“Il est toujours facile de trouver quelqu’âme sélecte qui “parle” de révolution, néanmoins ils sont peu nombreux ceux qui cherchent à faire concrètement quelque chose. Tant qu’on ne fait que bavarder, on peut être plus ou moins tous d’accord. [ … ]
Nous réaffirmons avec insistance notre conviction que l’usage de la violence organisée contre les exploiteurs, même lorsqu’elle prend l’aspect de l’action minoritaire et circonscrite, est un instrument indispensable de la lutte anarchiste contre l’exploitation”
Alfredo Bonanno,“Contre l’amnistie”*
ON ne parle pas souvent de ce qui se passe à l’assemblée nationale ou dans les autres antichambres de l’Etat. On en parle pas souvent puisqu’on en a pas grand chose à foutre la plupart du temps.
Mais aujourd’hui, a été rejetée le proposition de loi du groupe communiste et du Front de Gauche sur “l’amnistie sociale” par la commission des lois de l’assemblée nationale.
Ce projet visait à amnistier les “délits commis lors de mouvements sociaux”. C’est l’occasion de parler de ce micro-évènement qui illustre bien tout un ensemble de choses qu’on peut reprocher à la Gauche, même “extrême”, notamment dans sa manière d’envisager la conflictualité sociale.
Déjà, il y a cette illusion toute démocrate qu’on peut changer le système en faisant voter des lois de l’intérieur. Ce procédé est le même échec répété et crevé depuis 100 ans. Il découle de la vieille stratégie d’inspiration léniniste selon laquelle le parlement ou quelque autre institution électorale peut être utilisée soit comme “tribune” pour un discours soit-disant subversif, soit comme tremplin pour porter des lois qui “déstabiliseraient” l’Etat et le capitalisme.
Il y a deux excellentes raisons de constater que sur cette question comme sur d’autres, les mêmes causes produisent les mêmes effet.
Premièrement les lois sont toujours votées par les valets de la classe dominante -et appliquées par ses flics et ses juges- : qu’ils soient députés, élus, ou toute sorte de dirigeants. Mieux : ils en font partie de par leur statut même et n’ont donc absolument aucun intérêt à aller contre ce qu’ils sont et voter des lois qui les mettraient en danger (c’est d’ailleurs un des arguments principaux utilisés par les parlementaires socialistes contre le projet de loi : protéger les élus). Et si l’Etat et ses institutions républicaines n’avaient pas été savamment pensés pour ne pas être “changés de l’intérieur” depuis Rousseau ou Hobbes, ça fait sans doute longtemps qu’on en aurait fini avec ce monde…
Deuxièmement, la prétention de transformer ces institutions en “tribunes” pose une autre question centrale : à qui s’adresse-t-on ? Et depuis quelle position ? On l’a vu, les élus parlent surtout aux élus, à l’Etat, à la rigueur aux médias, et ceux et celles qui ont la délicate attention de croire aux promesses les écoutent et les suivent.
Le mouvement reste donc à l’initiative des dirigeants, qu’ils soient du parti, investis par une fonction étatique ou les deux.
Mais cette proposition “d’amnistie sociale” et les illusions qu’elle a nourri chez les militant-e-s communistes et autres syndicalistes de la CGT pose d’autres problèmes. D’une certaine manière déjà, “elle tombe mal” dans l’agenda “militant”. En plein mouvement social réactionnaire et fascisant contre le “mariage étendu” et “l’égalité des droits” : mouvement face auquel l’extrême-gauche -PCF et FdG inclus- est totalement à la ramasse et quasiment aphone. Pour ne pas dire inexistante.
Et évidemment, l’argument du gouvernement consiste donc simplement à leur répondre avec cet exemple à l’appui que “force doit revenir à la loi”. Et ce n’est pas Jean-luc Mélenchon qui pourra contredire ça… Les démocrates radicaux de toute engeance sont pris au piège de leur propre discours citoyenniste et légaliste. Mais que pouvaient ils donc espérer d’autre ?
Que le gouvernement leur offre un chèque en blanc pour faire la révolution ?
Et puis depuis quand on a besoin de violer la loi pour faire la “révolution citoyenne” ?! L’hypocrisie crasse d’une extrême-gauche française toujours plus empêtrée dans ses contradictions.
Dans laquelle on vénère la loi comme le veau d’or parce qu’on aimerait y substituer la sienne (plus démocrate, plus républicaine, plus “communiste”, etc…), tout en essayant de tenir un discours intenable comme quoi il faudrait “enfreindre la loi sans l’enfreindre”, aménager une temporalité “mouvement social” dans laquelle on aurait soudain “le droit” de faire la révolution. Bref… Un casse tête de citoyenniste à se taper la tête contre les murs.
Mais les actes de révolte, d’insoumission, de rébellion, de lutte de classes, etc, n’ont pas moins de sens lorsqu’ils surgissent au milieu de la vie quotidienne, tout les jours, même en dehors de tout “mouvement social”. Ils sont un produit de l’antagonisme permanent entre les exploité-e-s, les dominé-e-s et la société dans laquelle nous vivons.
Et d’ailleurs, tous les “mouvements sociaux” sont initiés par des actes ou des actions (de la grève au sabotage en passant par les manifs sauvages, les émeutes ou les occupations) qui ne sont pas considérés comme en faisant parti à la base (et bien souvent même pas du tout…).
Du reste : qui décide de ce qu’est un mouvement social ? L’Etat ? Les médias ? le PCF, la CGT et le FdG lorsqu’ils décident d’y participer ?
Cette idée “d’amnistie sociale”, donc, même telle qu’elle a été “pensée à la base” dans une proposition de loi (au-delà de l’aspect légaliste) ne peut pas nous convenir par quelque angle qu’on la prenne. Au-delà de l’aspect délirant de la chose donc, cette idée “d’amnistie sociale” n’a été pensée que par et pour la CGT et ses ouailles, le PCF, Le Front de gauche et leurs militant-e-s. C’est d’ailleurs à l’appel exclusif de ces organisations que leurs seul-e-s militant-e-s se sont rassemblé-e-s devant le Sénat pour soutenir ce projet bidon (bidon dans le sens où il n’avait simplement aucune chance d’aboutir – indépendamment du principe). Car tout ce cirque n’est bien qu’une mascarade où quelques pseudo-révolutionnaires tentent simplement de s’arroger le droit de définir ce qui est ou non un mouvement social, et des privilèges dans la “lutte”. Un élan désespéré d’une extrême-gauche sans avenir pour se sauver elle-même.
En effet, on le sait depuis longtemps : le SO de la CGT balance à chaque “mouvement social” les radicaux ou révolté-e-s aux flics dans les manifs ou les tabasses directement pour attendrir la viande préventivement. Vieille tradition stalinienne française. La direction, aussi, exclue régulièrement ses dissidences syndicales (parfois des sections entières), notamment à l’occasion de grèves qui débordent. Ou bien elle se contente de laisser pourrir ses syndiqué-e-s dans la répression lorsqu’ils ou elles n’ont pas respecté-e-s les consignes (comme pour les Goodyear lâchés face à leurs procès à Amiens). Même chose pour le S.O du PCF dans les manifs, ou celui du Front de Gauche pendant le mouvement des retraites en 2010 (par exemple) avec les déclarations de Jean-Luc Mélenchon et Bernard Thibault sur les “casseurs”, et “anarcho-autonomes” soit-disant “infiltrés par la police”. Déclarations mensongères qui auront valu de la prison ou des condamnations à plusieurs compagnon-e-s et camarades.
Là encore, toute l’hypocrisie du caractère “social” de cette soit-disant amnistie montre bien ses limites : amnistie pour les “délits” commis par des syndicalistes et militants certifiés A.O.C.
Et pour les autres : la taule, la répression, la calomnie, et l’isolation. En gros, cette proposition scelle aussi la division omniprésente dans la conception de ces organisations entre les réprimé-e-s ou prisonnier-e-s “politiques” d’un coté justement, et les “cas sociaux” de l’autre (qui, ironie du sort, sont donc exclu-e-s de cette idée farfelue d’amnistie “sociale”).
Bref, tout ces soit-disant révolutionnaires se retrouvent être à chaque période de trouble, ou “mouvement” de bons agents bénévoles du maintien de l’ordre et la paix sociale. Un bon alibi en soi…
Enfin, pour cette simple raison que le principe même implique la reconnaissance de l’Etat, ses institutions et ses lois, et la paix -même “temporaire”- avec lui, nous ne voulons pas d’aucune “amnistie”.
Nous voulons la révolte, l’insurrection, et la révolution sociale. Et pour ça dans l’immédiat, il faut assumer l’antagonisme de classe et contre l’Etat, la solidarité, l’entraide, et l’action directe sous toutes ses formes.
Pas de paix avec l’oppression et l’exploitation. Pas de paix avec l’Etat.
Des anarchistes du Cri Du Dodo
* : Cette question s’est posée en d’autres termes en Italie il y a quelques années. Bien que pour des faits “plus graves” du point de vue de la loi, puisqu’il s’agissait -entre autres- d’accusations pour des faits qualifiés de “terroristes”. Néanmoins, des remarques et réflexions similaires peuvent être portées dans les deux cas. Pour lire le texte : c’est ici.
[Publié par le Cri Du Dodo le 24 avril 2013]