Parlons de prise d’otage…
En moins de trois mois, quatre évasions ont eu lieu en prenant en otage un gardien pour obliger ses collègues à ouvrir les portes. Presque toutes ces évasions ont réussi, même si quelques évadés ont été repris plus tard. Il n’y a pas de doute qu’une méthode fructueuse inspire et se diffuse rapidement. Il n’en était pas autrement avec la série relativement récente d’incendies de cellules.
Peut-être il y aura des personnes pour qui plein de choses sont acceptables, mais pour qui des prises d’otage dépassent les bornes. Et comme on s’en fout de leur opinion, il ne s’agit pas des journalistes, des politiciens et des patrons qui ont peut-être peur d’être ciblés par une prise d’otage à leur tour. Il est vrai qu’il serait peu scrupuleux de prétendre qu’une prise d’otage en soi ne serait pas un acte, disons, désagréable. En plus, il y a peu de gens qui ont soutenu qu’il serait facile de pointer une arme contre la tête de quelqu’un — peu importe s’il s’agit d’une prise d’otage, d’un braquage ou même de la défense de sa propre vie. Et ce scrupule n’est pas honteux, au contraire, nous ne sommes heureusement pas des soldats entraînés pour trouver ces choses normales.
Dans chaque action ou acte, il est important d’éclaircir les responsabilités spécifiques de ceux qui subiront des dégâts. Nous avons déjà souvent parlé du rôle des gardiens et trop de fois l’argument contraire était que les gardiens eux-mêmes ne seraient que des pauvres bougres. Ça pourrait être vrai, mais beaucoup de misère dans sa vie ne peut jamais devenir une excuse pour quoi que ce soit. Ce n’est pas parce que notre père nous donnait des gifles que nous avons une « excuse » pour massacrer nos enfants. Ce n’est pas parce qu’on est né dans la pauvreté qu’on a une excuse pour aller dénoncer, arrêter, enfermer, déporter d’autres pauvres. Depuis trop longtemps ces mirages d’excuses sociologiques ont masqué la collaboration réelle qui contribue à maintenir le système tout autant que la matraque du flic. La fonction du gardien laisse peu d’espace pour des abstractions : jour après jour, il rend possible que d’autres soient privés de leur liberté de mouvement. Dans ce sens, le gardien en personne, en tant qu’être humain, fait partie de l’infrastructure de la prison. Celui qui choisit d’attaquer la prison (quelles que soient ses raisons, comme essayer de reconquérir sa liberté va déjà très bien, non ?) trouvera certainement aussi les gardiens comme des obstacles sur son chemin. À chacun de découvrir comment il ou elle peut vaincre ces obstacles. Pour nous anarchistes, l’affaire n’est pas close là : dans l’attaque et dans la lutte nous voulons, au milieu de toutes les contradictions que nous ne pouvons pas abstraire, que les fins et les moyens coïncident. Seulement en agissant ainsi, nous pouvons éviter de tomber dans une logique de guerre de deux armées opposées (ce qui ferait de nous de simples soldats) qui ne fera que reproduire l’autorité dans ses rangs… Donc, nous ne pouvons pas considérer la question de la prise d’otage d’une manière négligente. Car un pilote d’hélicoptère ou un passant accidentel n’auront jamais la même responsabilité dans la privation de liberté qu’un gardien. Et alors il nous semble convenable de laisser de côté dans des situations pareilles l’apologie politique tout comme la condamnation moraliste. Ceci n’est pas un signe de faiblesse, mais bien au contraire un signe d’une conscience forte qu’il y a certaines contradictions qu’il vaut mieux assumer en tant que telles au lieu d’essayer de les légitimer en se servant des tours acrobatiques de la rhétorique et de la politique.
Il est sûr que certains changements dans les structures du pouvoir et du contrôle amènent de plus en plus vers le choix d’une prise d’otage. Si les banques sont tellement bien sécurisées qu’il devient impossible de les braquer « à l’ancienne », il n’y a rien de plus logique que les directeurs reçoivent des visites à domicile. Si les directions des entreprises se cachent derrière tout un rideau de fumée de « lois objectives du marché », de « décisions d’actionnaires », et d’un « je voudrais bien, mais on ne peut pas faire autrement », il n’y a rien de plus normal à ce que des ouvriers et des employés les séquestrent pour leur montrer le miroir de leurs responsabilités. Si on voit chaque jour venir « l’agent pénitentiaire » pour tourner les clés dans la serrure de la cellule, il surprendra même peu de gardiens quand ils sont utilisés comme billon pour s’évader.
Donc, que personne ne fasse semblant de tomber du ciel à crier au scandale !
L’indignation des bourgeois suivis par leurs honnêtes serfs à propos des actes de révolte qui ne les gardent plus hors d’atteinte ne sert qu’à nous faire avaler sa morale de pacification. Les fabricants professionnels d’opinions et de valeurs n’ont qu’un but : maintenir la domination et nous rendre incapables de faire nos propres choix en tant qu’individus conscients qui ne suivent ni le code légal, ni la morale de la résignation et de la soumission. À nous de préserver, dans les contradictions du présent, une éthique de liberté qui nous permet de nous battre dans la lutte telle que nous la voulons.
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[Paru dans La Cavale n°15 bis mai 2009 , correspondance de la lutte contre la prison]
Le texte avait été lu dans l’émission #22 (du 24 juin 2009) de Basse Intensité.