[Notre Dame des Landes] Contre l’Acipa, la CHC et son monde héliporté

Après plus de quatre mois d’occupation militaire du carrefour de la Saulce, le départ des gendarmes mobiles dans la nuit du vendredi 12 avril laissait espérer la fin de ce checkpoint permanent en centre-ZAD. Pendant le week-end, des individu-es ont mis en place des chicanes pour empêcher le retour prévisible des gendarmes. Le lundi matin, les forces répressives ont attaquées le carrefour, blessant une quinzaine de personnes à coups de grenades offensives et de flashballs. Le jour même, une dizaine de rassemblements de solidarité ont eu lieu partout en France. Le président de l’Acipa, Julien Durand, a choisi de se dissocier totalement de cette action en publiant un communiqué accusateur (1) et à travers des déclarations dans la presse (2). Celui qui a fait son beurre médiatique et politique à l’automne 2012 sur l’expulsion des squatteurs et toutes les résistances qui s’en sont suivies, prévoit désormais l’abandon du projet et cherche à négocier avec l’État. Pour rendre ce rôle légitime et préparer un soi-disant retour à la normale, il doit taper plus fort que la préfecture. Il reprend les arguments policiers à son compte en niant l’occupation militaire qui rend impossible la vie des habitant-es de la ZAD et en présentant quelques chicanes comme une entrave à la libre circulation des capitaux agricoles.

Il faut en finir avec ce mythe des opposant-es historiques et du respect qui leur serait dû. Pendant plus de trente ans, ils et elles n’ont connu-es qu’échec sur échec. Nous ne reconnaissons aucun droit d’aînesse sur la ZAD. Depuis l’arrivée des squatteuses et des squatteurs, la lutte a changé de nature : il ne s’agit plus de s’opposer uniquement à la construction d’un aéroport pour préserver quelques hectares de terres agricoles polluées par les pesticides et les engrais chimiques, mais de se réapproprier collectivement les terres, les maisons, et tenter de libérer ce territoire de l’emprise étatique et de la propriété privée.

L’Acipa et les autres bureaucrates souhaitent organiser une chaîne humaine pour « enterrer le projet ». Mais ce qu’ils souhaitent vraiment enterrer, ce n’est pas le projet mais tout ce qui a pu émerger dans la lutte et qui s’éloigne de leur vision normalisée de la vie. La chaîne humaine, nous l’avons déjà faite spontanément le 17 novembre et elle a permis la construction de la Chat-teigne. Les récupérateurs déploient, quant à eux, toute une usine à gaz pour organiser leur grand projet inutile et imposé de Chaîne Humaine Citoyenne (CHC). A la manière d’une grande entreprise centralisatrice et rentable, elle donne des directives, liste les slogans autorisés (3), planifie la fabrication de panneaux à partir d’un site pilote et contrôle leur diffusion en instaurant une procédure bureaucratique : toute implantation doit avoir l’aval du Comité central.

Dans leur délire spectaculaire, ils ont décidés de louer avec l’argent des dons, un hélicoptère pour les journalistes après avoir même projeté d’utiliser des drones pour produire des images de leur rassemblement. Pour une fois que l’hélicoptère de la gendarmerie ne survolera sans doute pas la ZAD, on aura le droit à celui des bureaucrates. Lorsque des individu-es se sont publiquement opposé-es à l’hélicoptère, il leur a été répondu, dans une langue de bois politicarde que le projet était déjà trop avancé et qu’il était trop tard pour revenir dessus.

Contre les bureaucrates, la pacification et la récupération,

Déchaînons-nous !

(1) « L’ACIPA et l’ADECA regrettent que des tranchées aient été creusées sur la seule route encore utilisable normalement, offrant un prétexte à l’affrontement et entraînant l’escalade de la violence de part et d’autre. » (communiqué du 15 avril 2013)

(2) L’ACIPA condamne ces «comportements violents et inutiles qui vont entraver l’amorce de dialogue qui se dessinait avec les pouvoirs publics» (Libération, 15 avril 2013)

(3) D’autant plus qu’il sont imbéciles et enfermés dans une rationalité économique pro-capitaliste (par exemple : « Fragilisation de l’usine Airbus Bouguenais »).

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[Publié sur Indymedia Nantes le 17 avril 2013]

Pour mémoire :
L’ACIPA n’hésite pas à dénoncer des camarades qui ne suivent pas « le bon chemin »…(7 mars 2013)
Nantes/Nddl : premières prises de distance avec les dégradations de locaux du PS (8 novembre 2012, Brèves du désordre)
Nantes 24 Mars à Nantes : Tactique vs contenus – L’illusion de l’unité et la tentation de la gauche (8 avril 2012)

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Pour en finir avec « l’affaire » de Labège

Cette banale action directe contre les institutions répressives, mince réponse à leur violence quotidienne a déclenché cette enquête toujours en cours aujourd’hui. La justice n’aime pas que son rôle soit révélé et attaqué au grand jour, et s’attache à calmer les actes de solidarité entre oppriméEs. Nous affirmons notre solidarité avec ce type d’action directe, comme lorsque des ouvrierEs saccagent une préfecture, des employéEs séquestrent leur patron, des habitantEs des quartiers se défendent contre une agression policière, des étudiantEs bloquent leur fac, des anti-nucléaires sabotent des lignes THT, des femmes voilées privées de carte tisséo (metro toulousain) occupent une régie de transport, des mal-logés réquisitionnent un bâtiment, des Roms résistent à l’expulsion de leur camp, des sans-papiers brûlent un centre de rétention, des paysans déversent du fumier sur les bétonneurs… Contre tout cela, c’est une pratique habituelle des forces de répression que de se saisir d’un prétexte pour aller défoncer des portes, arrêter des personnes et les mettre eux-elles et leur entourage sous surveillance pour une durée indéterminée. L’État construit des cibles, des identités chocs, du « jeune de banlieue » à « l’anarcho-autonome » en passant par le « djiadiste » afin de transformer un acte relativement banal en prémisse d’un danger pour l’ensemble de la population. Si balancer du fumier était répréhensible en soit, ça puerait pour la FNSEA !! Au final, dans la guerre de classe en cours, ce sont les mêmes qui morflent, les pauvres et les révoltéEs.

Le signal est clair : hors des clous de la résignation et de la contestation balisée, point de salut. Les attaques portées à ces « ennemiEs intérieurEs » sont des avertissements donnés à touTEs les autres qui voudraient contester l’ordre établi. Tentatives toujours amenées à se reproduire puisque les conditions d’exploitations actuelles nous poussent encore et toujours à nous révolter ou pour le moins à contourner les règles.

A propos de l’enquête et des contrôles judiciaires (les passages en italique sont des copié-collé du dossier d’instruction)

Le dossier ne comporte que très peu d’éléments justifiants l’intervention en grande pompe du 15 novembre .

Ils s’appuient d’abord sur un rapport de police dénonçant les inculpées comme appartenant « à la mouvance ultra gauche toulousaine dont un des thèmes forts défendus et dénoncés par ces militants est l’existence d’un établissement pénitentiaire pour mineurs à LAVAUR (81). Outre l’intérêt porté par ces militants à cette cause, l’éventualité de leur participation à l’action, objet de la présente procédure, est corroborée par plusieurs éléments probants :
- le tract laissé sur les lieux par les militants fait apparaître un style et une terminologie à rapprocher des textes les plus actuels de la pensée autonome ; – l’utilisation de produits ammoniaqués caractérise une précédente action destinée à perturber le déroulement d’une réunion d’information portant sur les nanotechnologies, autre thème récurrent pour la mouvance ultra gauche.
 » Et hop, voilà des coupables tout trouvés !!

Ensuite, il y a un pauvre sac à dos contenant des vieux papiers nominatifs, des écoutes et liens téléphoniques démontrant que certaines sont potes, amantes, voir même colocs… Et puis il y a 5 ADN non identifiés retrouvés sur des fringues à 50mètres de la PJJ. C’est d’ailleurs sous le sale prétexte d’attendre les résultats des comparaisons entre ces ADN et ceux prélevés pendant GAV sur les fourchettes et autres gobelets, que le juge d’instruction Suc maintient 4 d’entre eux en détention provisoire pendant 2 à 3 mois. Un correspondrait selon leur labo.

Et bien sûr, les livres, affiches, tracts, autocollants sur les frigos, trouvés pendant les perquis sont utilisés pour fabriquer les profils d’anorcho-truc-truc. Bref, du lourd….

Depuis fevrier 2012 rien. Enfin, pas vraiment, puisque les inculpées sont toujours sous contrôle judiciaire leur interdisant de se voir, d’habiter chez eux et chez elles, de sortir du territoire, et les obligeant à pointer régulièrement. Cette pression de basse intensité qu’est le CJ censée empêcher de s’agiter, les inculpées comme leur entourage la refuse. Les demandes répétées de main levée ou de modification ont toujours été rejetées par les différentes cours d’appel et autres chambres d’instructions. Des décisions justifiées par une commission rogatoire internationale délivrée aux autorités italiennes, pour retrouver deux présumé(e)s coupables encore recherché(e)s (? ??), et des «  risques certains de renouvellement de l’infraction du faits de leur appartenance à la mouvance ultra gauche toulousaine  » (encore elle !!)

Cette instruction n’a que trop duré et sert de prétexte à une mise sous surveillance de toutes les personnes qui de près ou de loin seraient en contact avec les inculpéEs. De proche en proche, comme un parasite, la surveillance se répand, dans une ville comme Toulouse ce sera bientôt l’ensemble des personnes qui s’agitent qui seront fichées dans cette affaire. Alors à partir d’un seau de merde jeté dans une administration et de tags , ce sont des centaines de personnes qui se retrouvent sous surveillance…

Afin de contrer l’individualisation auquel ils/elles sont confrontés dans cette histoire depuis le début, et aussi juste parce qu’ils et elles en ont tout simplement marre, les inculpéEs ont décidés collectivement de mettre fin à leurs contrôles judiciaires et de le faire savoir.

Arrêt immédiat de l’instruction.
Levée des poursuites.
Solidarité avec tous les révoltéEs.

 

Les inculpéEs de Labège, leurs proches, et leurs amiEs.


PS : Les résultats du procès ADN du 14 mars sont tombés : ce sera donc 300 euros d’amende chacun(e) pour les 5 personnes inculpées, mais aussi pour le témoin assisté et la personne mise hors de cause grâce à un billet d’avion.

Pour envoyer un soutien financier ou juste écrire : CAJ c /o Canal Sud 40 rue Alfred Dumeril 31400 Toulouse – nonalepm@riseup.net

Chèques à l’ordre du CAJ

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[Lu sur Indymedia Paris le 17 avril 2013]


• Pour mémoire sur « l’affaire » de Labège : ici
Quelques notes sur le contrôle judiciaire…

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[Genevilliers] Ivan et Janos, interpellés pour « diffamation envers la police»

Ce lundi 15 avril après-midi, Ivan et Janos, membres du Réseau Résistons ensemble contre les violences policières et sécuritaires, diffusaient le petit bulletin mensuel du Réseau qui existe depuis 2002, et est à son 118ème numéro dans la Cité du Luth à Gennevilliers(92). Ils ont été arrêtés par 8 policiers sortis de trois voitures de la BAC et d’une voiture de police /sérigraphiée/, garées en travers de la chaussée, bloquant le trafic. Puis ils ont été amenés sous la contrainte au commissariat de Gennevilliers dans des véhicules séparés. Une fois au commissariat ils ont été placés en cellule de garde-à-vue, leurs empreintes ont été relevées et ils ont été pris en photo. Lors de leurs auditions respectives on leur a signifié l’accusation d’avoir détenu des affiches et tracts dont le contenu serait considéré par la police comme diffamatoire. On leur a également signifié qu’ils pourraient être convoqués pour la poursuite de cette affaire. Ils ont pu sortir du commissariat après ce qui curieusement leur a été présenté comme des « auditions libres », plus de deux heures après leur arrestation. A leur sortie les policiers ont refusé de restituer le matériel saisi et ainsi que de leur délivrer un reçu.

Le 16 avril 2013

Contact : ijsolidarite[a]free.fr

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Solidarité anarchiste contre l’Europe des polices et toutes les autorités (actualisé)

Le 13 juin 2012, après différentes opérations contre d’autres compagnons, l’Etat italien lançait une vague de répression contre des dizaines d’anarchistes, dénommée « Ardire », portant à 40 perquisitions, 24 mises en examen et 8 incarcérations. Cette fois-ci, il entendait même lui donner une dimension supplémentaire, en inculpant aussi des compagnons déjà incarcérés dans plusieurs pays européens, comme la Grèce, la Suisse et l’Allemagne. Comme d’habitude, l’Etat prétend voir sa gueule autoritaire dans le sourire de ses ennemis irréductibles, en construisant par exemple des rôles de chefs, d’exécutants et de coordinateurs au sein d’une énième « association terroriste », là où il y a des affinités, des correspondances avec les prisonniers, des luttes et des volontés d’en découdre. C’est ainsi que Gabriel Pombo da Silva et Marco Camenish, incarcérés depuis de longues années, se retrouvent dans cette enquête suite à une grève de la faim internationale menée en décembre 2009, traités de « symboles et points de référence d’un nouveau projet subversif », dont ils seraient « les idéologues et les propulseurs ».

Après 20 années passées dans les geôles espagnoles (dont 14 en régime FIES) qu’il parviendra à fuir. Arrêté en 2004, Gabriel refera 9 années supplémentaires en Allemagne suite à un contrôle et à une fusillade avec les flics dans ce pays. Extradé vers l’Espagne le 25 février dernier pour y purger la fin de la peine qui l’y attendait, il a déjà été transféré trois fois en moins de deux mois. Désormais dans la prison de Valdemoro (Madrid), il sera auditionné à l’Audiencia Nacional mardi 16 avril 2013, pour que lui soit notifié le Mandat d’Arrêt Européen lancé contre lui en mars par l’Italie, dans le cadre de l’opération « Ardire ». Gabriel est déterminé à refuser cette mesure. Si la procédure est néanmoins validée, il devrait repasser pour décision devant trois juges environ une semaine plus tard, cette fois lors d’une audience publique…

A travers cette requête contre Gabriel pour certainement l’expédier dans l’aile de la prison de Ferrara (Italie), construite spécialement pour briser les anarchistes, et où plusieurs compagnons sont déjà à l’isolement, il s’agit d’un avertissement contre tous. Parce que les têtes doivent rester baissées, les bouches bâillonnées et les yeux fermés. Mais c’est un avertissement que nous suivrons jamais. Au milieu des prisonniers de ce monde, nous tirons aussi notre force de la non-participation, de l’insoumission, du refus face à toutes les obligations qu’ils nous invitent à respecter, et du conflit permanent avec les institutions. Et nous continuerons à défendre que, si on ne peut pas échapper à cette réalité, on peut cependant l’attaquer sous toutes ses facettes. Seuls ou en bonne compagnie, de jour comme de nuit, par les faits et par les mots.

A présent que l’Etat italien demande de lui livrer Gabriel Pombo da Silva pour continuer son sale travail, montrons leur que si les puissants savent faire concorder leurs intérêts, nous pouvons aussi leur opposer une de nos armes, celle de la solidarité des deux côtés du mur, entre prisonniers de la guerre sociale, qui elle non plus ne connaît pas de frontières.

Non au transfert de Gabriel vers l’Italie,
A bas tous les Etats, leurs enfermements, leurs flics, leurs tribunaux et leurs trafics de prisonniers,
Liberté pour toutes et tous !

Des anarchistes internationalistes,
13 avril 2013

[Tract écrit pour différentes initiatives publiques de soutien à Gabriel Pombo da Silva en Espagne]

Pour lui écrire :

Centro Penitenciario Madrid III
Ctra. Pinto-San Martín de la Vega, km 5,
28340 Valdemoro (Madrid)

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[Traduit de l’espagnol de Indy Barcelone par les Brèves du désordre]

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Actualisation : Mardi, 16 avril 2013, Gabriel est passé devant la audiencia nacional. Il n’a rien déclaré sur les faits dont il est accusé en Italie, refusant ainsi d’entériner de fausses catégories comme l’innocence et la culpabilité. Seule la validité du mandat d’arrêt européen contre lui a été examinée. Les arguments de la défense ont été acceptés par le tribunal ce qui a eu pour résultat de bloquer l’exécution du mandat d’arrêt. Pour l’instant, aucun délai n’a été fixé pour une prochaine audience.

Le compagnon reste ferme et garde toute sa force. Pour notre part, nous suivrons de près les basses manœuvres des divers Etats qui, par leurs lois, leurs guerres et la destruction généralisée n’hésitent pas à semer la terreur pour accroître le contrôle sur tous les aspects de la vie et tirer profit de tout.

Avec rage et révolte. Pour l’anarchie !

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[Bagnolet] Rencontres sans frontières, le 4 mai au Transfo’

rencontres

Les frontières sont omniprésentes sur chaque portion de territoire. Fichiers internationaux, rafles, vidéo surveillance… chaque contrôle peut aboutir à l’enfermement et à l’expulsion. Parallèlement, aux quatre coins du monde, les frontières qui séparent les pays se technologisent et se militarisent. Face à cela des individus, avec ou sans papiers, résistent et se révoltent.
La question des luttes contre les frontières se pose partout : de la Grèce, où des personnes s’organisent avec des migrant-e-s contre les fascistes et les flics, à l’Italie où les prisons pour étranger-e-s sont fréquemment détruites de l’intérieur, en passant par le nord de l’Afrique où les révolutions ont facilité le départ de nombreux harragas vers les métropoles européennes.
De plus, des sabotages petits ou grands viennent enrayer la machine à expulser : de la destruction des centres de rétention aux révoltes individuelles ou collectives ; de l’attaque des charognards humanitaires, capitalistes et politiciens qui se renforcent grâce aux frontières jusqu’aux divers actes quotidiens de résistance au contrôle et à l’enfermement…
En région parisienne, le 16 novembre 2012, une manifestation a eu lieu devant le centre de Vincennes, suite à laquelle une assemblée de coordination contre les centres de rétention et la machine à expulser s’est créée et s’est tenue pendant quelques mois. Dans le même temps, départs de feu, mobilier cassé, évasions se sont succédés à Vincennes et à Palaiseau. Si cette assemblée n’existe plus aujourd’hui, plusieurs de ces participant-e-s continuent à lutter contre la machine à expulser et ont voulu proposer ces rencontres sans frontières.
Des compagnon-ne-s de Turin, Marseille et Bruxelles seront présent-e-s pour partager leurs parcours de lutte, passés ou présents, à partir desquels pourront notamment s’approfondir les points suivants :
Comment tenter de construire un parcours autonome. Un parcours qui ne laisse pas de place aux partis et aux syndicats, qui tente de s’attaquer sans médiation à la machine à expulser. Un parcours avec sa propre temporalité et ses propres perspectives, qui suive une continuité. Un parcours qui permette d’avoir les outils pour faire face aux moments d’intensification des luttes tels une révolte dans un centre ou l’arrivée en nombre de migrant-e-s.

L’importance de construire un rapport de solidarité avec les luttes à l’intérieur des prisons pour étranger-e-s, d’être attentifs/ives à ce qu’il s’y passe. Comment créer des liens de confiance entre l’intérieur et l’extérieur ne servant pas seulement à la contre-information mais permettant d’apporter une solidarité concrète aux révoltes et de fournir des bases solides pour nos luttes.
Ce sera l’occasion de confronter nos approches des luttes, prendre le recul nécessaire, ainsi que de nous nourrir d’expériences pour en élaborer de nouvelles. L’occasion de rencontrer des complices et de créer des liens sur des bases anti-autoritaires.
Parce que s’affronter aux frontières permet de construire des luttes dépassant la question spécifique des migrant-e-s et des centres de rétention, en articulant cette question avec celles des prisons, du travail, de la ville. Pour s’en prendre à quelques-unes des racines de ce monde basé sur le pouvoir et la marchandise et en finir avec.
Parce que tant qu’il y aura des frontières, des centres de rétention, des prisons, perdureront les Etats, le pouvoir et l’argent.
Nous invitons à ces rencontres tou-te-s celles et ceux qui désirent lutter contre les frontières et la machine à expulser.

Rencontres sans frontières
Samedi 4 mai 2013 à partir de 13 heures
Au transfo, 57 avenue de la république, Bagnolet 93 !
M.9 robespierre ou M.3 gallieni
https://transfo.squat.net

Les discussions pourront se poursuivre le dimanche.
Pour plus d’infos : rencontrescramai [a] riseup.net

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La prison existe parce que nous ne sommes libres nulle part

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La prison existe parce que nous ne sommes libres nulle part

Tout ce monde est une prison.
Taules, tribunaux, commissariats, centres de rétention, établissements pour mineurs, hôpitaux psychiatriques, bracelets électroniques, mise à l’épreuve et toute la toile d’araignée de la justice…
L’enfermement marque cette société.

A l’école, au boulot, pendant nos déplacements, même dans notre « temps libre », des horaires, du temps pressé, du temps gaspillé, du temps perdu. Tous les jours on n’attend rien d’autre que la journée finisse et la vie nous échappe petit à petit.
Du temps sans émotions, avec des rythmes carcéraux.
Dans les villes, bureaux, magasins, usines, transports en commun, même dans les lieux d’habitation : caméras, écrans de toutes sortes, babioles technologiques, antennes relais, centrales nucléaires, lignes de haute tension, bâtiments d’un gris morne, espaces conçus pour bagnoles et marchandises et pas pour des humains, codes d’accès, antivols, murs, grilles, barrières et barbelés…
Une technologie mortifère et une architecture carcérale.
Dans la vie de chacun, depuis le plus jeune âge : flics, vigiles, contrôleurs, patrons, proprios, chefs, politiciens, balances, psys, assistants sociaux, profs, éducateurs, et maîtres à penser de toutes sortes.
Et matons…
Les lois de l’Etat, le fonctionnement de l’économie, les codes sociaux, le patriarcat, les religions, la morale traditionnelle, le conformisme étouffant, souvent même nos peurs et nos désirs, ce qu’on a fait de nous.
Des normes pour une vie sans liberté.

La prison est le paradigme de ce monde et son pivot. Une société comme celle-ci, fondée sur l’autorité, ne peut pas se passer de l’enfermement.
Qu’on les appelle prisons ou autrement, que les cages soient plus ou moins sordides, plus ou moins « virtuelles », tant que cette société ne sera pas abattue de ses fondements elle privera toujours les individus de leur liberté. Cela de façon évidente et exemplaire pour les récalcitrants, de façon « normale » et anodine pour tous et toutes.
S’il n’y avait pas de prisons pour broyer celles et ceux qui ne se résignent pas, pour essayer d’apeurer et donc faire marcher au pas tout le monde, beaucoup moins d’individus accepteraient cette existence. Ce simulacre de liberté qui nous est octroyé.

Ce monde entier est une prison et il n’y a pas de dehors, il n’y a pas d’évasion possible.
Si nous voulons être libres, il faut détruire la prison sociale.
Et elle est faite de mille petits rouages, de mille rôles sociaux, mille normes que chacun rencontre ou incarne dans son quotidien…

C’est seulement par la révolte que nous pourrons prendre nos vies en main !

[Tract trouvé sur les routes de Picardie, mars 2013.]

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[Lu sur la Base de données anarchistes le 10 avril 2013]

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[Bruxelles] En lutte ! Contre la construction d’une maxi-prison et tout ce qui nous opprime

L’État veut construire 13 nouvelles prisons, dont une au nord de Bruxelles, à Haren. Soi-disant pour fermer St gilles et Forest. Ce projet nous fout la rage ! La taule de Haren sera la plus grande prison jamais construite en Belgique. Elle pourra enfermer au moins 1200 personnes, et concentrera la plupart des régimes carcéraux qui existent : des femmes, des mineurs, des prévenus en attente de jugement, des personnes sous internement psychiatrique. Et même un tribunal pour ne plus avoir à faire de transferts.
Nous luttons contre ce projet parce que les taules nous font horreur, que nous ne voulons d’aucune prison, pas même des nouvelles hyper modernes et des mensonges d’humanisation qui vont avec. Ils veulent nous endormir avec leur discours, mais une cage reste une cage. Les prisons, servent à enfermer ceux qui nuisent au pouvoir. Ils sont privés de leur liberté de mouvement et parqués comme des chiens, cachés derrière des murs, pour bien nous faire comprendre ce que ça coûte de pas respecter les lois. Régulièrement, des personnes sont torturées par les matons qui se croient tout permis. La loi couvre les tabassages, et les scandales qui éclatent de temps à autre le prouvent bien. L’Etat se garde le monopole de la violence pour nous maintenir sous contrôle et que nous restions de bon petits citoyens obéissants et travailleurs. Et les autres finiront au trou!

Nous ne luttons pas pour « dénoncer les mauvais traitements », ni exiger de meilleurs conditions de détention, une meilleure police ou un capitalisme moins brutal. On n’a aucun espoir que l’Etat nous écoute, on n’a rien à attendre ni à demander. Que ce soit en Grèce ou en Espagne, y’a des milliers de gens dans les rues, qui expriment leur dégoût et leur colère, et l’Etat leur envoie les keufs et multiplie les mesures d’austérité. En vrai, la répression devient de jour en jour plus présente, et le pouvoir lui, renonce à aucun de ses projets pour faire toujours plus de fric. On licencie des milliers de personnes d’un côté, et on construit des taules de l’autre. La crise c’est pas dans le sécuritaire, on pourra devenir maton, vigile, ou contrôleur! Mais si on mange pas de ce pain là, et qu’on choisit la débrouille en marge de la loi, ce sera p’têt les anciens collègues de boulot qui auront les clés de notre cellule…

On est tellement scotché dans la survie que c’est dur de capter ce qui se trame. Et ça, c’est tout sauf un hasard. On est tellement moins dangereux abruti par le taf, la télé et les pubs! Obligé de trouver du fric, de travailler pour payer notre vie de galérien, notre loyer toujours trop cher pour un espace minuscule, notre bouffe pleine de poisons. On nous bourre le crâne jusqu’à ce qu’on trouve ça normal de passer notre vie à taffer et à se consoler en achetant des télés, des portables et des fringues. On veut nous dresser à coup de propagande. Citoyens par ci, intégration par là, droit de vote, « liberté » de manifester, « liberté » de s’exprimer. On nous a tellement répété que la démocratie c’était mieux que la dictature qu’on n’ose même plus réfléchir à ce que ça veut dire « liberté » . Mais qu’est ce qu’on attend ? Des gens torturés à mort par les keufs, ou qui se font tabasser salement en manifs, y’en a déjà. Des caméras pour nous surveiller, y’en a déjà. Et des flics avec des uniformes de toutes les couleurs à tous les coins de rue pour que ça fasse pas trop peur aux touristes, aussi. Y’a tout un paquet de prisons qui se prépare! Tout est mis en place pour qu’on accepte bien gentiment de faire tourner ce monde de merde.

Y a pas de mot suffisant pour décrire ce qu’on subit tous les jours. Tout le monde en bave, c’est chacun pour soi alors que tout le monde galère. Mais tant qu’on est vivant, on a la possibilité de reprendre sa vie en main. Comme en Egypte ou en Tunisie, un petit accrochage peut embraser la ville. Tous les pouvoirs gardent bien en tête que ça peut péter d’un moment à l’autre. Ceux qui ont la puissance et le fric ne sont pas prêts à lâcher leurs privilèges. Ils font tout pour écraser les possibilités de révolte, parce qu’ils savent très bien que leur pouvoir n’est pas indestructible. Ils voudraient canaliser nos rages pour qu’on respecte les « lois » et « la démocratie », et qu’on perde notre temps avec des partis politiques ou des syndicats, à faire semblant d’améliorer le quotidien. C’est juste une façon de plus pour qu’on reste calme, et que toute cette colère qu’ils créent ne se transforme pas vraiment en menace. Mais on n’a pas besoin de ça. On n’a pas besoin de chef, pour nous dire quoi faire et comment, même si on arrête pas de nous faire croire que la hiérarchie c’est indispensable. On peut décider pour nous mêmes. On peut très bien s’organiser, en se rencontrant, et même en petit nombre, discuter de tout ce qui peut être fait.

Parce que cette nouvelle taule va pas seulement nous compliquer la vie.
Parce qu’elle va aussi rajouter une couche de souffrance, puisque ce sera 1200 personnes en plus dans les cages de l’Etat.
Parce que la vie s’annonce de plus en plus difficile, et que de plus en plus de personnes vont se retrouver avec la menace de la taule au dessus de leur tête.
Parce que le pouvoir a besoin de cette taule pour nous faire peur et qu’on se tienne tranquille.

Cette prison ne sera pas construite sur notre résignation. Ce chantier peut être empêché, mais surtout, le pouvoir est partout autour de nous, et partout où il est, il peut être attaqué. Il n’y aura jamais assez de flics pour surveiller tout qui permet à la ville de nous étouffer. Soyons ingouvernables, et attaquons tout ce qui nous détruit!


Rassemblement St-Gilles

Après des distributions assez intensives de nombreux tracts (dans la rue, sur le marché, dans les boîtes aux lettres, devant les prisons, dans les prisons, aux sorties de métro,…) les jours précédents, un rassemblement contre la construction d’une maxi-prison a eu lieu le samedi 16 mars à côté de la Porte de Hal (St-Gilles).
Quelques dizaines de personnes ont participé au rassemblement, qui a surtout permis de marquer la volonté d’une lutte radicale contre cette nouvelle prison et ce qu’elle signifie dans les transformations de Bruxelles. Deux banderoles étaient accrochées, il y avait du son et une table de presse avec des tracts, brochures, autocollants, affiches etc. Comme lors des distributions précédentes, les réactions des gens dans la rue étaient, en général, franchement sympathiques et intéressées, démontrant parfois une claire volonté de lutter.
Il s’agit donc de s’auto-organiser pour donner corps et âme à cette lutte, pour trouver des angles d’attaques et des espaces autonomes de discussion, loin des partis, syndicats et politiciens de tout genre. Lors du rassemblement, la police était présente dans les rues alentours (une dizaine de fourgons anti-émeute de la police fédérale, l’autopompe et quelques équipes de flics en civil), mais n’est pas intervenue.

Dans le quartier bien couvert d’affiches contre la maxi-prison, de graffitis, de banderoles, une petite manif sauvage contre la construction d’une maxi-prison et la ville-prison à parcouru quelques jours plus tard les rues de Saint-Gilles, faisant beaucoup de bruit à coups de « Ni flic, ni maton, ni maxi-prison – Ni fric, ni patron, vive la rébellion » et de pétards.

Partout et toujours, la liberté ne se donne pas, elle se prend. Que la peur change de camp et que la lutte reprenne la rue !

Pour plus de nouvelles sur la lutte contre la construction d’une maxi-prison à Bruxelles, allez sur www.lacavale.be où se trouve également un court-métrage Maxi-prison vs Maxi-rébellion.


[Publié dans Hors service n°35, 5 avril 2013]

Rappel :
[Bruxelles] Non à la maxi-prison – numéro unique contre la construction d’une maxi-prison à Bruxelles, le 26 mars 2013
Non à la construction d’une maxi-prison à Bruxelles, le 10 mars 2013
Luttons contre la construction d’une maxi-prison à Bruxelles, le 6 décembre 2012

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Vouloir

Nous voulons rompre avec la routine quotidienne. On est piégé en permanence dans une toile d’obligations. Dans un carrousel qui ne cesse de tourner. Si on ne travaille pas, on ne peut plus payer les comptes. Si on ne paye plus les comptes, tout est coupé et on est expulsé de la maison. Nous nous levons le matin pour aller au boulot, le soir nous rentrons fatigués, sans envie de créer nos propres projets ou de vivre nos passions. Il est plutôt clair qui si rien ne change, on ne fera pas demain ce qu’on ne fait pas aujourd’hui. Le train d’obligations et de stress permanent qui nous écrasent, cherchent toujours à nous décourager pour prendre nos vies en mains et les vivre à notre guise. Courbé, on accepte tout.

Nous voulons en finir avec la lutte pour la survie dans laquelle on est jeté. Jour après jour tenter de boucler les fins du mois. Espérer que ce sera le tour au voisin d’y succomber et pas le nôtre. Et à première vue, il ne semble pas que les temps vont s’améliorer. On doit regarder les choses en face : c’est à chacun de nous de reprendre sa vie en main. Nous ne pouvons pas attendre, nous n’y avons tout simplement ni le temps, ni l’envie.

Nous voulons détruire toutes les institutions qui nous font avaler la merde quotidienne. Depuis qu’on est né, il y a eu partout des personnes cherchant de nous avilir et de nous abrutir afin de participer à la marche de l’acceptation. Sur les bancs de l’école, ils nous apprennent à obéir et ne pas bouger. On nous raconte combien belle et géniale serait notre société. Et les tâches qui salissent cette image, comme par exemple les prisons ou la différence entre riches et pauvres, sont couvertes par le manteau du « mal nécessaire ». Ensuite, il faut trouver du boulot, faire carrière. Car celui qui ne veut pas travailler, n’aurait pas de sens de responsabilité. Si nous ne voulons pas accepter toute cette merde, il y aurait certes quelque part un assistant social pour nous remettre sur le droit chemin, avec un peu de force. Et derrière l’assistant, le flic, le juge et le maton attendent pour tenter de nous briser.

Nous voulons l’action directe pour éliminer tous les obstacles qui nous oppriment. Nous ne voulons pas attendre jusqu’à ce qu’un quelconque politicien cherche de nouveau à nous faire croire qui si nous voterons pour lui ou le suivrions, tous nos problèmes seront résolus. Et nous ne voulons pas nos plus les lendemains qui chantent ou l’au-delà sacré. Personne ne nous prendre à la remorque. Ici et maintenant, nous passerons à l’action que nous estimons nécessaire et souhaitable. Toute institution, tout politicien, tout patron, tout chef trouvera en nous toujours des ennemis. Nous rompons avec le train train quotidien et l’acceptation d’un monde qui put la mort, l’obéissance et l’oppression.

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[Publié dans Hors service n°35, 5 avril 2013]

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Hors service n°35

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Les textes du n°35 sont lisibles un à un ici.

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[Alfredo M. Bonanno] La méthode insurrectionnelle

L’insurrection de grandes parties ou de toute une population à un moment donné, présuppose quelques éléments déjà existants, à savoir la décomposition des conditions sociales et économiques, ou l’incapacité de l’État à maintenir l’ordre et à faire respecter les lois. Mais elle présuppose également l’existence d’individus et de groupes d’individus capables de saisir ce bouleversement au delà des signes extérieurs par lesquels il se manifeste. Il faut donc, chaque fois, savoir regarder plus loin que les motivations souvent circonstancielles et secondaires qui accompagnent les premiers foyers insurrectionnels, les premiers affrontements, les premières escarmouches afin de pouvoir apporter sa propre contribution à la lutte, et de ne pas la freiner ou la sous-estimer comme une simple réaction de souffrance confuse à l’égard de la domination politique en place.

Mais quels sont les individus préparés à affronter une telle tâche ? Ce pourraient être les anarchistes, non pas du fait de leurs choix idéologiques fondamentaux, de la négation de toute autorité qui les caractérisent, mais plutôt en tenant compte de la capacité critique de réflexion sur les méthodes de lutte et les projets organisationnels dont ils devraient disposer.

Seul celui que se rebelle et qui s’est déjà rebellé, ne fut-ce que dans le microcosme de sa propre vie, seul celui qui a déjà bravé les conséquences de cette rébellion et les a vécues en profondeur, peut avoir les nerfs assez sensibles et les intuitions nécessaires pour saisir les signes d’un mouvement insurrectionnel en marche. Les anarchistes ne sont pas tous des rebelles, et les rebelles ne sont pas tous des anarchistes. Ajoutons qu’il ne suffit pas d’être rebelle pour comprendre la rébellion des autres. Il faut être préparé à comprendre, à approfondir les conditions sociales et économiques qui nous font face. Ne pas se laisser entraîner par la crue des manifestations débordantes du mouvement populaire, lorsque celui-ci déferle, le vent en poupe, et que les premiers succès hissent les drapeaux de l’illusion. La critique est toujours le premier instrument, le point de départ. Ce n’est pas d’une évaluation grossière des pour et des contre dont nous avons besoin. Mais d’une critique participative, qui s’adresse au cœur et fait vibrer d’émotion le conflit qui nous oppose aux ennemis de toujours, lorsque ceux-ci se retrouvent défaits pour la première fois, le nez dans la poussière.

Mais un rebelle ne suffit pas, pas plus que cent rebelles rassemblés n’y suffiraient. Ils seraient comme cent molécules s’affolant lors du moment destructeur des premières heures, lorsque la lutte s’embrase férocement et entraîne tout sur son passage. Les rebelles, figures importantes tant comme exemples que comme stimulants, finissent par succomber face à l’exigence du moment présent. Poussés à l’attaque par leur conscience, ils se retrouvent tôt ou tard confrontés à une limite indépassable. Ne parvenant pas à voir une issue organisationnelle, ils attendent des suggestions de la masse révoltée, un mot ici ou là, dans les moments vivants de la lutte ou pendant les instants de trêves, quand tous acceptent de parler en attendant de reprendre. Et ils ne se rendent pas compte que lors de tous ces moments exaltants, il y a toujours des politiciens à l’affût. Les masses n’ont pas les vertus que nous avons souvent tendance à leur attribuer. L’assemblée n’est certes pas un endroit où mettre sa vie en jeu, mais nos vies sont mises en jeu par des décisions prises lors de l’assemblée. Les vautours politiques qui pointent leur nez lors de ces moments collectifs ont toujours des idées claires sur ce qu’ils veulent proposer. Ils ont dans les poches un beau programme de récupération, un plan pour le retour à la normalité, pour la restauration de l’ordre. Certes, ils ne diront rien de trop politiquement correct, ce qui leur permet de continuer à se faire passer pour des révolutionnaires. Mais ce sont toujours eux, les mêmes éternels charognards, qui jettent les bases de la reconstruction du pouvoir futur, celui qui récupère l’impulsion révolutionnaire et la canalise par des suggestions édulcorées. De grâce, limitons les destructions compagnons, après tout, ce que nous sommes en train de détruire nous appartient, etc.

Tirer le premier, le plus vite, est une vertu du Far West qui peut être utile à certains moments, mais il faut savoir utiliser sa tête avant, et utiliser sa tête signifie avoir un projet.

L’anarchiste ne peut pas se contenter d’être un rebelle, il doit être un rebelle muni d’un projet. Il doit donc unir le cœur et le courage à la connaissance et l’ingéniosité de l’action. Ses décisions seront éclairées par le feu de la destruction, et alimentées dans le foyer permanent de l’analyse critique.

À présent, et si l’on y réfléchit un instant, aucun projet ne peut tenir solidement sur ses deux pieds s’il naît au plus fort de la mêlée. Il serait stupide de penser que tout doit venir du peuple insurgé : un tel déterminisme aveugle risque de nous livrer bâillonnés au premier politicien venu, qui, du haut de sa chaise, saura tracer quelques lignes organisationnelles et programmatiques, jetant de la poudre aux yeux avec quatre mots alignés de manière rhétorique. Si l’insurrection est en grande partie un moment révolutionnaire d’immense créativité collective, pendant lequel peuvent émerger des suggestions analytiques d’une intensité considérable (pensons aux insurgés de Juillet à Paris qui tiraient sur les horloges), elle ne peut représenter la seule source d’approfondissement théorique et projectuel. Les moments les plus forts du peuple en armes éliminent, bien sûr, tous les atermoiements et les incertitudes préalables. Ils permettent de voir clairement ce qui hier n’était qu’estompé. Mais ils ne peuvent illuminer ce qui n’existe pas. Ces moments sont un réflecteur puissant qui permet la réalisation d’un projet révolutionnaire et anarchiste, mais ce projet doit exister avant, ne serait-ce que dans ses grandes lignes méthodologiques. Il doit avoir été élaboré, même si ce n’est pas dans chaque détail, et autant que possible, avoir été expérimenté.

D’autre part, lorsque nous intervenons dans des luttes de masse et des conflits portant sur des revendications intermédiaires, ne le faisons-nous pas presque exclusivement pour proposer notre héritage méthodologique ? Lorsque des ouvriers d’une usine demandent du travail et cherchent à éviter des licenciements, qu’un groupe de sans-abri cherche à obtenir un toit, que des prisonniers font grève pour obtenir une vie meilleure dans les institutions pénitentiaires, lorsque des étudiants se rebellent contre un enseignement sans culture, tout cela ne nous intéresse que jusqu’à un certain point. En tant qu’anarchistes, nous ne savons que trop bien que ces luttes sont vouées à disparaître et que leur résultat en termes quantitatifs, en terme de croissance de notre mouvement, ne sera que très relatif. Souvent les exclus oublient qui nous sommes et ils n’ont aucune raison de se souvenir de nous. Pas même dans le témoignage d’une forme de reconnaissance. En fait, combien de fois ne nous sommes nous pas demandés ce que nous, anarchistes et donc révolutionnaires, pouvions bien faire dans ces luttes revendicatives, nous qui sommes contre le travail, l’école, contre toute concession de l’État, contre la propriété et toute forme de négociations qui concèderait gracieusement une vie meilleure dans les prisons. La réponse est simple. Nous nous trouvons là parce que nous sommes porteurs d’une autre méthode. Et notre méthode s’incarne dans un projet. Dans ces luttes intermédiaires, aux côtés des exploités, nous proposons un autre modèle, un modèle basé sur l’auto-organisation des luttes, l’attaque, la conflictualité permanente. Ceci est notre point fort. Ce n’est que lorsque les exclus acceptent cette méthode d’attaque que nous sommes prêts à lutter avec eux, ensemble, même si l’objectif reste de nature revendicative.

Quoi qu’il en soit, une méthode restera lettre morte, un ramassis de mots privés de sens, si elle ne réussit pas à s’articuler dans un projet, un projet capable d’affronter les problèmes spécifiques des exclus. S’ils avaient tenu compte de cet aspect, les critiques apeurés de l’insurrectionalisme anarchiste ne se seraient même pas réveillés. Quel est l’intérêt de querelles méthodologiques plus que centenaires si l’on ne prête aucune attention à ce que nous disons ? L’insurrectionalisme dont nous parlons, est bien autre chose que des journées glorieuses passées sur les barricades. Même s’il est possible, à certains moments bien particuliers, que l’insurrectionalisme ait disposé des propositions les plus adéquates à la conduite d’un affrontement sur les barricades. Mais en soi, comme théorie et analyse révolutionnaires, en tant que méthode s’incarnant dans un projet, l’insurrectionalisme ne tient pas forcément compte de tels moments apocalyptiques. Il se développe et s’approfondit indépendamment des drapeaux et de la mitraille.

Nombreux sont les compagnons qui ont pleinement conscience de la nécessité de l’attaque et œuvrent le plus fort possible à sa réalisation. Ils ressentent confusément la beauté de l’affrontement et la bataille contre l’ennemi de classe, sans vouloir pour autant se soumettre à un minimum de réflexion critique. Refusant de débattre de projets révolutionnaires, ils gaspillent l’enthousiasme de leur rébellion qui, en se divisant en milliers de ruisseaux, finit par disparaître dans de petites expressions morcelées par la frustration et la souffrance. Il n’existe pas, évidemment, de typologie homogène de ces compagnons. On peut dire que chacun d’entre eux constitue un univers à part entière, mais que tous, ou presque, partagent une répugnance envers tout discours cherchant à formuler des clarifications méthodologiques. Les distinctions les ennuient. Quel sens y a t-il, me demandent-ils, à parler de groupes affinitaires, d’organisation informelle, de noyaux de base, de coordinations ? Tout cela n’est-il pas déjà suffisamment clair, les abus et l’injustice, l’exploitation et la cruauté du pouvoir, là, juste en face de nous, bien visibles ? Est-ce que tout cela ne s’incarne pas dans des hommes et des choses qui s’allongent au soleil comme si rien ne pouvait les perturber ? Pourquoi se fatiguer avec des discussions qui absorbent tant de temps ? Pourquoi ne pas attaquer immédiatement, ici et maintenant? Pourquoi ne pas s’en prendre au premier uniforme à portée de main ? Un homme « pondéré » comme Malatesta partageait cet avis dans un certain sens, quand il disait préférer la révolte individuelle à l’attentisme qui attend, pour agir, que le monde soit déjà en ruines.

Personnellement, je ne me suis jamais opposé à tout cela, bien au contraire. La rébellion est le premier pas, la condition essentielle parce qu’elle brûle tous les ponts derrière nous, coupe les mille petits fils qui nous lient à la société et au pouvoir, les liens avec la famille, la morale dominante, le travail, l’obéissance aux lois. Mais je ne crois pas que ce soit suffisant. Je crois qu’il faut aller plus loin, réfléchir aux possibilités de donner plus de force organisationnelle à notre propre action – pour transformer la rébellion en intervention projectuelle vers l’insurrection généralisée. Pour aller plus loin que l’insurrection individuelle, plus loin que ce premier pas indispensable.

Il est évident que cette deuxième étape n’est pas innée pour de nombreux compagnons. Ils se sentent étrangers à tout effort dans ce sens et finissent par sous-estimer le problème, ou pire, méprisent les autres compagnons qui prêtent attention et effort à la question organisationnelle.

On le voit, cette discussion touche à des aspects méthodologiques plutôt compliqués. Elle exige donc la mise à disposition de certains concepts qui ne correspondent peut-être pas toujours dans leur signification courante au sens qu’ils prennent dans le contexte d’une théorie d’organisation insurrectionaliste. Cela nous demande surtout d’y porter un peu d’attention critique et de nous libérer de ces préjugés qui limitent parfois nos horizons sans que l’on s’en rende compte. Clarifions donc quelques concepts.

Un groupe anarchiste peut être constitué de compagnons qui ne se connaissent pas. Cela m’est apparu souvent, en Italie et dans d’autres pays, dans des locaux de groupes anarchistes où je ne connaissais quasiment personne. La seule présence dans le local, l’attitude, la façon de parler et de se comporter, les thèmes de discussion, les déclarations personnelles plus ou moins imprégnées de choix idéologiques inspirés d’un anarchisme orthodoxe, font qu’un anarchiste se sent rapidement à l’aise pour communiquer avec les compagnons présents de la meilleure façon possible et à la satisfaction de tous.

Je n’entends pas parler ici de la façon d’organiser un groupe anarchiste. Il y a beaucoup de façon de le faire et chacun choisit la manière qui lui convient le mieux. Mais il en existe une particulière, qui tient compte avant tout, mais pas exclusivement (cela va de soi) de l’affinité réelle ou supposée de tous les participants. L’affinité est un bien qui ne se trouve dans aucune déclaration de principe, dans aucun programme à priori, dans aucune participation à des luttes spécifiques, dans aucun brevet de « militance », quelle que soit l’époque à laquelle il remonte. L’affinité se conquiert à travers la connaissance réciproque. Voilà pourquoi une affinité présumée peut s’avérer limitée après quelques temps, ou au contraire se révélée de plus en plus riche. Le groupe affinitaire est le creuset dans lequel les affinités mûrissent et se renforcent.

Mais parce que la perfection est l’œuvre des anges et non pas des êtres humains, l’affinité relève de la perspicacité intellectuelle et ne peut être acceptée stupidement comme une panacée à toutes nos faiblesses. On ne peut découvrir ses affinités avec quelqu’un qu’en se mettant en jeu avec lui, en s’exposant et en déposant toutes les armures qui nous protègent habituellement comme une seconde peau. Se dévoiler de la sorte ne peut pas se faire uniquement en discourant, en racontant des choses sur soi et en prenant note de toutes les paroles de l’autre. L’affinité se construit à travers les choses que l’on fait ensemble, dans l’action. Certains petits signes inconscients peuvent apparaître dans les actes, qui sont souvent beaucoup plus significatifs que les mots que nous contrôlons mieux. Et c’est de cet ensemble d’échanges que naissent les conditions nécessaires à la connaissance réciproque.

Si toute l’activité du groupe n’est pas dirigée vers le faire pour le faire, la croissance quantitative, la volonté d’être cent tandis que hier, ils n’étaient que dix, si tous ces calculs numériques restent à l’arrière-plan tandis que le but essentiel devient et reste la qualité d’écoute des autres compagnons, la reconnaissance et le renforcement de la tension de chacun vers l’action, le désir de chacun de changer le monde, alors, nous avons devant nous un groupe affinitaire. Dans le cas contraire, la recherche de l’affinité ne reste, une fois de plus, que la recherche d’une épaule sur laquelle s’appuyer pour verser les larmes dont nous ressentons tous l’urgence.

La formation d’un groupe affinitaire n’est donc pas exclusivement liée à des discussions théoriques, mais découle essentiellement de l’activité pratique du groupe, des choix d’une forme d’intervention dans la réalité et les luttes sociales, parce que c’est à travers ces choix que chaque participant peut approfondir sa connaissance des autres compagnons. C’est au sein de ce processus multiple et complexe que s’inscrit l’approfondissement théorique.

L’affinité est donc d’une part la connaissance réciproque et d’autre part la connaissance dans l’action, la pratique et la réalisation de ses propres idées. Le regard en arrière que l’on porte à ses compagnons en sachant qui ils sont, vient renforcer le regard que l’on porte ensemble vers l’avenir, en élaborant un projet qui permettra d’intervenir dans la réalité des luttes, en cherchant à comprendre comment et dans quelle direction. Ces deux moments, le regard en arrière qui construit la connaissance individuelle, et le regard vers l’avant, qui représente la projectualité provenant de la connaissance collective, se rejoignent pour constituer l’affinité du groupe lui-même, en permettant de le considérer sous tous les aspects comme un « groupe affinitaire ».

La situation ainsi obtenue n’est pas figée une fois pour toutes. Elle évolue, se développe et régresse, elle se modifie au cours et au sein des luttes, se nourrit pour s’adapter au niveau théorique et pratique. Ce n’est pas une conception monolithique, il n’y a aucune décision venant d’en haut, aucune croyance à laquelle prêter serment, aucun décalogue auquel se fier dans des moments de doute et de peur. Tout est discuté à l’intérieur du groupe et au cours des luttes, tout est toujours reconsidéré de façon saine, même quand il s’agit de points qui semblaient définitifs.

L’élaboration d’un projet d’intervention reste le patrimoine commun du groupe affinitaire, précisément parce qu’il est le socle le plus approprié pour étudier et approfondir les conditions dans lesquelles on veut agir. Comparé à un groupe qui adhère à une organisation de synthèse, il peut sembler qu’un groupe affinitaire a une vision plus réduite de ses propres possibilités d’intervention. Mais l’amplitude des terrains d’intervention d’une structure de synthèse anarchiste n’est qu’apparence. En fait, un groupe affilié à une organisation de synthèse reçoit une directive lors des moments de congrès, et même s’il est libre de s’intéresser à tous les problèmes caractéristiques d’une société divisée en classes, le groupe agit surtout en fonction de cette directive. Étant lié à des principes programmatiques acceptés une fois pour toute, il peut difficilement en décider autrement. En acceptant de respecter les lignes du congrès, il finit par s’adapter aux limites rigides fixées par l’organisation. Avant toute chose, ces organisations ont pour condition nécessaire et inévitable leur propre survie. Elles « perturberont » donc le pouvoir le moins possible afin d’éviter « leur mise au ban ».

Le groupe affinitaire évite toutes ces limites, parfois facilement, parfois uniquement grâce aux décisions courageuses prises par les compagnons qui en font partie. Cela ne change rien au fait qu’une structure de ce type ne saurait donner du courage à des compagnons qui en sont dépourvus. Prendre la décision d’attaquer ne peut naître que de la rébellion bouillonnante de chacun de ses membres. Aucune action ne peut sortir d’une telle structure si tous décident de ne s’y consacrer qu’à des bavardages quotidiens.

Après avoir passé la réalité au crible, trouvé les documents indispensables et formulé les analyses, le groupe affinitaire décide de prendre l’initiative. C’est une des caractéristiques fondamentales d’une structure anarchiste de ce type. Elle n’attend pas les problèmes comme une araignée attend ses proies sur sa toile. Elle va à leur rencontre, elle cherche une solution qui, une fois mise en perspective, doit évidemment encore être acceptée par les exclus qui en subissent directement les effets négatifs. Mais pour formuler une proposition projectuelle dans un contexte social marqué par une attaque particulière du pouvoir, pour organiser une attaque spécifique et bien identifiée sur un territoire donné ou contre une ou plusieurs sources répressives, il faut être physiquement présent sur le terrain, parmi les exclus, et disposer d’une connaissance approfondie des problèmes qui caractérisent ce fait répressif.

Ainsi, un groupe affinitaire finit toujours par cibler une intervention localisée pour affronter ensemble, avec d’autres personnes, un problème spécifique. En créant toutes les conditions psychologiques et pratiques, individuelles et collectives pour un approfondissement théorique, il apporte les moyens qui permettront de combattre le problème par les méthodes caractéristiques de l’insurrectionalisme : auto-organisation, conflictualité permanente, attaque.

Un groupe affinitaire seul ne dispose pas toujours des capacités pratiques et théoriques correspondant à une telle intervention. Il y faut souvent – du moins, c’est ce que les expériences (limitées et controversées) ont démontré – une convergence de forces plus vastes liée à l’ampleur du problème, à la complexité de l’intervention, à l’étendue du territoire et à l’évolution graduelle des moyens à utiliser pour diffuser le modèle projectuel. Il est indispensable, par conséquent, d’entretenir des contacts permanents avec d’autres groupes affinitaires pour élargir les capacités d’intervention, pour rassembler un nombre suffisant de compagnons, pour réunir les moyens disponibles et disposer d’une vision claire à l’égard de la complexité et de la dimension du problème en question.

Ainsi naît l’organisation informelle.

Plusieurs groupes affinitaires anarchistes se rejoignent pour donner vie à une organisation informelle lorsque l’objectif ne peut pas être atteint par l’intervention d’un seul groupe affinitaire. Ces groupes doivent évidemment partager les grandes lignes de l’intervention afin de pouvoir participer aux actions pratiques et aux élaborations théoriques.

Il arrive souvent, dans la pratique, que les rapports informels entretenus par des groupes affinitaires s’installent durablement. Ils se consolident lors de réunions périodiques, de préparations de luttes spécifiques ou – mieux encore – de rencontres au cours de la lutte même. La circulation d’informations sur les interventions singulières, sur les projets en voie de développement, sur les sollicitations provenant du monde des exclus en est grandement facilitée.

Le « fonctionnement » d’une organisation informelle est très simple. Elle n’a pas de nom puisqu’elle ne recherche pas une croissance quantitative. En dehors des groupes affinitaires, qui agissent de manière autonome, pas de structures fixes (le terme « informel » n’y aurait plus aucun sens). Pas de « moments fondateurs », pas de congrès mais de simples réunions périodiques (organisées de préférence pendant la lutte en cours). Pas de programmes, hormis le patrimoine commun des luttes insurrectionnelles et de leur méthodologie : auto-organisation, conflictualité permanente, attaque.

En positif, le but de l’organisation informelle est déterminé par chaque groupe singulier qui la forme. Il s’agit, en général et selon les quelques expériences connues, d’un problème spécifique (comme par exemple la destruction d’une base militaire de missiles à Comiso dans les années 1982-83), mais il peut tout aussi bien porter sur une série d’interventions. L’organisation informelle se manifeste alors en proposant des possibilités d’intervention aux différents groupes dans différentes situations, en se relayant, par exemple, lorsqu’une présence prolongée à un endroit donné est considérée comme nécessaire (à Comiso, les groupes sont restés deux bonnes années). Un autre but pourrait être de mettre à disposition des moyens pratiques et analytiques de recherche ou le soutien financier, dont un groupe isolé ne pourrait pas disposer.

En positif encore, la fonction première de l’organisation informelle est le développement de la connaissance réciproque entre les différents groupes affinitaires et les compagnons qui les composent. Il s’agit, quand on y réfléchit, d’une autre gradation dans la recherche d’affinité. Au sein des limites posées par le but à atteindre, la recherche d’affinité se déploie sur différents niveaux, intensifiée par le projet sans exclure, pour autant, l’approfondissement de la connaissance individuelle. L’organisation informelle est donc une structure affinitaire, puisqu’elle s’appuie sur l’ensemble des groupes affinitaires qui la constituent.

Cela fait bien quinze ans que toutes ces considérations sont formulées, de façon plus ou moins articulée. Depuis le temps, elles auraient dû amener les compagnons intéressés à comprendre la nature de l’organisation informelle. Ce ne semble pas être le cas. Cette erreur provient, selon moi, du désir – latent parmi certains d’entre nous – de montrer ses muscles en se munissant de cette structure organisationnelle forte, qui serait le seul moyen de combattre un pouvoir lui aussi fort et musclé. La première caractéristique d’une structure forte serait, selon ces compagnons (et d’une façon plus ou moins claire), sa spécificité et sa robustesse, sa stabilité dans le temps et une bonne visibilité, une sorte de phare dans le brouillard des luttes des exclus, une balise, un guide, un point de référence. Nous ne partageons pas cet avis ! Une telle structure, forte et visible à l’œil nu, serait un mets de choix pour le pouvoir. Toute l’analyse économique et sociale du capitalisme post-industriel nous le confirme. La déchéance d’une centralité de classe (ou du moins ce qui en paraissait dans le passé) rend impraticable une attaque menée par des structures rigides, bien visibles et fortes dans leurs propres articulations. Dans le cas où ces structures ne seraient pas détruites par la première vague répressive, elles seraient à coup sûr intégrées par le pouvoir pour en récupérer et recycler les éléments les plus irréductibles.

Lorsqu’un groupe affinitaire qui se fixe des règles et les respecte, fonctionne en circuit fermé – au sens où les compagnons ne quittent pas leur local, se limitent aux discussions entre initiés tout en répondant aux différentes salves répressives du pouvoir par des déclarations et des documents -, alors sa structure affinitaire ne se distingue de celle de n’importe quel autre groupe anarchiste que dans son apparence, ses mots, ses choix « politiques » ainsi que dans les façons d’interpréter les différentes réponses à donner aux prétentions du pouvoir de réguler nos vies, les vies de tous les exclus.

Le sens profond, le but essentiel poursuivi par une « autre » structure, basée sur d’autres choix d’organisation que ceux des autres groupes anarchistes, à savoir l’affinité, ne devient effectif que lors de l’élaboration d’un projet de lutte spécifique. Et l’élément caractéristique de ce projet, au-delà des mots et des motivations qui auront permis son approfondissement analytique et son efficacité pratique, est la présence des exclus, des gens, de ces masses plus ou moins nombreuses qui subissent les effets répressifs du pouvoir auxquels ce projet s’oppose en utilisant la méthode insurrectionaliste.

La participation des masses est donc l’élément fondateur du projet insurrectionnel. Issu de l’affinité entre différents groupes anarchistes, ce projet est aussi l’élément fondateur de l’affinité même, qui ne resterait sans cela qu’une piteuse camaraderie d’élite, se limitant à la recherche réciproque d’une connaissance personnelle plus ou moins approfondie entre compagnons.

Penser qu’il suffirait d’entrer dans nos groupes et d’y lutter d’une façon anarchiste, pour se transformer en anarchiste relèverait cependant du contresens. Il ne s’agirait pas seulement d’un contresens, mais surtout d’une horrible camisole idéologique, qui ôterait toute signification aux groupes affinitaires et à l’éventuelle organisation informelle née pour combattre l’attaque répressive subie, dans un moment particulier, sur un territoire particulier, par une partie plus ou moins considérable des exclus.

Il est néanmoins nécessaire de créer des structures organisationnelles capables de rassembler les exclus afin que les attaques contre la répression puissent s’engager en donnant vie à des noyaux autonomes de base. Ces regroupements peuvent évidemment prendre n’importe quelle autre dénomination, à condition qu’elle exprime le concept d’auto-organisation.

Nous en arrivons ici au point central du projet insurrectionnel : la formation de noyaux de bases autonomes (nous emploierons ce terme par commodité).

Leur caractéristique essentielle, immédiatement perceptible et compréhensible, est d’y réunir tant des anarchistes que des non-anarchistes. Certains autres aspects en sont plus difficiles à comprendre. Ils sont d’ailleurs à l’origine d’un certain nombre d’incompréhensions lors de leurs rares expérimentations. Il s’agit, tout d’abord, des structures de type quantitatif, qui n’en possèdent pas moins une caractéristique particulière. Ces véritables points de référence ne sont pas des endroits fixes dans lesquels on compte les têtes et on utilise toute sorte de procédés pour en prolonger la durée (recrutement de membres, contributions fixes, services,…). La lutte étant leur but exclusif, les noyaux de base fonctionnent comme des poumons : ils gonflent lorsque la lutte devient plus puissante et se replient lorsqu’elle diminue d’intensité, avant de se regonfler lors du prochain affrontement. Durant les temps morts, entre deux « entreprises » – nous entendons par entreprise n’importe quel moment de lutte, de la distribution d’un tract à la participation à un rassemblement, mais aussi l’occupation d’un bâtiment ou le sabotage d’un instrument du pouvoir – le noyau reste présent comme référence zonale, comme signe d’une présence organisée de façon informelle.

Penser qu’une croissance quantitative stable des noyaux de bases est possible, reviendrait à les transformer en organismes para-syndicaux, une sorte de COBAS [« syndicat de base » en Italie]. Cela conduirait à défendre les droits des travailleurs dans les différents secteurs de la production en proposant une palette d’interventions défensives et revendicatives en faveur des représentés. Au final, plus le nombre de délégués est important, plus la voix de l’organisme qui formule la revendication serait forte. Le noyau de base autonome n’est rien de tout cela. Il ne propose pas de conduire la lutte revendicative par la méthode des revendications, des délégations ou des protestations qui visent la défense des emplois, les hausses des salaires, le contrôle de la santé dans les usines, etc. Le noyau de base naît et meurt avec un seul but, qui aura été précisé lorsque la lutte commence. Un but qui, en soi, peut aussi être de nature revendicative, mais qui n’aura pas été atteint par la méthode représentative de la délégation, mais bien par la méthode directe de la lutte immédiate, de l’attaque permanente sans avertissement préalable, du refus de toute force politique qui prétendrait représenter quelqu’un ou quelque chose.

Ceux qui « adhérent » aux noyaux de base ne peuvent donc pas légitimement s’attendre à un soutien multiforme ni à la satisfaction d’une grande partie de leurs besoins. Ils doivent comprendre qu’il ne s’agit pas d’un soutien para-syndical, mais d’un instrument de lutte contre une cible précise, qui ne reste valide, en tant qu’instrument, qu’en se servant exclusivement des méthodes de lutte insurrectionnelles déjà évoquées. La participation aux noyaux de base est absolument spontanée. Elle ne peut donc être ni sollicitée, ni conseillée, en prônant d’autres avantages spécifiques et exclusifs que ceux qu’une force et organisation majeures apportent pour atteindre le but de l’attaque déterminé ensemble au préalable. Il est donc plus que logique que ces organismes ne connaissent jamais une composition quantitative élevée ou stable. Lorsqu’on se prépare à une lutte, peu de gens voient et partagent l’objectif à atteindre, peu nombreux sont ceux qui sont prêts à prendre des risques. Quand la lutte commence, ses premiers résultats incitent les indécis à y participer. Le noyau gonfle alors, avant de voir disparaître à nouveau tous ces participants de la dernière heure. Cette réalité, de nature exclusivement physiologique, ne devrait pas susciter des sentiments ou des jugement négatifs à propos de cette structure spécifique d’organisation de masse.

Un autre malentendu porte sur la durée de vie limitée du noyau de base, une durée limitée à la réussite de l’objectif préalablement établi (ou à la conclusion d’un commun accord qu’il était impossible de l’atteindre). Beaucoup de personnes se demandent : si les noyaux fonctionnent « aussi » comme des points d’agrégation, pourquoi ne pas les garder en vie en vue d’une utilisation ultérieure? La réponse est une fois de plus liée au concept de « l’informalité ». Toute structure qui persiste au-delà du but qui l’a vu naître – si cet objectif ne se réduit pas à pas la défense générique des gens qui la composent – se fige tôt ou tard en une structure stable, une structure qui transforme le but initial en de nouveaux objectifs. Apparemment légitimes, ces objectifs concernent la croissance quantitative, le renforcement pour mieux atteindre une multiplicité de buts tous aussi intéressants et qui ne manqueront pas de se présenter à l’horizon brumeux des exclus. Dès qu’une structure informelle prend racine dans une nouvelle forme plus stable, des individus se présentent pour la gérer. Ce sont toujours les mêmes, ceux qui sont les plus capables, ceux qui ont le plus de temps. Bref, tôt ou tard l’étau se referme autour d’une structure qui, initialement révolutionnaire et aussi anarchiste, découvre alors que son seul et unique but est sa propre survie. Même la forme la plus diluée de pouvoir, dont on peut observer la formation dans la « stabilité » d’une structure organisationnelle, même anarchiste et révolutionnaire, peut s’avérer très séduisante. Elle ne manquera pas de regrouper nombre de compagnons, tous de bonne foi et désireux de faire le bien du peuple, etc.

Un dernier élément organisationnel, la « coordination des noyaux de base », peut parfois devenir indispensable. Basée sur les mêmes caractéristiques d’informalité, elle est constituée de quelques représentants des noyaux de base. Il est presque toujours nécessaire qu’elle dispose des moyens adéquats pour atteindre le but fixé. Les noyaux singuliers, dont la fonction de « poumons », peut se satisfaire de l’informalité d’une absence de local ou d’un endroit pour se réunir (on peut, par exemple, se donner rendez-vous directement dans la rue). Ce n’est pas toujours le cas pour une coordination, qui peut avoir besoin d’un local officiel devenant, dans le cas d’une lutte qui dure des mois ou des années et s’étend à un territoire assez large (bien que limité par la spécificité du problème à la base du projet), l’endroit où les différentes activités des noyaux de base sont coordonnées.

La présence de groupes affinitaires n’est pas directement visible, ni dans la coordination ni dans l’organisation informelle. Évidemment, tous les compagnons anarchistes impliqués dans la lutte participent aux différents noyaux de base, qui ne sont pas forcément les meilleurs endroits pour la propagande anarchiste au sens classique. La coordination et des noyaux de base doit, avant tout, produire une clarification analytique des problèmes de fond et du but à atteindre, avant d’approfondir les moyens insurrectionnels à utiliser dans la lutte. La tâche des compagnons se concrétise dans la participation au projet et à l’approfondissement avec tous les intéressés, des moyens à utiliser, des méthodes à mettre en œuvre. Même si cette question paraît peut-être simple dans ce schéma, elle s’avère très complexe dans la pratique.

La « coordination des noyaux de bases autonomes » fonctionne donc comme une liaison dans la lutte. Un problème (fort indigeste pour les anarchistes, mais tellement simple pour ceux qui ne le sont pas) apparaît ici : la nécessité, dans le cas d’une attaque de masse contre la structure ennemie, de se distribuer les différentes tâches avant l’attaque, la nécessité de se mettre d’accord, jusque dans les moindres détails, sur ce qui doit se passer. Beaucoup de compagnons imaginent ces moments de lutte comme une grande fête de la spontanéité : la cible est là, juste devant nos yeux, il suffit de s’y rendre, de vaincre les troupes qui la défendent et de la détruire. Je pose le problème en ces termes, même si je sais que de nombreux compagnons y apportent des milliers de nuances ; mais son essence ne change pas. Dans de tels moments, soit tous les participants ont en tête d’une façon précise ce qu’ils ont à faire (dans une lutte au cours de laquelle il faudra affronter une résistance armée), soit seuls quelques-uns savent quoi faire sans que les autres ne le sachent, et alors la confusion qui résultera de l’action sera la même, sinon pire, que si personne n’avait su quoi faire.

Il faut donc un plan. Dans certains cas (comme, par exemple, lors de l’insurrection en Reggio Calabria), la seule distribution d’un tract exigeait un plan militaire armé. Mais ce plan peut-il vraiment être mis à disposition de tous, même si ce n’est que quelques jours avant l’attaque ? Je pense que non. La raison nous dicte la prudence. Dans d’autres situations, les détails du plan d’attaque doivent être mis à disposition de tous les participants. Il en ressort que tout le monde ne peut pas participer, en dehors des personnes qui sont connues d’une manière ou d’une autre, soit parce qu’elles font partie des noyaux de bases, soit parce qu’elles font partie des groupes affinitaires qui participent, à travers l’organisation informelle, à la coordination. Afin d’éviter une infiltration très probable par les services de police et de renseignements, les personnes inconnues doivent être garanties par des personnes connues. Cela peut être regrettable, mais ce n’est pas évitable.

La situation se complique lorsque le projet est connu, même si ce n’est que dans ses grandes lignes, par un grand nombre de compagnons souhaitant participer aux actions d’attaque évoqués plus haut. Dans ce cas, l’affluence peut être considérable (trois cents compagnons environ, provenant de toute l’Italie et de l’étranger, se sont rassemblés durant les quelques jours précédant la tentative de l’occupation de la base à Comiso) et la nécessité d’éviter la présence d’infiltrés se faisait beaucoup plus pressante. Les compagnons qui arrivent au dernier moment pourraient donc se sentir exclus de l’organisation de l’attaque et risquent de ne pas comprendre ce qui est en train de se passer. Cette remarque s’applique également à tous ceux qui décideront de ne pas se soumettre à la vérification décrite précédemment.

Et maintenant, deux questions pour conclure :

Pourquoi considérons-nous la méthode et le projet insurrectionnels comme les moyens les plus adéquats pour la lutte révolutionnaire d’aujourd’hui ?

Qu’attendons-nous de l’utilisation de moyens insurrectionnels dans une situation qui n’est pas déjà une insurrection en cours ?

En ce qui concerne la première question, c’est l’analyse des conditions sociales et économiques actuelles qui permet de comprendre pourquoi ces moyens sont les plus adéquats ; comment chaque lutte menée à partir des structures de synthèse, reproduisant plus ou moins tous les défauts des formes de partis du passé, est soit impossible, soit vouée à la restructuration de la domination.

Quant à la deuxième question, on peut répondre que nul ne sait quelles sont les conditions qui permettraient à priori le développement d’une insurrection. N’importe quelle occasion peut s’avérer la bonne, même s’il s’agit d’une petite expérimentation d’apparence négligeable. Mais le développement d’un projet de lutte insurrectionnelle à partir d’un problème spécifique qui, en tant que fait répressif, touche profondément des masses considérables d’exclus, ne peut se ramener à une simple « expérimentation ». C’est l’insurrection en cours, dans laquelle il faut pourtant éviter de surévaluer ce qui commence petit et finira probablement tout aussi petit. Ce qui compte, c’est la méthode, et les anarchistes ont encore un long chemin à parcourir pour y parvenir. Ils ne se révéleraient pas, sinon, aussi peu préparés aux rendez-vous de tant de soulèvements populaires, aujourd’hui comme hier.

Alfredo M. Bonanno

[Introduzione, dans Anarchismo Insurrezionalista, Edizione Anarchismo, Italie, 2003; traduction publiée dans Alfredo M. Bonanno, Qui a peur de l’insurrection ?, Tumult Editions, Bruxelles, 2012]

[Le texte existe en format brochure ici et , trouvé sur tabula rasa]

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Un autre texte  : Archipel – Affinité, organisation informelle et projets insurrectionnels

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