A Dijon comme ailleurs, quand on sort crevé du boulot, on se presse de rentrer chez soi. Une journée supplémentaire est passée, un pas de plus vers la retraite et la mort, 7 heures de trop à trimer pour enrichir un patron. Un jour aussi pénible que les autres, des heures entières à supporter les collègues et les ordres du petit-chef avec un sourire hypocrite.
A Dijon comme ailleurs, quand on rentre chez soi, on a pris la sale habitude de baisser la tête pour éviter les problèmes avec les uniformes. Police municipale et nationale, vigiles dans les centres commerciaux et les gares, caméras de surveillance qui guettent à tous les coins de rue. De toute façon, on n’a rien à se reprocher, non ? En tout cas, peut-être pas quand on sort du boulot pour aller s’endormir devant la télé.
A Dijon comme ailleurs, habiter où on travaille n’est pas donné à tout le monde. Le trajet s’étire avant de pouvoir s’enfermer chaque soir dans une cellule familiale qui porte bien son nom. On court alors vers la gare, on peste pour que le train soit à l’heure, et on se précipite pour s’entasser dans le wagon de notre routine salariée.
A Dijon comme ailleurs, tout se tient, du sommet de la mairie à la petite association de quartier, pour que rien ne change vraiment, pour que la machine ne s’emballe pas vers un inconnu qui fait si peur. Pourtant, malgré une pacification sociale gérée à coups de subventions, de réseaux militants de gôche ou de matraques démocratiques, tout ce beau petit monde peut se fissurer d’un instant à l’autre.
A Dijon comme ailleurs, il est parfois de petits événements qui bouleversent ce semblant de vie bien huilée. Il suffit que des gens cessent de mendier pour s’approprier un peu de ce dont ils sont privés (un toit, de la thune, quelque marchandise hors de prix), et voilà qu’on se retrouve chacun face à des choix. Celui par exemple de continuer à fermer sa gueule et à courber l’échine, d’indifférence en résignation. Celui aussi d’intervenir dans ce qui nous concerne tous, mais est chasse gardée des tenants de l’ordre public.
A Dijon comme ailleurs, la domination voudrait se passer de l’assentiment de tous, en se contentant de notre collaboration volontaire. Pourvu qu’on laisse faire les spécialistes et que ça se passe, pourvu qu’on délègue la prise en main nos vies et que ça se tasse.
Mais qu’arrive-t-il alors quand tout ne se passe pas comme prévu ? Quand, face à une interruption momentanée de la normalité, la force brute de cette passivité nous revient à l’improviste en pleine gueule ? Voyons voir un peu…
Comme souvent dans cette bonne ville de Dijon, le 14 janvier 2012 plus précisément, la gare est bondée en fin d’après-midi. Deux trains sont remplis et attendent à quai pour emporter leur flux de corps fatigués. A l’heure du départ, rien ne se passe, ni pour l’un ni pour l’autre. Il y a de plus en plus de monde aux fenêtres et sur le marchepied. Encore une grève de dernière minute, une panne inattendue, un sabotage sur les voies ? Rien de tout cela. Des cris, des insultes et une horde de chiens zélés qui s’attroupe en face. Voilà ce qui se passe.
A Dijon comme ailleurs, les pauvres se contentent rarement de marcher des centaines de kilomètres à pied, et il n’est pas rare qu’ils poussent parfois même le culot jusqu’à monter dans un train sans passer par la case billets.
Cette fois, ce n’est pas seulement une amende qui les attend. Ce jour-là ou un autre d’ailleurs, c’est la SNCF qui se donne en spectacle. Ou plutôt, c’est sa collaboration permanente avec la police, contre les sans-papiers ou contre les fraudeurs, qui s’affiche aux yeux de tous.
Pourquoi se gêner quand on sait que les uniformes ne font que leur sale travail : ils sont une dizaine entre contrôleurs, police des chemins de fer et flics ordinaires à tabasser deux mecs à terre. Deux voyageurs indésirables qui ne se laissent pas jeter d’un train sans broncher, deux jeunes qui ne se résignent pas malgré les coups qui pleuvent.
« Lâchez-les », « sales flics », « ordures », « chiens », « bâtards » sont les mots qui peuvent venir à la bouche de tout individu qui vient à croiser cette meute déchaînée sur sa route, en sortant du boulot ou en débarquant tout simplement dans ce paysage trop lisse.
Pourtant il faut croire qu’on peut mater ces porcs en regardant sa montre, en comptant les minutes avant que le train ne reprenne sa course vers l’ennui d’une vie sans passion. Pourtant il faut croire que c’est normal que ces chiens repartent en emmenant dans leurs griffes les trois récalcitrants (les deux du début et celle qui a proféré au milieu du silence des mots de rage et de colère). Pourtant il faut croire qu’ il est normal que ceux-là soient passés au bout de plusieurs jours de détention devant un « jury citoyen » et aient choppé cinq mois de sursis, et que la grande gueule soit relâchée au bout de 20h de GAV…
…Dans cette banale histoire de gare dijonnaise, de mise au pas policière de récalcitrants, d’indifférence collective et de complicités individuelles contre les flics, la solidarité active avec la compagnonne qui a exprimé à voix haute ce que nous sommes nombreux à penser nous semble aller de soi. Elle passera en procès le 20 novembre prochain pour « outrage » et refus de livrer bénévolement ses noms et ADN aux fichiers du pouvoir.
Brisons la routine de l’ordre salarié et policier !
Liberté pour toutes et tous !
[Tract collé avant le procès sur les murs de Dijon.]
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[Diffusé par Les Brèves du désordre le 23 novembre 2012]