Montréal, février 2012, texte publié dans le contexte de la grève étudiante à venir.
La version papier a tout juste commencé à circuler.
Voici un extrait de l’éditorial:
« À la genèse des textes ici réunis, il y aurait un malaise partagé. Un malaise devant une vision, par exemple, la vision d’un archipel de bâtiments, plutôt imposants, au milieu d’une ville. Dans ces bâtiments, des corps qui vont et qui viennent, se pressant, se saluant, pour aboutir à des rangées de sièges. Puis, chaque corps plongé dans un certain mutisme. Alignés tous ensemble, ces corps offrent le spectacle par trop banal d’une immobilité agitée, subissant le passage du temps en consultant parfois une montre ou, technophilie aidant, leur téléphone intelligent ou leur laptop. Ici, le corps est enfin produit comme déchet dispensable : il ne nuit plus à la valorisation de ses fonctions cérébrales enfin mise au service de cette «économie du savoir» ou de ce «capitalisme cognitif».
Ce qui retient notre attention dans ce lieu central à la reproduction de la «société», c’est le spectacle glaçant de ces rangées de corps, généralement jeunes, immobiles, tenus à respecter une saine distance entre eux. C’est aussi la fragmentation de leur attention, leur regard oscillant entre leur ordinateur et ses innombrables fonctionnalités, un bouffon pénétré de son importance et occupé à déblatérer sur le thème du jour tenant lieu de professeur ainsi que tous les projets de vie ajournés bouillonnant dans leur tête. La chaise, le bureau, l’ordinateur, le professeur : un arraisonnement productif.
Un autre malaise cette fois : un enfant réveillé trop tôt, les yeux bouffis de sommeil, alors que l’aube pointe à peine. Le p’tit-dèj englouti en quatrième vitesse, la course-poursuite pour ne pas louper le bus, l’hostilité empesée du trajet de métro. Tout ça pour arriver à l’heure à l’école, usine à formater des petites personnes. Viendrait ensuite la morgue enjouée du prof en avant et son numéro de faux-enthousiasme pédagogique, la jungle de la récré dans laquelle il faut se démener pour ne pas rester à l’écart, avec les rejets. Une petite heure pour nourrir le corps et dégourdir les jambes et hop : retour au bureau. Finalement, le soir et son lot de devoir à rendre pour le lendemain. Si jeune et déjà le contrôle de tout son temps, la mobilisation de la pensée à des fins «utiles», le flicage des liens sociaux et l’enfermement dans un rôle à jouer : le mauvais apprenant, le cancre, le premier de classe. »