[Note de cestdejatoutdesuite : Cette lettre datée de novembre 1984 répondait à un dit « comité de chômeurs ». Elle fut reprise dans le n°1 de la revue Os Cangaceiros, janvier 1985. Le choix du/d’un titre « Nous ne revendiquons aucun minimum » est de cestdejatoutdesuite, reprenant un passage du texte.]
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Il se trouve à présent des gens qui bien qu’ils ne soient pas professionnels de l’assistance sociale, s’emploient bénévolement à relayer les institutions de l’État dans la tâche de contrôler les chômeurs, de les assister.
Ces imbéciles quelques fois eux-mêmes chômeurs sont tellement persuadés que la misère des chômeurs est le résultat d’une catastrophe naturelle, la trop fameuse crise économique, qu’ils s’acharnent à proposer des secours dits « de première nécessité » comme s’ils s’adressaient à des naufragés ou à des victimes d’un tremblement de terre.
Quelques personnes ayant reçu le texte du programme d’un de ces comités de chômeurs y ont répondu – Voici la lettre.
Paris, le 9/11/84, en réponse à ceux qui appellent à la réunion du 16/11/84.
À la réception de ce courrier, la première idée qui nous vient c’est que vous prenez les pauvres pour des cons.
Comme les Leclerc et autres abbés Pierre, vous vous proposez d’organiser la charité Vous prenez les pauvres pour des imbéciles qui ne vivraient que dans l’attente de quelque aumône. Rien que d’entendre parler de soupe populaire ça nous donne envie de gerber.
Vous dites : « il faut pouvoir préserver la dignité des pauvres, en leur donnant de quoi manger, se vêtir, etc. » Les pauvres vous emmerdent, ils se foutent de la dignité. Les pauvres sont indignes et ils le savent. Ceux qui voudraient nous convaincre qu’il y aurait de la dignité à rester pauvres sont des menteurs et des salauds qui espèrent simplement faire oublier aux pauvres l’indignité réelle de leur sort, les détourner de toute idée de vengeance.
Nous crachons à la gueule de ceux qui voudraient nous distribuer des aumônes en nous les présentant comme notre dignité retrouvée.
Entendons-nous bien, s’il existe quelque part dans le monde quelque chose d’aussi répugnant que des pauvres qui s’abandonneraient à leur misère, des pauvres qui ramperaient en attendant la charité, bref des pauvres cons, alors tant pis pour ceux-là, qu’ils crèvent !
Nous ne parlons qu’à des pauvres qui se révoltent, s’indignent pratiquement, à des pauvres qui refusent violemment de rester pauvres. Les autres peuvent crever, malheur aux vaincus !
Vous ne semblez voir dans le monde qu’une masse d’indigents sans pensée. C’est à des bêtes seulement préoccupées de pommes de terre, de chauffage pour l’hiver que vous vous adressez.
Qui d’autre qu’un gauchiste ou qu’un homme d’État peut dire que la misère de centaines de millions d’africains et des dizaines de millions d’européens, consiste dans le fait qu’ils vivent en dessous d’un minimum vital ?
Il y aurait un minimum au-dessous duquel on serait dans la misère et au dessus duquel on vivrait !
La différence entre le gauchiste et d’État, c’est que l’homme d’État décide de ce minimum qu’il octroie aux pauvres et que le gauchiste en est le propagandiste, son projeté étant seulement de l’augmenter quantitativement.
Avec votre programme revendicatif, vous coïncidez parfaitement avec la définition étatique de « nouveaux pauvres ». C’est exactement ce que l’État espère des chômeurs : qu’ils définissent eux-mêmes leur statut de « nouveaux pauvres », qu’ils se soumettent à l’idée d’un minimum vital.
Ce projet s’inscrit dans l’appel à la « solidarité nationale » fait récemment par les responsables de l’État. La malheureuse communauté des « nouveaux pauvres » va-t-elle survivre à l’hiver qui se prépare ? Il lui faudra des patates, du beurre, du chauffage, etc.
C’est présentement ce que l’État se propose de fournir en redistribuant les stocks d’invendus.
L’État doit convaincre de l’existence objective d’un minimum vital. Pour cela, il montre inlassablement des foules d’indigents écrasés par leur sort (soupes populaires, queues de chômeurs et autres affamés du Sahel). Ce spectacle terroriste est là pour justifier l’idée que le maximum auquel peuvent prétendre les pauvres est d’accéder au minimum vital, justifier l’aide apportée aux pauvres, et par là justifier l’existence même de l’État.
Nous ne revendiquons aucun minimum, nous nous servons le plus largement possible comme le font de plus en plus de prolétaires Tant pis pour ceux qui s’identifient à leur sort de pauvres !
Vous vous proposez de faire bénévolement le travail pour lequel l’État paye en général des animateurs, des Éducateurs. « Élaborer des dossiers… faire des réunions pour mieux se connaître… » c’est exactement ce que font les charognes d’animateurs pour occuper le temps des pauvres, pour qu’ils se tiennent tranquilles. Pendant ce temps-là au moins ils ne vont pas voler. Et en plus ce travail vous le faites bénévolement.
C’est vraiment merveilleux. Le maire de —— doit être content, il n’espérait sans doute pas de tels alliés.
La seule innovation là-dedans c’est que ceux qui font ce sale boulot sont « élus et révocables à tout instant ». À quand les Élections démocratiques des îlotiers (« élus et révocables à tout instant » eux aussi) ?
Un mot encore.
Ce n’est pas « pour cause de misère » que des gens vont en prison, mais parce qu’ils ne sont pas soumis à l’idée du minimum vital. La simple idée de calculer ce que coûte ou ne coûterait pas un prisonnier nous fait frémir. Nous pensions qu’il n’y avait que les fonctionnaires du ministère de la justice pour se livrer à de tels calculs.
Ce qui est scandaleux, ce n’est pas que des incarcérations pourraient être évitées par un programme d’assistance sociale, comme vous le dites, mais simplement que les prisons, les flics, les juges, les avocats existent, et qu’il y ait des militants pour réclamer qu’il y ait de tout cela mais un peu moins !
Et en plus vous êtes parfaitement hypocrites quand vous glissez qu’on pourrait travailler moins et qu’ensuite, vous insinuez que cette revendication ne suffit pas. Une nouvelle fois vous prenez vos lecteurs pour des cons. Et ceci jusqu’à la fin puisque, comme tous les militants, vous vous autorisez d’un mandat fictif en signant : « les pauvres et les chômeurs de ——»
En conclusion, votre déclaration selon laquelle : « Ce qui est construit sur la base de la misère sera toujours récupéré par la misère et servira les garants de la misère » qualifie très exactement votre entreprise.
Des pauvres.