Le dimanche 27 octobre 2013 à l’aube, un engin artisanal a explosé devant le bâtiment du bureau de recrutement de la ville russe Nizhni Novgorod, sectionnant le poignet gauche du compagnon qui tentait de réaliser cette action. En sang, il est parti seul à l’hôpital le plus proche, ou la police l’arrêté peu de temps après.
Juste après son arrestation, la police est rentée de force chez lui, confisquant divers livres, des appareils électroniques toutes les lettres datant des années qu’il a passé en prison, ainsi que “des résidus de produits chimiques inconnus”. Les blessures du compagnon au visage et à l’œil gauche se sont heureusement avérées légères, mais malgré les tentatives des médecins il a été impossible de sauver ne serait-ce qu’un doigt de sa main qu’ il a finalement fallu amputer entièrement. Des jours après sortant des soins intensifs, il est entré dans un autre service de la même clinique sous surveillance policière jusqu’à aujourd’hui. Pour le moment ne pèse sur lui que la charge “fourniture, trafic et possession illégale d’armes ou d’explosifs” , bien qu’il semble qu’ils veulent lui coller en plus la “fabrication d’engins explosifs”.
Voilà le cas de l’anarchiste âgé de 46 ans, Ilya Romanov, qui pour les journalistes est “une figure tragique qui semble sortie de Dostoievski” et pour les autorités n’est rien de plus qu’un“suspect habituel”, mais pour nous anarchistes, c’est un Compagnon. Notre histoire s’écrit avec la sueur froide de l’action et souvent avec le sang, mais jamais avec la puanteur moisie de l’ajournement continuel. Et, puisque rien ne surgit du rien et que nos vies se développent dans des circonstances spécifiques et reposent sur des choix concrets, nous ne pouvons omettre une brève chronique du parcours du compagnon.
Ilya Romanov a participé à l’espace anarchiste dès la fin des années 80, organisant les premiers cercles et groupes anarchistes (de ces derniers temps) dans sa ville (qui s’appelait alors Gori). Il était aussi actif dans le mouvement squat. En 1998, il est devenu membre de la Confédération Anarcosyndicaliste, donnant des conférences sur l’anarchisme et sortant une revue, en plus de participer activement aux mouvements de protestation contre les centrales nucléaires. Entre 1991 et 1992, il a pris part à la campagne de solidarité avec deux anarchistes emprisonnés pour avoir attaqué des policiers des services secrets, puis à d’autres initiatives solidaires pour les prisonnier-es politiques. En même temps il se dédiait à la diffusion des idées anarchistes à Moscou et a aussi été représentant du syndicat de base de jeunes chômeurs. En décembre 1998, il a été arrêté, accusé de “possession de drogues” et selon les méthodes connues qu’employait la pas si vieille ère soviétique contre ses adversaires politiques il a été envoyé dans une clinique psychiatrique qui l’a diagnostiqué “fou” puis en prison ou il est resté deux ans et demi.
En juillet 2002, de nouveau été arrêté à Moscou pour être envoyé à Penza (Russie centrale), il est cette fois accusé de “possession et transport d’explosifs”, faits qui, selon les flics, auraient eu lieu en 1997. Il faut aussi dire que la compagne de Ilya, Larisa, avec qui il a deux filles, a aussi été emprisonnée avec d’autres personnes début 2000 et qu’elle a passé cinq ans et demi en taule, accusée de faire partie de Nouvelle Alternative Révolutionnaire, une organisation gauchiste libertaire qui a réalisé plusieurs attaques explosives entre 1996 et 1999, dont principalement l’attaque à la bombe contre le mur des bureaux centraux du FSB (Service Fédéral de Sécurité de la Fédération Russe, ancien KGB). Ilya Romanov n’a alors reconnu aucune des charges dont il était accusé et a refusé de déposer, il s’est coupé les veines et la police locale l’a laissé en liberté. Une fois de retour à Moscou, il a de nouveau été sous le coup d’un mandat d’arrêt, mais cette fois en vain puisqu’Ilya a réussi à partir pour l’Ukraine.
Le 7 décembre 2002, dans une petite ville du sud de l’Ukraine, il est arrêté en possession d’un pistolet, de quelques balles, d’une cartouche de dynamite avec détonateur électrique. S’en suit une série de tortures et de tabassages dans le commissariat de police local et en prison. Au début, il était accusé d’une explosion ayant eu lieu au siège des services secrets de Kiev deux mois auparavant. Cette action avait été revendiquée par l’Armée Populaire de Vengeurs, une organisation de gauche qui décida de cette manière de « commencer une lutte de guérilla contre le système capitaliste régnant en Ukraine”. 10 autres personnes furent arrêtées en même temps, parmi lesquelles la plupart avaient appartenu aux jeunesses du Parti Communiste ukrainien. Les 11 étaient accusés non seulement de l’explosion, mais aussi d’une série de braquages à main armée de bijouteries et de possession d’un grand nombre d’armes. Ils ont tou-tes eu à subir des tortures méthodiques et l’un d’entre eux mort lors d’un interrogatoire. Romanov a déclaré qu’il ne connaissait pas la moitié de ses co-inculpé-es, mais il a refusé catégoriquement de coopérer avec les Autorités.Participant avec les autres à des grèves de la faim, il est aussi entré en conflit avec les matons ce qui lui a valu de se retrouver fréquemment à l’isolement. Quand en juillet 2004 le procès a finalement commencé, il s’est tailladé les veines au milieu de la salle d’audience, non pas pour se suicider, mais en geste de protestation. Il a en outre révélé que toutes les déclarations inscrites dans les interrogatoires étaient fausses, puisqu’elles avaient été obtenues sous la torture et par l’usage forcé de substances psychotropes. Romanov a été condamné à 10 ans de prison, emplis de batailles au cours desquelles il a toujours conservé son attitude intègre, il a ainsi purgé sa peine jusqu’au dernier jour. Il a été libéré le 7 décembre 2012 et est retourné dans son village, ou il travaillait comme ouvrier d’une usine de pâtisseries.
Nous nous solidarisons avec le compagnon Ilya, qui a donné vie à la projectualité de la lutte polymorphe en participant à divers activités politiques. Des syndicats de base et de la publication de matériel, jusqu’aux assemblées en solidarité avec les prisonnier-es politiques en passant par les attaques incendiaires et explosives. Utilisant tous ces moyens pour un objectif : la REVOLUTION.
“Si dans l’histoire de l’humanité, les gens avaient gardé le silence, nous continuerions à vivre dans un système féodal, à travailler pour les propriétaires terriens et même à leur faire des révérences. C’est beau qu’il y ait des personnes qui ne veulent pas vivre en se taisant”
(d’écrits anciens du compagnon)
Celles et ceux qui veulent soutenir financièrement le compagnon peuvent le faire à travers de pay pal au e-mail suivant : abc-msk[arroba]riseup.net, il y a aussi une caisse de soutien financier pour le même cas au CSO VOX (Arachovis / Themistokleous, place de Exarchia, Athènes).
Initiative de compagnons, CSO Vox
[Publié sur contrainfo le 23 novembre 2013, traduit de l’espagnol par les Brèves du désordre]