Quelques réflexions sur l’escouade GAMMA
Nous avons eu la puce à l’oreille récemment qu’au sein du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), il s’est constitué une nouvelle unité : l’escouade GAMMA (le Guet des activités et des mouvements marginaux et anarchistes).
Il nous a semblé important de diffuser publiquement nos réflexions et de faire une critique en partant de notre position, soit en tant qu’anarchistes. Nous ne voulons pas nous faire porte-parole DES anarchistes, nous nous exprimons en tant qu’individus. Nous espérons stimuler des discussions à ce sujet.
Selon nous, l’escouade GAMMA doit être comprise telle une autre adaptation de l’État dans un contexte d’austérité qui s’accentue. Son mandat est certainement de faire en sorte que l’État maintienne son pouvoir de contrôle social en réprimant la révolte.
Pourquoi GAMMA ?
La nouvelle escouade se situe sous la direction de la Section des Enquêtes spécialisées, dont font partie, entre autres, la division du crime organisé. Comme pour les gang de rues, la mafia ou les motards, GAMMA a pour mission de profiler et d’accumuler des informations sur les actions, les intérêts et les manières de vivre des personnes « marginales et anarchistes », donc quiconque qui questionne l’ordre établi. En tentant d’établir de nouveaux réseaux d’accointance, de liens, d’affinités entre individus, l’État montre son intention d’aiguiser la répression, une répression qui n’est évidemment pas nouvelle.
Plusieurs motifs justifient le fait que le SPVM doit aujourd’hui disposer d’une escouade visible spécialisée en la matière. Pourquoi la police doit-elle explicitement viser les anarchistes ? En les pointant du doigt avec l’aide des médias de masse, l’État personnifie l’anarchiste sous un visage de dangereux terroriste et appelle la population à jouer les délateurs afin de se protéger de sa soit-disant menace. Nous avons vu ces citoyens-flics agir en Angleterre avant et après les émeutes, s’organiser en milice d’autodéfense citoyenne et téléphoner au numéro sans-frais pour dénoncer les émeutiers. Cela nous donne un exemple cauchemardesque de ce futur possible. En projetant l’anarchiste comme ”Le dangereux”, l’escouade GAMMA veut tracer une ligne claire entre les anarchistes criminels et tout les autres (que l’on présume ne pas vouloir être criminalisés)- un classique ; diviser pour conquérir, mettre les gens dans des boîtes isoler les uns des autres. Ils croient pouvoir décourager toute autre personne à utiliser ces moyens d’action quand leur viennent des inspirations potentielles de révolte ou à s’identifier avec les rebelles. En réalité, cette ligne n’est absolument pas clair et le désire de combattre l’ordre social est loin d’être unique aux anarchistes.
Notre société, en fait, pour fonctionner, a besoin de dominer les manifestations du vivant. Nous savons aussi qu’il est physiquement impossible pour la police d’être présente à chaque centimètre de notre environnement, partout et en même temps. Ils peuvent essayer de nous contraindre à l’aide d’une multitude de dispositifs tels un nombre infini de caméras de surveillance à tout les coins de rues, leur capacité de mettre les téléphones cellulaires sous écoute et l’accès aux conversations texto, en traçant nos réseaux avec facebook et twitter, les anti-vols aux portes des magasins, les outils biométriques, les rayons-X aux douanes, les détecteurs de chaleur bordant les chemins de fer aux frontières, la collecte des ADNs, les drones survolant les forêts, les prisons où l’on est menacé d’être enfermé si on ne respecte pas la loi ou la discipline qu’on nous inculque dès la maternelle, mais l’élément clé du contrôle social est notre propre introjection de celui-ci ; le flic dans ta tête. C’est le résidu de la peur qu’ils créent. Au final, les flics doivent aussi leur pouvoir de contrôle à leurs fantômes transcendants plutôt qu’à leurs présences réelle.
Enfin, d’un point de vue matériel, GAMMA est probablement un réarrangement organisationel et bureaucratique qui permettra aux policiers d’être plus efficace dans leur cueillette d’informations. Focussant sur les anarchistes, ils consolident leur base de données pour mieux comprendre les patterns et faire des liens entre des événements distincts.
Nous l’avons souligné plus tôt, la répression est partie intégrale du fonctionnement de l’État ; tout État dans son fondement détient le monopole menaçant de la violence organisée avec ses lois, sa police et ses prisons. Il n’est pas surprenant de voir les flics tenter de réprimer une lutte qui a pour honnête intention la négation de l’État et de la domination industrielle.
Quant au profilage politique, il a lui aussi toujours été. Le libéralisme ne cesse de vouloir nous convaincre d’à quel point nous avons la liberté de penser et d’exprimer nos idées. Aussi longtemps que ces idées restent des idées, nous avons ces ”libertés”. À partir du moment où les gens commencent à mettre leurs idées en pratique et que celles-ci ne correspondent pas à l’ordre sécuritaire du statu-quo, la répression se fait ressentir et ces libertés s’estompe en une courte mémoire. Cela fait écho aux murs du centre de détention dans l’est de Toronto (G-20), aux chambres de torture de Pinochet, aux ruines de Varsovie et aux cimetières sablonneux d’Afghanistan. Les droits composants notre État démocratique sont des compromis qui nous sont offerts en échange de la paix sociale (l’absence de rébellion) et de notre obéissance face à ce système de misère. On veut à tout prix nous faire comprendre que c’est la police, les lois et l’État qui protègent nos droits. Pas de chance ; dès le moment où le pouvoir d’État est menacé, les droits sont rapidement supprimés. Pour calmer les émeutes britanniques, le gouvernement imposa des mesures d’exceptions. Le premier ministre Cameron ordonna aux policiers d’utiliser tout les moyens à leurs dispositions pour rétablir l’ordre. La loi était de leur coté. Lorsque l’ordre est transgressée, la démocratie devient tyrannique. On se croirait dans un film de science-fiction. Les flics symbolisent les limites du possible. Ils encadrent l’existant. Le droit joue un rôle moral, une mythologie de vérités auxquelles tous se réfèrent. Nous venons de démontrer que le droit est un concept qui peut, comme toutes formes de langage, changer de signification, d’application, de mandat, d’intérêt, de fin ou de justification selon les circonstances. Puisque nous voulons construire une lutte sérieuse contre l’État, la dépendance du droit devient une folie. Nous avons besoin d’autre chose.
La démocratie et le fascisme sont les deux cotés d’une même médaille, et celle-ci tourne selon le contexte social, politique, géographique et économique.
La répression dans l’ère des mesures d’austérité
Désormais, ce contexte change. Nous sommes dans l’ère des politiques d’austérité. Partout dans le monde, les gouvernements coupent dans les budgets alloués aux mesures sociales, aux emplois du secteur publique, à l’éducation et à la santé. Afin de gérer la crise financière globale, l’État-Providence, établit suite à la Deuxième Guerre mondiale, se rétracte progressivement pour laisser place à une gestion du privé. On fait primer l’intérêt économique avant tout, même dans des domaines qui jusqu’à présent, concernait les affaires publiques. En coupant dans les mesures sociales, l’État s’attend à devoir faire face à la révolte de toujours plus d’exclus et planifie ainsi son appareil répressif. L’austérité est un moteur qui influence les changements quant à la forme que prendra la répression. Une rage bien réelle se mijote chez un nombre croissant de personnes exploitées et de parias ; chez ceux qui ont choisi de se battre pour la liberté et pour la destruction de se système-prison qui nous engloutit.
En tant qu’anarchistes, non seulement nous ne sommes pas surpris de ces développements, mais nous refusons de nous cacher derrière le voile de la justice pour clamer notre innocence. Quel rôle a l’innocence dans la guerre contre le capital de toute façon ? Pour nous, la cours n’est pas un terrain de lutte où il est possible de gagner cette guerre. Si, parfois, quelques défenses ont du succès ici et là, nous refusons d’utiliser le discours de la loi. Dans un monde basé sur l’exploitation et la misère, nos désirs pour une libération totale seront toujours criminalisés. La loi a avant tout pour fonction le maintien de ce système. Notre lutte se pose contre le capital et contre l’État dans son entièreté, contre toutes ses manifestations dans nos quotidiens ; contre les flics et toutes autres formes sociales leur servant à maintenir leur pouvoir et contrôle. Alors que notre lutte prend forme et s’intensifie, cela ne fait que trop de sens de voir la police répondre de la sorte.
Comment peut-on répondre ?
La question pour nous est de réfléchir à comment répondre à cette répression.
Combien de gens détestent ce monde quadrillé ? Combien de gens refoulent cette rage, croyant être seuls et impuissants ? Un monde qui a besoin de prisons n’est pas le nôtre. Chaque flic symbolise la domination rationnelle des corps. Parce que nous imaginons mille autres choses et que nous avons des rêves, nous refusons de baisser la tête devant l’ordre et la loi. Notre puissance se trouve dans le fait que nous ne sommes pas seuls à étouffer et à vouloir combattre la source de cet étouffement. Le contrôle de nos vies augmente avec l’expansion de l’aliénation ; des plans d’urbanisme lissés en bloc et où les recoins et les cachettes n’existent pas, nous sont imposés. Le capital nous fait la guerre pour s’approprier chaque centimètre de nos espaces, chaque muscle de nos corps et les idées dans nos têtes. Si nous refusons la colonisation par le capital, nous devons nous battre. Nous avons fait ce choix d’être en conflit, ensemble, face à ce système plutôt que d’attendre devant la télévision en croyant que le système s’effondrera de lui-même. Si les émeutiers de Londres ou de Paris ont choisi de prendre leur propre vie en mains, nous bouillonnons d’envie de faire de même.
C’est le moment de nous retrouver comme camarades de lutte et de nous organiser nous-même, en groupes affinitaires, et MAINTENANT. Il nous faut créer se que nous voulons voir exister par nous-même car personne ne le fera pour nous. Nous devons développer nos pratiques en terme de communication, de créativité et de conflit. Le saut de l’idée à l’action n’est pas si grand.
Il est aussi temps de travailler sur nos différences et construire une solidarité critique entre nous, ne pas laisser l’État nous diviser pour des conflits ridicules. Cela ne veut pas dire que nous devons effacer nos différences, ou que nous devons tous faire les chose ensembles, mais pouvons-nous au moins nous supporter ?
Nous devons faire gaffe à ne pas nous faire prendre dans une guerre d’usure contre la police. Si nous ne restons que quelques-uns, nous ne pouvons éventuellement que perdre. La stratégie répressive de l’État canadien, tout comme celle de la France, des États-Unis, de l’Angleterre et de tout les pays dominants, est basée sur la théorie de la contre-insurrection permanente. Cette dernière évoque le besoin de réprimer chaque lutte sociale avant même qu’elle n’ait la chance de se répandre et de rejoindre une certaine masse critique. Notre plus grande force n’est donc décidément pas notre passion, notre colère ou ni même notre revanche, mais la possibilité que nos idées et pratiques se répandent dans ce baril de poudre à canon qu’est notre société.