[Note de cestdejatoutdesuite : ce texte est paru dans Lucioles n°6 février/mars 2012. Pour « l’affaire de Labège », les 4 personnes incarcérées depuis l’intervention policière du 15 novembre 2011 ont été « libérées » (une le 20 janvier, deux autres le 8 février, et la quatrième le 16 février 2012.) Elles sont toutes les quatre sous contrôle judiciaire.]
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Que la société doit aimer ses enfants pour les châtier avec autant d’application ! Depuis l’ordonnance de 1945 qui créait les tribunaux pour enfants et avec eux la notion modernisée de « délinquance juvénile », l’État n’a eu de cesse de créer des structures ayant pour but d’encadrer, d’éduquer et surtout de mater ceux que ses différentes institutions, en premier lieu l’école, n’avaient pas réussi à mettre sur le « droit chemin ». Certes on ne pouvait plus alors, dès le plus jeune âge, se retrouver au contact de prisonniers majeurs ou être envoyé au bagne mais il était toujours possible d’être placé dans des quartiers spécifiques des maisons centrales ou maisons d’arrêt ou encore dans des établissements combinant suivi psychiatrique, emplois du temps fixes et sanctions punitives pour les plus récalcitrants. Le pouvoir prétend alors vouloir venir en aide à ces « jeunes désemparés » dans le cadre de ce qui s’appelait l’Éducation Surveillée. Ainsi se succédèrent pendant plus de 40 ans une pelletée d’institutions, répondant toutes à une glorieuse mission éducative qui refuse de s’admettre comme une « punition » mais se voit au contraire comme une seconde chance donnée à ces « délinquants » incompris : les Institutions Spéciales d’Éducation Surveillée (ISES), les Centres d’Observation Publique de l’Éducation Surveillée (COPES), les Centres d’Observation des Mineurs (COM), les Centres Fermés d’Observation (CFO), les Unités Éducatives à Encadrement Renforcé (UEER), puis les Centres Éducatifs Renforcés (CER). Autant de structures répressives/éducatives qui tout en changeant de nom gardèrent la même fonction, et qui finirent par être placées au début des années 90 sous la tutelle de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) qui dépend du ministère de la Justice.
Au début des années 2000, le gouvernement promulgue la loi Perben dite « d’orientation et de programmation de la justice ». Celle-ci permet entre autre de retenir et de prendre des sanctions pénales à l’encontre de mineurs de 10 à 13 ans et de les placer à partir de 13 ans en détention provisoire. C’est dans le cadre de cette loi que sont créés les Centres Éducatifs Fermés (CEF) qui « accueillent », en d’autres mots enferment, des mineurs de plus de 13 ans qui font l’objet d’une mesure de placement doublée d’une décision de mise sous contrôle judiciaire ou d’un jugement prononçant une peine d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve. Quarante-quatre de ces centres voient ainsi le jour (pour un total de 500 places) où sont envoyés en priorité les « multirécidivistes », auteurs de vols, de trafics de drogue ou d’agressions sexuelles ainsi que ceux qui n’ont pas réussi à « s’adapter aux moyens éducatifs ». Bien qu’il soit assorti d’une peine d’emprisonnement, le placement dans ce genre de centres se présente comme une alternative à celle-ci. L’école obligatoire et l’encadrement permanent par des éducateurs dans un environnement clos se veulent encore une preuve de la bienveillance de l’État à l’égard de ses chères têtes (rarement) blondes.
Quant à ceux pour lesquels la vieille hypocrisie du modèle éducatif « classique » semble être une réponse trop douce, l’Etat leur mettra les points sur les i. Avec la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et la mise en place des Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) qui s’en est suivie, l’État ne laisse aucun doute concernant la manière dont il entend traiter ces « délinquants juvéniles ». Ainsi, il est maintenant possible de prononcer des peines de prison à l’encontre de mineurs de 13 à 16 ans qui peuvent valoir jusqu’à la moitié de la peine encourue par les majeurs et de ne pas appliquer« l’excuse de minorité » pour les mineurs de plus de 16 ans, notamment ceux accusés de violence avec récidive, donc de leur faire subir des peines similaires à celles des adultes.
Le pouvoir s’appuie également, comme il a l’habitude de le faire, sur quelques affaires très médiatisées. Le 21 novembre dernier, les charognards du gouvernement ont profité du « scandale » suscité par un énième fait divers sordide ayant eu lieu en 2010 pour faire en sorte que tout mineur soupçonné de « crimes graves » soit maintenant systématiquement placé en Centre Éducatif Fermé. Peu de temps après, ils ont en plus annoncé la mise en place de 20 nouveaux CEF d’ici 2015. Le PS, toujours prêt à surenchérir au banquet de l’horreur, préconise quant à lui d’en doubler carrément le nombre.
Pour en revenir aux EPM, il s’agit d’établissements gérés conjointement par la PJJ et l’Administration Pénitentiaire (AP), appelés à remplacer les Quartiers pour Mineurs (QM) des Maisons d’Arrêt. Il existe actuellement sept de ces établissements, comptant chacun soixante places, dans lesquels sont dispensés des cours à travers des ULE (Unités Locales d’Enseignement), permettant de passer des diplômes jusqu’au BAC. L’emploi du temps y est soigneusement segmenté entre cours, activités destinées à apaiser les tensions et à faire passer la pilule de l’enfermement, et bouclage en cellule. Il existe aussi plusieurs régimes permettant de dompter les prisonniers et de s’assurer du maintien de la discipline. Ils vont du « régime de contrôle », où le prisonnier est privé d’activités et doit rester en cellule, au « régime de responsabilité », qui permet en cas de « bonne » conduite de disposer d’ordinateurs, de consoles de jeu, ou d’une salle de projection. Les entrevues régulières avec des éducateurs et des psychologues et la surveillance permanente des gardiens et des caméras remplissent les fonctions de contrôle, censées prévenir tout type de rébellion. Si les détenus sont finalement jugés trop récalcitrants, ils sont envoyés au mitard.
Au final entre les mesures de placement « classique » : Foyers et Centres d’Action Éducative (FAE et CAE), Centres Éducatifs Renforcés et « l’accueil » en CEF qui se veut un intermédiaire entre celles-ci et l’incarcération en EPM ou en Maison d’Arrêt, c’est un ensemble gradué de sanctions qui a été mis en place, chacune de ces taules représentant un palier dans la sainte croisade contre la « délinquance ». Dernièrement la loi a instauré un nouveau dispositif, à savoir le placement de mineurs (pour une durée de six mois à un an) au sein d’un EPID (Etablissement Public d’Insertion de la Défense), où ils doivent effectuer un stage de réinsertion sous l’encadrement de l’armée, avec la discipline qui va avec. Pour exprimer en chiffres cette croisade : autour de 800 mineurs se trouvent actuellement enfermés en France dont plus de 300 en EPM, ce qui signifie que les autres sont incarcérés dans les Quartiers pour Mineurs des Maisons d’Arrêt ; cela sans compter les quelques 500 placés en CEF qui ne sont pas officiellement considérés comme prisonniers. Ils sont ainsi en permanence contraints de subir la pression de cet univers de sanctions, de conseils de discipline et de formatage éducatif. Le rendement d’une telle machine à broyer s’estime d’ailleurs assez rapidement, pour en donner une idée : sur les 160 incarcérés en EPM en 2008, on dénombrait déjà 72 tentatives de suicides.
Tout cela n’a heureusement pas empêché des tentatives d’évasion d’avoir lieu. Certaines réussissent, comme à Marseille en février 2008 où deux détenus passent par les toits de l’EPM. D’autres resteront de belles tentatives comme à Lavaur le 13 juin 2009, où un adolescent disparaît au retour d’une activité en extérieur, ou encore le 2 mai dernier à Marseille où quatre détenus ont réussi à faucher les clés d’une matonne après l’avoir assommée et ligotée. Tout cela n’a pas non plus empêché la rébellion de s’exprimer, aboutissant parfois à de véritables mutineries comme ce fut le cas le 18 juin 2007 à l’EPM de Meyzieu ou le 7 mai 2011 à celui de Lavaur. Au cour de cette grosse révolte, à laquelle presque tous les détenus participent, des dizaines de cellules sont saccagées, des membres du personnel sont agressés, et des tentatives d’incendie ont lieu à plusieurs reprises. Le pouvoir n’a d’ailleurs pas hésité, pour mater pareil désordre, à faire appel aux ERIS (Équipes Régionales d’Intervention et de Sécurité), corps spécialement formé à l’intervention en milieu carcéral, dont la brutalité n’est plus à démontrer.
Mais la contestation ne s’exprime pas forcément que dans une opposition entre les détenus et leurs geôliers. Des actes de solidarité contre l’enfermement des mineurs ont aussi eu lieu à l’extérieur, comme l’occupation en 2006 du futur chantier de l’EPM d’Orvault, accompagnée d’une semaine d’actions, tractage massif, banderoles, affichages, tags. Les locaux de la PJJ ont été plusieurs fois cadenassés et repeints. Aussi, l’occupation rapide du chantier de l’EPM de Lavaur la même année au cour de laquelle des dégâts matériels sont causés. En juillet 2007, deux engins incendiaires sont déposés sur le chantier de l’EPM de Chaucaunin dont l’un détruit partiellement la cabine d’une grue. On se souvient aussi de l’entartage en novembre 2008 de la sous directrice de l’EPM de Lavaur alors qu’elle participait à une table ronde à Toulouse dans le cadre de la Journée Nationale Prison. Ou alors de nombreux tags, notamment sur la mairie de Porcheville en 2007 après un rassemblement devant l’EPM de cette ville ou début 2011 sur les murs de celui d’Orvault, à la suite du suicide d’un détenu, où l’on pouvait lire « L’EPM tue ».
Plus récemment, le 5 juillet 2011, une dizaine de personnes pourrissent les locaux de la direction inter-régionale de la PJJ de Labège, recouvrant les murs, les bureaux et le matériel informatique d’un liquide composé d’urine et d’excréments. Le 15 novembre, suite à cette action, les gendarmes perquisitionnent sept lieux d’habitation dans la région de Toulouse, saisissant ordinateurs, téléphones portables, livres, affiches et bien d’autres affaires. Quatre personnes soupçonnées d’avoir participé au saccage sont placées en détention provisoire, une est mise sous contrôle judiciaire et une autre est tenue de rester à disposition du juge en tant que « témoin assisté ». Plusieurs actions de solidarité ont alors lieu ici et là dont une manif à Toulouse le 17 décembre ainsi que divers rassemblements, attaques visant la PJJ , ballades et tags (voir les communiqués reproduits ci-après) notamment à Poitiers, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Milan, Bruxelles et Paris. Le 20 janvier dernier, une première personne emprisonnée dans le cadre de cette affaire est libérée, puis deux autres le 8 février, toutes trois placées sous contrôle judiciaire.
Jusqu’à ce que toutes les prisons soient rasées.
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