblement contents d’avoir trouvé quelqu’un d’autre pour accomplir leur sale besogne. Seulement au moment où les flics déguisés en rouge furent forcés de quitter la place par les enragés, ceux déguisés en bleu prirent la relève. Et les flics rouges ont néanmoins bien fait leur boulot : ils ont grièvement blessés de nombreux manifestants et ils en ont rendus plusieurs aux flics bleus. Il faut souligner aussi que ce n’étaient pas que des anarchistes qui attaquaient le PAME, il y avait aussi des communistes, des syndicalistes de base, des trotskistes, des maoïstes et bien d’autres encore, le PAME n’étant généralement pas très aimé.
Fondé en 1918, selon leur site, « comme résultat du mûrissement de la classe ouvrière de notre pays et de ses liens avec la doctrine révolutionnaire du marxisme-léninisme », le KKE ne collabore pas la première fois avec le pouvoir. Et s’il le faut, il participe à des coalitions gouvernementales, comme en 1944 et 1988. Dans une période, où tout pue « l’unité nationale » et les « gouvernements de transition », le KKE peut bien évidemment espérer être inclus dans un éventuel « gouvernement d’unité nationale », rien de meilleur donc que de montrer aux puissants qu’ils sont prêts à défendre l’État bourgeois, condition indispensable pour participer à leur festin.
En 1973 déjà, lors de la révolte contre la junte à l’École polytechnique d’Athènes, le journal de la jeunesse « communiste » ne vit que des complots : « Nous condamnons l’invasion préméditée, ce mercredi 14 novembre, de 350 provocateurs organisés du service secret grec…mandatés par le dirigeant de la junte, Papadopoulos, et par la CIA américaine dans l’intention de tyranniser et de provoquer par des mots d’ordre anarchistes ridicules qui ne représentent ni l’esprit du temps, ni des forces particulières. » Par la suite, ils tentèrent tout pour mettre fin à la révolte en la sabotant, sans trop de succès pourtant. Fin novembre, la junte tomba et l’office de propagande s’attela à adapter la mythologie à la nouvelle donne. Aujourd’hui, on peut lire ceci sur le site du KKE : « Tout au long de cette période de résistance contre la dictature militaire (1967-1974), le KKE a joué un rôle décisif dans la mobilisation du peuple, des jeunes et des étudiants, dans les manifestations de novembre 1973 à l’Ecole polytechnique à Athènes, qui ont accéléré la chute de la junte des colonels. » Seul y est vrai qu’ils ont « joué un rôle décisif » : ils faillirent contribuer au sauvetage de la junte !
Le parti suivit la même ligne collaborationniste dans les occupations d’universités en 1978 et en 1990-1991. En 1998, pour le 25e anniversaire de la révolte, des jeunes s’opposèrent à la récupération de la révolte par le KKE en occupant l’École polytechnique d’Athènes. Lors de l’évacuation quelques jours après, le service d’ordre du KKE travailla main en main avec la police antiémeutes MAT, 153 étudiants furent arrêtés.
Quand Alexandros Grigoropoulos, âgé de 15 ans, fut assassiné par les porcs le 6 décembre 2008, des jeunes dans toutes les villes de Grèce exprimèrent leur rage dans la rue pendant des semaines. Peu après l’assassinat d’Alexis, le président du KKE Aleka Papariga dit dans une interview avec une agence de presse : « Les cocktails molotov et les pillages d’individus cagoulés, dont la direction est liée à des services secrets et des centres à l’étranger, n’ont absolument aucun rapport avec la colère énorme des élèves, des étudiants et des gens en général. » Même le gouvernement le loua pour son « attitude responsable ». Lors d’un congrès du parti en 2009, cette histoire de collaboration fut couronnée par l’accès au sommet de l’aliénation idéologique. Pendant ce congrès, le parti opta pour un retour au stalinisme avec tout ce que cela comporte. Dès lors, la défense de l’URSS après 1953 serait dénoncé comme une « position révisionniste » et les procès de Moscou de 1936 à 1938 officiellement légitimés.
Connaissant son parcours historique, on est donc un peu moins surpris de l’attitude de ce parti lors de la dernière grève générale. La même chose peut être dite de sa propagande mensongère qui s’inscrit tout à fait dans une continuité historique. Même lorsqu’il était déjà clair que le syndicaliste fut assassiné par les flics, ils continuèrent à raconter qu’il avait été « assassiné par des anarcho-fascistes », et, encore pire, même lorsque le président du parlement admit la vérité le 29 octobre, le KKE a continué à raconter le même mensonge jusqu’à aujourd’hui.
Les staliniens d’un peu partout assurèrent ensuite que ce mensonge fasse le tour du monde. En Allemagne par exemple, des groupes marxistes-léninistes comme le DKP (Parti « communiste » d’Allemagne), la Kommunistische Initiative ou le blog Kritische Initiative reprirent le communiqué du KKE tel quel. Sur le portail suisse kommunisten.ch, Indymedia Suisse allemande est accusé de « dénigrer la classe ouvrière grecque organisée ». Ce portail, relié à l’aile stalinienne du PdT (Parti du Travail – parti « communiste » suisse), propose sur son site tous les objets de piété d’une époque que l’on croyait révolue : textes de Staline, chansons ouvrières, des liens vers les sites officiels des « pays socialistes » (Biélorussie, Chine, Cuba, Corée du Nord, Vietnam) et bien plus encore.
Il faut toutefois dire que le stalinisme suisse est un phénomène essentiellement suisse allemand. Les sections romandes du PdT suivent plutôt une ligne eurocommuniste et préfèrent la bonne raclette à la bonne doctrine. Ils partagent néanmoins le goût pour la collaboration et la récupération, il suffit de se souvenir du 1er mai 2009 à Lausanne. Lors du cortège, les flics essayèrent deux fois d’intervenir contre le bloc d’Action autonome, il y eut également quelques arrestations. Tout cela se passa avec l’accord des dirigeants syndicaux de l’UNIA, ayant organisé le cortège, et sous les ordres du responsable du département de la police, l’élu d’A gauche toute (coalition regroupant le POP et Solidarités) et membre du POP (Parti ouvrier populaire, section du PdT dans le canton de Vaud), Marc Vuilleumier. Cette même bande appela par la suite à une manifestation le 9 juin suivant pour dénoncer cette même répression, appel évidemment pas suivi par ceux qui en étaient le cible. On reconnaît la même démarche : collaboration d’abord, mensonges et récupération ensuite.
Ce travail de flicage n’est pourtant pas uniquement la spécialité des diverses fractions de la social-démocratie. Des indignés qui collaborent en Espagne ou en Grèce aux « bons citoyens » s’opposant aux insurgés récemment à Rome, le flicage a un nombre infini de costumes. Pour nous, il est clair que tout le monde qui se comporte comme un flic sera traité comme un flic, qu’il soit déguisé en citoyen, indignation ou spectacle révolutionnaire. Ce n’est pas une question d’idéologie, mais une question de survie. Nous ne voyons aucune raison de moraliser sur ce qui se passa le 28 octobre, nous laissons cela aux diverses fractions bourgeoises. Le propos d’un communiste qui se battit du côté des insurgés ce jour-là résume l’essentiel : « Ils ont choisi leur camp. Qu’ils brûlent avec. »
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Trouvé sur le reveil.ch