[Grèce] contre la patrie et l’unité nationale

[Affiche de groupes de contre-information contre les adeptes de la patrie et les apologistes de l’unité nationale en Grèce, trouvée en anglais sur Contra Info puis traduite par Le Réveil]

Puisque nous ne sommes pas nés hier mais nous gardons la mémoire, puisque nous crachons sur la propagande des médias privés…

Nés ici ou pas, nous vivons et marchons aussi dans ces rues, nous savons donc très bien que :

LES GRECS AUSSI, ILS ASSASSINENT

(massivement) en Afghanistan, en Somalie et partout ailleurs où les bottes de l’armée grecque pénètrent, comme elle a massacré à Srebrenica dans le passé récent et comme elle continuera à tuer des gens partout où la protection des « intérêts économiques nationaux » le demandent.

LES GRECS AUSSI, ILS VIOLENT

des filles et des garçons d’Afrique, d’Europe de l’Est et de partout, depuis des années, dans les bordels de la capitale et dans les bars louches en province, à l’intérieur des postes de police de notre voisinage. Une autre preuve tangible de leur imposture corpulente traditionnelle, accrue par leur condition (empruntée) du « Grec économiquement puissant ».

LES GRECS AUSSI, ILS VOLENT

Les banquiers, propriétaires de bateau, patrons, hommes d’affaires, archimandrites de l’église, politiciens, juges honnêtes et policiers incorruptibles de Grèce ; en Grèce, dans les Balkans et partout où ils étendent leurs affaires répugnantes…

L’UNITÉ NATIONALE, C’EST UNE ARNAQUE

dont l’objectif est de créer l’illusion pour nous « d’en bas » que nous aurions des intérêts communs avec ceux qui nous volent, violent notre personnalité, avec ceux qui veulent tout presser hors de nous avant de nous exterminer dans une galère, une prison, une maison de fous.

NOUS NE DEVRIONS PAS SEULEMENT REFUSER D’ORGANISER NOTRE RÉSISTANCE SUR LA BASE DE L’UNITÉ NATIONALE

NOUS DEVRIONS LA DÉTRUIRE

GROUPES DE CONTRE-INFORMATION CONTRE LES ADEPTES DE LA PATRIE ET LES APOLOGISTES DE L’UNITÉ NATIONALE

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Contre toute autorité…

Contre toute autorité…

…Feu à volonté !

C’est la zermi couzin

Pas le temps de vivre, plus la force après des heures de taff à part pour allumer la télé, se lamenter autour de quelques verres de mauvais alcool, d’antidépresseur ou de Subutex, une petite prière et au lit. Sept heures de sommeil nerveux avant de recommencer la même journée de merde jour après jour, tout ça pour un peu de fric qui passera du porte monnaie du patron à celui du propriétaire, d’un commerçant quelconque aux caisses de l’Etat. Facile de tomber dans la dépression, facile de lâcher prise, d’accepter son sort et de se dire que rien ne vaut le coup, d’abandonner tout espoir d’autre chose, de ne plus se soucier, face à sa propre misère, du sort des autres. En quelque sorte, chacun sa merde. Hors de ma famille, de ma communauté, de mon clan, pas d’empathie, aucune solidarité. Au point où on en est, tant que le fric circule et qu’on peut en grappiller quelques miettes (allocs, petits business, minimas sociaux…) pourquoi penser au reste ? On peut aussi se créer l’illusion que la vie n’est pas si sinistre en se réfugiant dans le peu de satisfaction et de confort que la société veut bien nous laisser en échange de la paix sociale. De toute façon, avec deux mille ans d’esclavage derrière nous, pt’êre bien que l’humain est fait pour vivre en cage, maître ou esclave.Comme une caricature de ce que nous vivons tous un peu, par-ci par-là.

Poudrière

Vous vous dites peut-être que tout n’est pas si sombre, misérable et dépeuplé d’envie, ce n’est pas faux. Parfois des étincelles viennent mettre le feu à la poudrière pour prouver que ce monde n’est pas qu’un vaste cimetière peuplé de zombies. En Angleterre, il y a quelques semaines, c’est un torrent de révolte qui a ravagé les métropoles bien lisses et conformes. Il y a peu en France, et régulièrement encore, la rage rentrée du quotidien éclate à la gueule des patrons et de leurs flics avec pleine force. Clichy-sous-bois, Villiers-le-bel… La haine et la joie qui cohabitent dans un sursaut de vie. Récemment encore, ce sont les commissariats, les palais de justice, les préfectures, les prisons, les supermarchés qui ont cramé en Tunisie, Égypte, Syrie, Libye… et certainement pas pour les remplacer par des outils d’oppressions plus démocratiques.
Tout le temps éclatent des révoltes, dans les prisons, les écoles, les ateliers, les familles. Ici, un homme qui refuse les ordres de son patron ou de son sergent, là une femme qui place un boulon dans une chaîne de montage, ailleurs un enfant qui ne veut plus écouter ses profs ou un détenu qui refuse de réintégrer sa cellule.

Qui sont les idéologues ?

Ces révoltes, et même les révoltes en général, n’ont pas bonne presse. Alors on les rejette ou on les récupère. On tente de jeter le discrédit sur les émeutiers en les traitant de fous-furieux, de casseurs, de bandes, de gangs, de terroristes, manipulés par des idéologues. La révolte ne serait qu’une maladie ou un danger à traiter. On tente en même temps de jeter le discrédit sur les soulèvements en leur prêtant des intentions qu’ils n’ont pas : affrontements inter-communautaires, caractère ethnique, remplacement de dictateur etc. Ou alors on les récupère en y apposant sa propre idéologie : on dira que les révoltes au Maghreb cherchaient à instaurer des démocraties capitalistes calquées sur les modèles occidentaux, on dira que les émeutiers de novembre 2005 luttaient pour obtenir des CDI, on dira que les révoltes dans les pays placés sous tutelle du FMI ont pour but de redresser la barre économique du pays pour un capitalisme à visage humain. On récupère alors les indignés de la place Tahrir ou de n’importe quel autre endroit pour mieux rejeter les insurgés qui à côté refusent de tendre l’autre joue et rendent coup pour coup. On tente de placer des porte-paroles respectables : jeune diplômé, étudiant charismatique, avocat des droits de l’homme, politicien en exil, bourgeois philanthrope, mais tout cela n’est que piaillerie de journalistes et de politiciens.

Nous ne sommes pas bien intelligents, et pourtant. Pourtant, nous savons que tout est bien plus simple que cela. Plus que des constructions idéologiques, c’est le cœur qui nous dicte de briser cette paix, en dépit de notre petit confort. Il y a une logique implacable dans le fait de rendre les coups, de ne pas se laisser faire, de se révolter. Un réflexe vital, comme le chien qui mord la main du maître qui le bat avant de se demander s’il y a plus à perdre à la mordre qu’à se laisser battre.

Ce qu’il y a de plus sensé dans un monde insupportable c’est justement de ne pas le supporter ; et ce qu’il devrait y avoir de plus partagé entre nous, au-delà de cette misère commune, c’est bien la révolte contre cette misère, et la liberté qu’elle laisse entrevoir par les moyens utilisés et par les désirs qu’elle porte.

Ayons l’audace d’en finir avec ce monde, pour ne pas faire comme ceux qui sont morts de cette vie, persuadés que le courage consistait à la tolérer plutôt que de la défier.

La rébellion c’est la noblesse des esclaves.

Un peu de bon sens…

[Tract distribué à Paris, aout 2011.]

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http://non-fides.fr/?Contre-toute-autorite

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Marre de se laisser aménager !

[Tract distribué aux pique nique de mercredi midi [le 24 août à Nantes] en soutien aux personnes en Garde à Vues soit disant pour l’action contre la caravane démagogique du P.S]

Quand on observe autour de soi, on voit beaucoup de béton, du gris, du rose, du vert, du bleu, le tout agrémenté d’asphalte. C’est le monde qu’illes veulent nous imposer. Chaque jour, à Notre Dame des Landes et ailleurs, le parti socialiste, Vinci, et leurs commandos républicains, orchestrent la destruction de milliers d’hectares de bocages et de zones de vie.
Face à cela, accusées d’avoir dégradé la caravane de propagande socialiste,
six personnes ont été interpellées à Nantes lundi 22 août aux alentours de midi, et sont susceptibles d’être poursuivies.

En isolant cet acte, les médias et les politicien.ne.s tentent à nouveau de décrédibiliser cette lutte qui dure depuis près de 40 ans, qualifiant certain.e.s opposant.e.s de violent.e.s, odieux.ses, bêtes et méchant.e.s.
Pourtant, décider du cours de la vie des gen.te.s, aménager, aseptiser et capitaliser, détruire des maisons au bulldozer et tout ravager… cette violence là paraît justifiable et est officiellement légitimée par le jeu démocratique.
Nous refusons de nous laisser entraîner dans cette distinction violence/non-violence, pacifisme/radicalisme, légalisme/illégalisme, légitimité ou non : car dans leurs bouches de politicien.ne.s, la violence n’est jamais du côté de l’Etat et des grands groupes comme Vinci. La violence n’est jamais de leur côté quand une personne se fait tabasser (quand illes cassent quatre côtes et perforent le poumon d’une manifestante – aéroport de Nantes le 27 juillet). La violence n’est jamais de leur côté quand illes expulsent quelqu’un.e. La violence n’est jamais de leur côté quand illes nous disent comment on doit vivre. En revanche, la violence qualifie toujours celles et ceux qui s’attaquent concrètement aux moyens matériels de leurs projets.

Cette stigmatisation médiatique a toujours existé dans les moments de lutte, comme en dehors, afin d’isoler des personnes, casser des solidarités, et justifier d’avance l’adoption de nouvelles lois, la répression et son arsenal politico-judiciaire.
Le jeu démocratique amène l’illusion que la vie/l’avis des personnes aurait du poids dans ce système. Un Non hurlé depuis 40 ans à Notre Dame des Landes ne semble pas retentir assez fort pour être pris en compte. Illes cultiveront cette illusion jusqu’au bout du projet afin d’éviter que l’on prenne conscience qu’une résistance active est notre seule prise. Ce projet d’aéroport est porté par ce parti saccageur (PS) et est déjà commencé par Vinci. Seules nos solidarités et notre détermination l’empêcheront.

Nous sommes solidaires avec toutes les personnes arrêtées, qu’elles aient participé ou non à ces actions.

NON À L’AÉROPORT
SOLIDARITÉ AVEC TOUTES CELLES ET CEUX QUI REFUSENT DE SE FAIRE AMÉNAGER LEURS VIES !
VINCI, PS, DÉGAGE !
MARRE DE SE LAISSER AMÉNAGER !

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Sans murs, ni horizon

L’Europe n’est pas tout a fait une citadelle ni une forteresse, mais plutôt une sorte de piège à loup, qui se referme une fois qu’on y a déjà posé le pied.

Lorsqu’on va aux confins extrêmes de cette Europe qu’on se plait à présenter comme l’Eldorado des pauvres du Monde, on s’imagine trouver des fortifications et des herses, ou quelque chose qui ressemble à une barrière matérielle infranchissable. A l’endroit où, sur les cartes, sont dessinés des pointillés menaçants, on croit souvent trouver des pylones de métal, plantés dans le sol et reliés entre eux par des barbelés. Nos cours d’histoire sont remplis de ces images romantiques d’empires enfermés derrière des murailles infranchissables, seules défenses face à l’ennemi : le mur d’Hadrien, la muraille de Chine, le rideau de fer ou le mur de Berlin. Nous avons grandi avec l’idée que les puissances ont besoin de pierres et de barbelés pour s’enfermer. Notre représentation du Monde contemporain, alimentée par des images de guerre et de terreur, part du principe – archaïque – qu’on arrête les hommes avec des murs et des canons. Pourtant il n’en est rien. Les frontières de l’Europe sont translucides, immatérielles, invisibles. Et la guerre livrée à « l’envahisseur » est imperceptible et silencieuse.

Quand vous marchez sur les pointillés de la carte, vous ne trouvez que des champs ou des cours d’eau. Il n’y a pas de rupture, pas de changement de paysage. D’un côté comme de l’autre de la ligne, c’est le calme absolu. Il faut bien l’admettre, les Etats n’ont pas besoin d’ériger des enceintes pour se protéger : la modernité a apporté toute une panoplie de moyens bien plus efficaces et socialement acceptables pour endiguer « l’invasion » et combattre les « indésirables ». Il n’est désormais plus nécessaire de heurter la sensibilité des populations locales en réalisant des saignées dans le paysage, d’engager des grands travaux qui posent question aux élites intellectuelles et effraient le quidam. Assurer l’intégrité territoriale et protéger l’espace vital européens ne nécessitent plus de construire des barricades.

Désormais, la guerre à l’Autre se fait dans le silence de la nuit, à l’insu de l’homme-à-la-conscience-tranquille, à renfort de sondes et de drônes, de bornes biométriques et de détecteurs de mouvements. Le mur est technologique. Invisible, mais pas indolore. A défaut d’avoir des soldats en position, la frontière contemporaine se dote de policiers en perpétuel mouvement, de RABIT1 en patrouille. Les envahisseurs n’entrent plus à cheval, mais rampent dans les herbes et courbent l’échine pour se rapprocher de la froideur du sol, espérant échapper à l’oeil infatiguable des caméras thermiques. Leur rencontre avec la police n’est plus hasardeuse, mais anticipée, telle une frappe chirurgicale : leur parcours est surveillé depuis le ciel, par un des ovni2 de la police aux frontières. Ce n’est pas anodin si le migrant est comparé, dans la presse et la littérature, à une ombre, une silhouette. Sans papier, donc sans identité, il ne peut se déplacer librement que dans les interstices laissés par les outils du contrôle. A l’ère des hautes technologies, ces interstices se réduisent chaque jour un peu davantage, et avec eux la liberté de circuler librement. Le mur a laissé la place au filet. Sans le savoir, celui qui a franchi les pointillés est déjà pris dans la nasse.

Après, tout n’est qu’une question de temps. Le temps avant d’être attrappé, le temps avant de sortir de rétention, le temps avant d’arriver au but, le temps avant d’obtenir les papiers, le temps avant d’être accepté, intégré, assimilé, puis digéré par « l’Occident ». Des mois, des années, une vie entière pour obtenir seulement le droit d’être là. Les murs n’ont plus de réalité matérielle, mais sont partout autour de nous, dans la tête des européens, dans le coeur des étrangers, douloureusement éternels.

 

Les frontières ne sont plus matérialisées, parce qu’elles n’ont plus besoin d’être représentées. Elles sont dans les mentalités, au coeur de notre rapport à Autrui. On croit que les murs incarnent la puissance des Etats, alors qu’ils ne sont que leur défaite. L’Etat a vaincu idéologiquement lorsqu’il n’a plus besoin de murs pour se protéger, lorsque chacun de ses administrés se présente comme un obstacle à l’Autre. En Occident, la souveraineté du territoire est assurée par sa population elle-même, car chacun y a appris à craindre l’étranger, à s’en méfier et à lui opposer des barrières infranchissables. « On ne peut pas accueillir toute la misère du Monde… » : cet égoïste aveu repris en choeur ou tacitement accepté par la plus grande majorité des européens constitue le meilleur argument idéologique en faveur du repli communautaire. L’Autre, quelle que soit sa misérable condition, n’est perçu que comme un danger potentiel, une menace envers l’équilibre des forces. Bien qu’il soit obligé d’entrer en rampant, il est considéré comme un ennemi, parce qu’il apporte une façon d’être et un mode de vivre qui n’est pas identique à celui cultivé en Europe depuis l’antiquité.

Tout européen, s’il ne s’oppose pas à la traque aux étrangers, se rend complice d’une abominable croisade idéologique qui, bien qu’elle se passe de remparts et de meutrières, ne fait pas moins de morts pour autant.

Même sans murs, l’Europe manque cruellement d’horizon.

 

A regarder :

No job, no money, no food, no dreams

 

1. Lapin en anglais, le sigle désigne l’équipe d’intervention rapide de la police européenne aux frontières, gérée par l’Agence Européenne de Contrôle des Frontières Extérieures (FRONTEX).

2. Les hélicoptères utilisés actuellement par Frontex vont peu à peu être remplacés par des drônes (UAV en anglais).

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Trouvé sur L’Interstice

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L’amour est un cocktail Molotov

Matraqués et rappelés à leur réalité par la glaciale précarité, censée nous enfermer dans les exigences futiles d’un monde qui n’est pas le nôtre et aux critères de leurs lois scélérates et mortifères, à nous priver religieusement du plaisir de voyager, d’aimer, de rencontrer, de manger, de créer, chanter et danser sans la décence vitale que l’inhumain sociétal nous refuse comme mauvaise marchandise ou mauvais rouage d’un mécanisme
que nous dégueulons de toute notre joie armée, nous décidons malgré tout de nous octroyer le plaisir de vivre en voyageant et nous aimant où bon nous semble comme un combat parmi tant d’autres dans la grande lutte contre le pouvoir et le capital. Tout s’achète et se mérite d’après eux, tout s’arrache et se partage d’après nous.
D’un bout de carton chopé dans le caniveau, nous écrivons frappé d’une étoile noire « le sud », « l’Espagne », pour ne pas marquer « où vous allez » ou « là-bas pour y être ». Sans le sous, nous descendons ainsi plus de mille kilomètres avec les rigueurs d’usage et les difficultés à faire face comme une partie du jeu que nous suscitons, chantant gaiement Edith Piaf et La Semaine Sanglante aux heures d’attente au bord de l’autoroute, à danser La Ravachole et la Rue des Bons Enfants dans les stations services après quelques tentatives de réappropriation directe de l’abondance privée.

Nous croisons sur notre route toutes sortes de braves bougres pestant sur le système qu’ils nourrissent depuis trente ans parfois de leur énergie et leur force confisquée par l’esclavage-salariat : des salariés qui sortent de ce qu’ils disent être leur chantier bien que sachant pertinemment l’inverse, des mères de famille avec leurs quatre enfants revenant des courses familiales avant de faire la lessive et la cuisine, des jeunes étudiantes fantasmant et rêvant ce qui devient notre « aventure » et notre « courage » à le « réaliser », quelques opportunistes qui cherchent une certaine monnaie corporelle en gratitude de leur « générosité », des vieux loups solitaires crachant du Renaud sur leurs lecteurs-CD le pétard en main, des anciens persécutés qui ont joué le jeu de la « réussite » et donc le passage formé à la classe dominante des vendeurs et grands commerciaux en sortant de leur condition première de lumpen avec la lucidité résignée qui leur sont assignés, avant d’atteindre finalement les côtes tant espérées nous ouvrant devant la bouche marine qui embrasse les espaces vers de lointains continents.

Après nous être baignés avec délectation dans ces eaux caressantes nous délivrant du vieux monde par sa proximité, sa sensualité et sa donation offerte et aimante, nous nous installons sur les rochers des falaises surplombant les écumes lunaires.
Face à l’immensité océane s’accouplant à son horizon avec le ciel tout aussi offert, voici qu’émerge à nos yeux vivaces le monde dans la pleine étreinte de cette union, la terre comme germe et semence de la jouissance du marin et de l’aérien, de la mer et du ciel, de l’océan et de l’espace, des abîmes marins qui mouillent à l’aurore par la douce pénétration des rayons lunaires. Du haut de nos rochers, nous sommes de ce monde. Nous sommes le monde. Nous sommes la terre et l’air, l’eau et le feu, dans nos regards qui ne veulent plus voir ni temples ni palais, ni usines ni prisons, cafards boutonneux de la vie humaine.

Amour, rage, joie, partage, solidarité, et autres cocktails Molotov…

C’est la force et la jouissance de celui qui allume son Molotov ou arme son fusil avec la réflexion et la volonté, l’amour et la détermination nécessaires pour les brandir et tirer sur l’ennemi. L’ennemi est celui qui empêche notre joie de se répandre et d’unir les individus dans leur autonomie de désir partagé, l’ennemi est celui qui matraque et torture celui qui aide son ami affamé à voler du pain, l’ennemi est qui celui enferme et emprisonne ceux qui sabotent et incendient les bâtiments banquiers qui expulsent les maisons foyers, l’ennemi est celui qui calcule et détruit mathématiquement par l’équation du pouvoir sécuritaire et du profit dominateur tout embyron de partage, toute joie solidaire, toute détermination combative, toute lucidité tactique d’affrontement et de solidarité.

L’émeute est une étreinte avec l’histoire, L’insurrection est un orgasme avec le monde.

Ce sont les banquiers et les gouvernants les parasites, les fachos et les bureaucrates les cafards boutonneux, la logique meurtrière du profit la maladie, la misère et la guerre les plaies et les virus, la répression et la prison les insectes sociaux pleins de microbes, les négociants et les réformateurs les médicaments contaminés, lesdits « représentants » de notre force notre faiblesse, l’attente et la résignation nos symptômes, la solitude et l’exploitation le traitement forcé, face auquel l’amour et la solidarité sont un pavé, un cocktail Molotov, une bombe artisanale, un fusil-mitrailleur.
Par fraternité de combattants, par camaraderie de volontés et de désirs, nous abattons les murs, nous arrachons les barreaux, nous brisons les frontières, nous brûlons les prisons, et noyons nos larmes de joie dans le sang de nos ennemis et défenseurs du système de mort.

La solidarité est capable, par la combativité et l’autonomie affinitaires, par la détermination partagée, par les gestes comme seule parole, par l’acte comme discussion et la pratique comme création, d’anéantir ce qui nous anéantit, de renverser ce qui nous écrase, de détruire ce qui nous écartèle, de brûler ce qui nous désarticule, d’évincer leur place et propriété privée pour libérer le monde qui plie sous leur bitume et leurs chiens de garde casqués.

Nous saurons nous détendre quand nous aurons acquis de nous défendre, Notre guerre e(s)t notre victoire, sont notre paix,

En espérant qu’il reste quelque chose de vrai et d’humain sous les ruines des masques-camisoles de citoyens et les casques-mécanisés des policiers et des soldats, qui, tant qu’ils restent tels, sont les défenseurs des palais assassins bâtis sur les cadavres de crève-la-fin à l’épiderme non répertorié « individu à part entière » dans leur conception du genre humain, sont les chiens de garde féroces des Bourses et cœur virtuel du profit qui viennent s’insérer dans nos cœurs nôtres de chair et de sang perverti par leurs raisons de survie, et sont en cela des ennemis en temps de guerre.

La colère n’a pas besoin de traduction. Car il n’y a pas besoin qu’ils nous comprennent. Car nous ne cherchons pas à nous faire comprendre dans leurs langages aseptisés-salariés-gouvernés, et sommes de fait aux côtés de la colère. A ses côtés à guetter la colonne de flics armés au coin de la rue, à chercher mon frère combattant pris en tenaille dans une charge de civils, à arracher le pavé du sol et trinquer mes cocktails incendiaires sur le comptoir du quotidien-citoyen virtuel de survie redevenu ce qui n’est autre qu’un champ de bataille réel de la vie.
Nous ne vivons et n’existons qu’en nous préparant à submerger les blindés auto-pompes qui tenteront implacablement de nous noyer et nous détruire sous les gueules métalliques de leurs regards vides et froids débordant de vermine contagieuse qu’est la Raison d’Etat, de leurs canons à eau, de leurs fusils lance-grenades, de leurs fusils à balle en caoutchouc, de leurs tazer, de leurs grenades lacrymogènes et offensives, des gaz de lacrymogènes et des éclats des offensives, des cachots ambulants de leurs paniers à salade, de leurs chars anti-barricades qui s’hérissent à rebrousse-poil de leur norme et ordre établis, mais aussi de leurs fusils à balles réelles, de leurs grenades à fragmentations, de leurs hélicoptères qui bombardent et mitraillent des populations entières encerclées dans le désert devenu prison géante, de leurs drones qui tétanisent et immobilisent les jeunes gens qui pillent et brûlent les bus impériaux, de leurs alliés fascistes qui s’arment aux côtés des flics porcs et assassinent les nouveaux Socrate Guérilleros, de leurs brigades fascistes-flics qui tirent dans la tête et roulent sur les corps dans l’ombre de leur Vatican Pacificateur ; et nous les submergeons.

Emeutiers anglais, anarchistes grecs, peuples palestiniens, étudiants chiliens, opposants chinois, insurgés tunisiens, guérilleros mexicains et espagnols, autonomes italiens et allemands, « terroristes » français et brésiliens, communistes américains, révolutionnaires argentins et suisses, nous sommes de toutes les origines, unis par notre fraternité de combattants sans chefs, sans nom et sans règle.

Nous ne vaincrons qu’en pansant nos blessés et nous armant avec nos frères et sœurs déjà dans la rue contre les rois de ce monde que ces derniers s’approprient sur loi et détruisent sous terreur nucléaire et pillage des richesses.

Ce sont eux les voleurs, les assassins, les violeurs, les pillards, les voyous, les vagabonds, les sans-vie, les terroristes, les bandes, les crapules, les profiteurs, les assistés, les tueurs, les mercenaires. Et face à eux qui nous imposent la guerre, nous sommes notre propre force, notre propre raison d’être, notre propre solidarité, notre propre discipline, notre propre harmonie, notre propre ordre sans pouvoir, notre propre équilibre, notre propre maître.

Tout s’achète et se mérite d’après eux, tout s’arrache et se partage d’après nous.

GT et Pola

https://lereveil.ch/contrib/l-amour-est-un-cocktail-molotov

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Quinze ans après… Des critiques du militantisme toujours actuelles

[3 textes retrouvés, repris par la base de données anarchistes, disponible aussi sous la forme d’un 4 pages.]

Après la grève
Des lendemains qui déchantent

Depuis la dernière grande grève à la SNCF, en 1995, nous assistons, dans les milieux à l’extrême gauche de la gauche officielle, à la énième tentative de réchauffer le cadavre du militantisme, via la multiplication d’interventions qui finissent, l’enthousiasme initial retombé et l’illusion de rencontre vaporisée, par des désillusions, mais sans que le moindre bilan critique n’en soit tiré. Dans les cénacles de la militance en question continue à régner le mythe, qui a déjà fait faillite mille fois, selon lequel il est possible, à condition de faire preuve d’imagination, de ténacité, de ruse, de souplesse, etc., de surmonter les séparations qui traversent et divisent l’univers des damnés de la Terre. La démarche de Cargo en est sans doute le meilleur exemple.

A la base de pareilles tentatives, il y a la profonde incompréhension de la nature de la société capitaliste. Désigner le pouvoir d’Etat comme la source principale de tous les maux et le démiurge de toutes les séparations, c’est évoluer, mine de rien, dans les limites de l’idéologie républicaine. Bien entendu, le pouvoir en assure la gestion, mais, en dernière analyse, les séparations sont partie intégrante de la société capitaliste moderne, à la fois source de la dislocation de communautés traditionnelles – comme les communautés ouvrières –, d’atomisation des individus – médiatisés par la communauté de la marchandise – et aussi cause de reconstitution de communautés de substitution : religieuses, patriarcales, etc. Tant que les individus agissent comme membres des communautés en question, ils peuvent être hostiles à ce qui leur apparaît comme étranger à leurs références communautaires obligées – le pouvoir d’Etat actuel au premier chef –, mais leurs convergences ne prennent corps que là où ils s’affirment en tant que tels : des individus, certes possédant leur propre histoire individuelle et sociale, mais capables de ne pas en rester là. Dans le cas contraire, ils n’ont bien souvent de pires ennemis qu’eux-mêmes et leurs identités communautaires, plus ou moins imaginaires, jouent le rôle d’entraves à la création de relations et d’activités librement choisies. La désignation et la reconnaissance de l’existence de l’ennemi officiel commun n’y changent rien. Sinon, la subversion du capital aurait été réalisée depuis longtemps.

Même la communauté de condition sur laquelle repose la domination moderne, la réduction des êtres humains au rôle de salariés générant le capital, n’est pas en elle-même source de rencontres et d’affinités subversives. Ce n’est pas en rabâchant aux premiers concernés, à l’image des syndicalistes de base, que les maîtres vivent en parasites sur le fruit du travail des esclaves, qu’il est possible de contribuer à débloquer la situation. Car les prolétaires salariés ne travaillent pas exclusivement pour les propriétaires et les gestionnaires de la domination, mais aussi pour eux-mêmes, au titre de membres de la société capitaliste. Ils n’y sont pas étrangers, même lorsqu’ils ne sont pas reconnus comme tels, par exemple les salariés sans papiers. Leur travail est bien la source principalede leur revenu, direct et indirect par le biais de l’Etat. C’est la raison principale pour laquelle ils y tiennent et, à ce titre, le défende et demandent qu’il soit reconnu comme tel, lorsque ce n’est pas le cas. Là est l’origine de l’esprit syndicalisme qui perdure et grâce auquel les institutions syndicales, même affaiblies par la modification de la structure de classe de la société et parfois malmenées par des prolétaires en colère, perdurent, au point que leur fin, maintes fois prophétisée, n’est pas au rendez-vous fixé par des « révolutionnaires » à très courte vue. En d’autres termes, le travail salarié, comme mode d’activité et de relation propre au capitalisme, a pour conséquence de faire accéder la masse des prolétaires au monde de la marchandise, de façon plus ou moins différenciée et avec plus ou moins de bonheur en fonction des périodes historiques. Certes, aujourd’hui moins qu’hier. Personne ne le nie.

De même, dans de tels milieux « révolutionnaires », la dénonciation du recul de la protection sociale accordée par l’Etat est aux antipodes de la réalité. Sans même en avoir conscience, les animateurs de Cargo, par exemple, reprennent à leur compte la représentation de l’Etat providence qui est celle des apologistes de l’école néolibérale honnie. A savoir que l’institution en question reposerait sur les bonnes oeuvres du capital, à titre de généralisation de celles de l’Eglise au Moyen Age. Or, les mesures prises par l’Etat providence n’ont jamais relevé, pour l’essentiel, du système d’assistance à l’indigence, assuré, dans l’histoire de l’Europe, par les administrateurs de la monarchie absolutiste, par ceux des congrégations religieuses, etc. Le terme de « providence », d’origine chrétienne, cache la gestion par l’Etat moderne de la socialisation du salaire, sur la base du compromis fordiste, à l’époque de l’accélération rapide de la production et de la consommation de masse, mode de gestion dont les limites apparaissent de plus en plus clairement aujourd’hui. Limites relevées depuis longtemps par les ouvriers de l’industrie « bénéficiaires » du système issu, en France, de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, ils surnommaient parfois, dans les années 70, leur système de retraite hiérarchisé la « retraite de la veuve » tant ils étaient conscients, malgré leurs illusions sur le rôle de l’Etat, que, après plus de quarante ans passés dans les bagnes industriels, le cercueil les attendait à bref délai, pas le farniente dans l’insouciance, et encore moins le bronzage sur quelque île exotique du Club Med. Par suite, le reproche essentiel à faire à l’Etat providence, ce n’est pas d’avoir accordé des privilèges, comme l’affirment les curés marxistes-léninistes, qui noyautent les comités de sans-papiers dans la région parisienne, mais d’avoir accru la dépendance des individus envers l’Etat et le capitalisme en général, et donc d’avoir rendu plus difficile la constitution de forces subversives.

Bien sûr, des actes de résistance, individuels et collectifs, et donc des rencontres restent possibles. Mais elles sont, en règle générale, éphémères et sporadiques et n’impliquent que des poignées d’individus. Ce n’est pas négligeable, mais il est nécessaire d’en finir avec l’illusion que de vastes et durables complicités peuvent apparaître ainsi, sur le terrain exclusif de la résistance à l’évolution actuelle du monde. Surtout, lorsque, au prétexte de ne pas briser l’unité apparente des collectifs de résistance, les milieux « révolutionnaires » ferment les yeux sur les contradictions criantes qui apparaissent en leur sein, et même sur des préjugés, des attitudes, des poses, etc. qu’ils sont censés, eux, ne pas accepter. Quant à nos interventions à partir de situations qui ne sont pas dues à nos propres initiatives, reconnaissons que, même lorsqu’elles ont du sens, elles ne changent pas grand-chose au cours général des choses. Dans le cas contraire, des affinités seraient déjà apparues dans des paroles et dans des actes débordant les cercles de convaincus.

Comme affirmé en préambule, même la désignation de l’ennemi commun officiel, en premier lieu le pouvoir d’Etat, n’indique pas que les motifs de ses divers adversaires puissent être convergents, absence de convergence qui ramène presque à zéro les possibilités de reconnaissance mutuelle et de rencontre effectives. Ce qui dépasse la question, habituellement mal posée, des revendications, et même de leur absence, dans laquelle des « révolutionnaires » bien étrangers aux combats réels des dernières décennies en Europe, croit déceler quelque transcroissance de l’idéologie revendicative. Vision pour le moins simpliste car, même en l’absence de revendications, les motifs peuvent être divergents, voire antagoniques, au point que la reconnaissance de l’ennemi commun n’empêche pas les protagonistes d’être ennemis entre eux et de le faire savoir, y compris pas des actes de violence relevant de la guerre de tous contre tous, parfois au grand dam des « révolutionnaires » qui, face à l’unanimité de façade initiale, avaient cru que les séparations de ce monde étaient en passe d’être dépassées. En réalité, la conception qui domine dans les milieux « révolutionnaires » est de type utilitariste, et elle n’outrepasse pas le cadre de la morale des besoins et des intérêts.

Cela n’implique pas de négliger les desiderata des premiers concernés, en introduisant, a priori, des séparations entre des exigences particulières et le désir de bouleverser en totalité le monde. Dans la réalité, nous savons que les situations sont souvent plus complexes qu’il n’y paraît à première vue et qu’elles engendrent parfois des processus de rupture aussi imprévus que prometteurs. Mais il faut arrêter de raisonner comme si la domination était encore quelque chose de réductible à l’institution du même nom, de facile à cerner sous la figure de ses dépositaires officiels, bref d’essentiellement extérieure aux individus alors qu’ils l’ont intériorisée depuis longtemps, sous des formes souvent difficilement détectables, qui ne prennent pas toujours l’aspect de lois, de normes, etc., reconnues comme telles. A trop personnaliser et caricaturer la domination, nous risquons de perdre de vue la totalité des relations qui la constituent et donc à jouer le rôle de claque turbulente, mais de claque quand même, de ce que nous prétendons combattre.

Année 1996


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A propos du collectif Cargo
Du contrôle comme roue de secours des radicaux parisiens

Lorsque l’on écoute parler bon nombre d’individus qui prétendent être en rupture avec le discours de la domination, on ne peut qu’être surpris par la contradiction qui transparaît à travers leurs propos. A première vue, ils n’ont pas de mots assez durs pour stigmatiser les anciens programmes révolutionnaires. Pourtant, le rejet n’implique pas toujours le dépassement et camoufle alors le recyclage des pires tares desdits programmes. Comme quoi, les célèbres idéologues barbus d’autrefois ont beau avoir été enterrés par l’histoire officielle, leurs fantômes n’en continuent pas moins à hanter les têtes, parfois très jeunes, de bon nombre de présumés radicaux. Evidemment, sans que la plupart d’entre eux aient la moindre idée de l’origine des conceptions antédiluviennes qu’ils avancent comme autant de nouveautés, susceptibles de modifier quelque peu la funeste situation de régression dans laquelle nous nous trouvons en France, que même les grandes grèves dans les services d’Etat, comme celle à la SNCF, ne réussissent pas à endiguer. Au plus, la prétendue gauche de la gauche officielle réalise l’amalgame entre vieilles et nouvelles idéologies, formulées à l’université par les gourous de la « révolution moléculaire », dans le genre de Deleuze, autour du concept de « substitution de la société de contrôle à la société disciplinaire ».

Les discussions animées par le collectif Cargo autour du thème « travail salarié, contrôle social et revenu garanti » en sont la preuve. La façon dont il adapte au goût du jour les idées éculées du programme de transition de Trotski laisse pantois. Rappelons, pour ceux qui n’en connaissent pas la genèse, les conditions d’apparition. A la fin des années 30, alors que le fascisme triomphait et que la menace de guerre était de plus en plus précise, Trotski fut confronté, comme tous les leaders communistes, à la déconfiture quasi-totale des organisations de masse qu’ils étaient censés diriger. D’où la question : comment recommencer à rassembler les masses défaites, atomisées et dispersées, pour préparer la révolution alors que, justement, elles ne veulent plus en entendre parler ? La réponse fut le programme de transition. Trotski chercha à détecter alors ce qui constitue en quelque sorte l’essence de la situation qui pèse sur les masses et à formuler, à partir de là, des revendications transitoires qui, à condition qu’elles les réalisent, sont susceptibles de les remettre dans le bon chemin. A l’époque, il voit dans la coercition d’Etat de type fasciste et dans les préparatifs de guerre les deux facteurs essentiels à partir desquels développer la conscience et l’organisation des masses. En théorie, c’était de la métaphysique de la pire espèce, de celle qui oublie carrément la totalité de l’histoire et du contexte sous prétexte d’en dégager « l’essence », représentée en réalité par des parties détachées de façon artificielle de l’ensemble. En pratique, c’était de la politicaillerie, marquée par la recherche permanente d’alliances avec tel ou tel parti. Le programme de transition, de toute façon, ne donna rien pour la bonne et unique raison qu’aucun idéologue, même le plus « malin », ne peut « ruser » avec l’histoire et stimuler les masses lorsqu’elles ne peuvent plus et ne veulent plus bouger.

Avec leur proposition de « revenu garanti », les apôtres de Cargo marchent sur les traces de Trotski, dans des conditions qui rappellent, en partie celles des « années sans pardon », pour reprendre l’expression de Victor Serge. Nous aussi, nous sommes confrontés à la défaite, durable et profonde, à mon avis, de l’ensemble des tendances révolutionnaires qui marquèrent de leur sceau la vie de l’Europe pendant plus de dix ans. Mais avec de notables différences. La coercition d’Etat prend des formes moins brutales qu’autrefois, du moins au quotidien. L’atomisation et la subordination aux impératifs de l’économie et de l’Etat repose désormais aussi sur la modification en profondeur de l’ensemble de la structure de la société qui résulte de la défaite et, en même temps, l’aggrave. Parmi les traits essentiels de la modification en cours, citons la perte de centralité du travail matériel au bénéfice du travail immatériel, et même la place grandissante du non-travail, ainsi que la réduction du rôle des prolétaires comme facteur de transformation révolutionnaire et le recul accéléré de leur communauté de classe au bénéfice de l’atomisation citoyenne et des communautarismes les plus divers. Dans de telles conditions, il est très facile de réduire le travail à la dimension signalée par Nietzsche, « le travail comme meilleure des polices », et donc d’appréhender la relation salariale comme simple distribution de revenu, à la mode de Keynes. De là découle, dans la pure tradition des chefs à la recherche de troupes, la revendication du « revenu garanti », moyen privilégié pour, à la fois, maintenir le niveau de revenus de l’ensemble des individus atomisés et les unir, sous l’égide de l’Etat, « contrôlé par la société civile », c’est-à-dire les associations civiles comme Cargo ! Dernière tentative de participer à la gestion de l’Etat providence en pleine déconfiture !

Reste à savoir pourquoi, à Paris, bon nombre de « révolutionnaires » qui rejettent les propositions « transitoires » des gourous de Cargo tiennent des propos aussi réductionnistes que les leurs sur le rôle du « contrôle » et sur les possibilités d’unification qu’il offre comme terrain de lutte commun pour rassembler, sinon les plus larges masses – personne n’y croit plus, excepté le dernier carré des plus furieux marxistes-léninistes parisiens –, du moins les fractions les plus radicales d’entre elles, ou, de façon encore plus minimaliste, pour rapprocher les clans dispersés de la scène radicale parisienne. Evidemment, Negri et les autres rédacteurs de Futur antérieur jouent leur rôle néfaste en offrant, aux esprits désorientés à la recherche de fil directeur, leur kit « post-opéraïste ». A la suite de Deleuze, le professeur de Padoue répète, à longueur de pages, que la « métropole parisienne » n’est plus, pour l’essentiel que le « bassin du travail immatériel » et le « laboratoire du contrôle métropolitain ». Dans la tradition de la sociologie expérimentale, prisée dans les milieux universitaires parisiens, Negri transforme ainsi les lieux de pouvoir réels en laboratoires en plein air du « pouvoir virtuel ». Dans cette optique, l’essentiel, c’est la représentation de la chose, pas la chose elle-même. Mais il y a d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte pour comprendre le rôle démesuré accordé à Paris au « contrôle ». A commencer par la structure actuelle de la mégapole parisienne et les travers bien connus des radicaux parisiens, qui, dans leur âme modeste, croient toujours être en tête des initiatives théoriques et pratiques. De tels travers sont encore aggravés par la destruction accélérée du Paris populaire et les rendent encore plus impopulaires dans les provinces. « Si Paris, par suite de la centralisation politique, domine la France, les ouvriers dominent Paris dans les moments de séismes révolutionnaires. » Il y a belle lurette que la célèbre phrase de Marx dans Les luttes de classe en France, en 1848, ne correspond plus à rien et relève de la mythologie. Désormais, bien plus qu’à la centralisation traditionnelle de l’Etat, on assiste à Paris à la concentration spectaculaire du pouvoir d’Etat, sur fond de crise du modèle d’Etat-nation à la française et de globalisation accélérée du capital. Ce qui diminue d’autant le pouvoir décisionnel dévolu jusqu’alors aux institutions d’Etat domiciliées à Paris. En d’autres termes, Paris devient de plus en plus la capitale de la représentation du capital, en particulier de la représentation policière, et de moins en moins le lieu privilégié où des forces subversives puissent apparaître de façon conséquente. A Paris les « révolutionnaires » sont non seulement « en manque de révolution », ce qui n’est pas propre à la capitale, mais encore bien plus suspendus dans le vide qu’ailleurs, ce qui favorise le perte du sens du réel. En dernière analyse, il ne leur reste en commun que le poids du « contrôle ». Ce qui les amène à négliger, comme quelque chose de secondaire, l’ensemble des formes d’exploitation et de domination qui pèse sur les damnés de la Terre, dans la capitale et ailleurs. Enfin, lorsque joue le dernier facteur – l’idéologie d’origine surréaliste et situationniste d’après laquelle les formes de représentation du pouvoir les plus avancées, et les plus avariées, sont concentrées à Paris et d’après laquelle la tâche des révolutionnaires est en priorité de combattre ces formes, pour jouer leur rôle d’éclaireurs dans la critique de la représentation –, on dispose de tous les ingrédientsn de base qui rendent les recettes de la tribu parisienne si savoureuses. De telles paroles peuvent paraître trop dures. Mais les révolutionnaires parisiens doivent comprendre qu’ils ne constituent pas le nombril du monde et qu’ils doivent faire au moins preuve de curiosité et de compréhension envers ce que existe ailleurs sous peine d’aggraver leur tendance à l’autisme et leur atomisation.

Année 1996


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Des papiers pour tous
Dernier avatar de la citoyenneté à la française

De nouveau, le collectif Cargo est revenu à la charge, bien que nous ayons été très clair, il y a quelque mois, sur leur marotte, le « Revenu garanti pour tous », lorsqu’ils firent leur numéro à la Bonne Descente. Désormais, dans la foulée de l’occupation de l’église Saint Bernard, ils présentent la revendication « Des papiers pour tous » comme la dernière panacée en date, susceptible d’exprimer et de faciliter la coagulation des forces de tous les étrangers en situation irrégulière en France et, même, de les amener à rompre avec les médiateurs qui tentent de les amener à accepter le « cas par cas ». Et, de nouveau, elle est justifiée par des considérations de type négriste. Lesquelles puent le léniniste recyclé, qui transparaît dans les prises de position du professeur de Padoue et dans celles de tous ses adeptes, en particulier des professeurs de Paris VIII, pour quiconque a quelque peu l’esprit critique.

Cargo ne manque pas d’air, en affirmant que la revendication « Des papiers pour tous » est née par génération spontanée au sein même du premier collectif d’occupation de l’église Saint-Bernard. En réalité, pour quiconque a suivi l’affaire de près, il est facile de voir qu’elle a été concoctée dans les officines situées à gauche de la gauche officielle et qui militent, entre autres choses, pour ouvrir davantage l’éventail de l’activité syndicale, au-delà des portes des dernières concentrations ouvrières en France et du corporatisme obsolète façon CGT. SUD en est la préfiguration et c’est pourquoi bon nombre de ses leaders, qui portent parfois aussi les multiples casquettes de prétendus délégués des diverses associations de « sans », sont particulièrement investis dans les collectifs de « sans papiers ». Pour racoler du côté de Saint Bernard, de telles officines se sont alliées à des curés, apôtres de l’église des pauvres relookée citoyenneté planétaire, style Gaillot, sans compter des sectes aussi dégueulasses que le parti marxiste-léniniste du Sénégal, aujourd’hui ripoliné en lobby citoyen, en pointe dans la défense et la propagation de la « revendication unitaire », et dont les chefs jouent le rôle de modestes immigrés en colère, tels que l’idole des médiateurs et des souteneurs en tous genres : la pasionaria caméléon Madjiguène Cissé.

Bien entendu, « Des papiers pour tous » rencontre l’adhésion de la grande masse des « sans papiers » et il n’est évidemment pas question d’accepter le « cas par cas ». Bon nombre d’entre eux la reprennent à leur compte – dans les assemblées où nous sommes allés, elle était votée sur proposition de leurs délégués, en réalité des délégués du parti marxiste-léniniste sénégalais, par exemple, belle preuve de spontanéité ! – car elle semblait correspondre à leur besoin de rassembler leurs forces face à l’Etat, de sortir de la clandestinité qui leur est imposée et de bénéficier des « faveurs » que l’Etat providence à la française aurait accordé depuis des décennies à toutes les personnes d’origine étrangère résidant dans l’Hexagone. C’est bien connu, la France est la Jérusalem de l’esprit républicain universel, le siège du temple déiste de Robespierre où les vestales entretiennent la flamme des dieux de l’Etat moderne, à commencer par Rousseau.

Par suite, on comprend que l’exigence, à première vue légitime et unificatrice de « papiers pour tous », repose en réalité sur l’incompréhension de la nature de l’Etat républicain en France. Ce que les « sans papiers » imaginent être la réalité de la vie dans l’Hexagone, au moins depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, et ce que les hérauts de la démocratie leur présentent comme leurs droits inaliénables, n’a jamais existé. Même dans l’Etat sanctifié comme le « berceau de la liberté », pas de « droits » sans « devoirs », et c’est bien entendu les nécessités de l’économie et du pouvoir d’Etat, dans telle ou telle période de l’histoire, qui les déterminent et nullement de prétendus principes éternels, qui n’en sont que la représentation aliénée.

En France, le premier « droit de l’homme » – notons bien, pas seulement premier « droit du citoyen » –, inscrit au fronton de la Constitution depuis 1945, c’est le « droit au travail », qui n’est en réalité que le revers du « devoir de travail », en d’autres termes de la nécessité de travailler même si, dans la société capitaliste, elle ne prend pas nécessairement la forme de l’obligation de le faire en permanence comme dans les systèmes de domination antérieurs, voire à des périodes antérieures de la société capitaliste, à l’époque de l’accumulation initiale en Angleterre, par exemple. Au cours des Trente Glorieuses, si l’immense majorité des résidents étrangers dans l’Hexagone avait « droit » à des « papiers », c’était essentiellement parce que le capitalisme hexagonal, après la saignée de la dernière guerre mondiale et la reprise de l’accumulation forcenée de capital à la mode fordiste, en avait besoin à titre de travailleurs salariés dans les immenses concentrations industrielles qu’il développait. Tel était leur « devoir » et il faut être imprégné de préjugés républicains de la tête aux pieds pour oublier l’histoire récente de l’Etat et présenter les choses comme s’ils avaient bénéficié de « droits » sans « devoirs ». Sans « travail pour tous », il n’y aurait pas eu de « papier pour tous », comme le montre l’histoire des apatrides en France à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

De plus, en assemblées, les hérauts des « droits de l’homme » affirment parfois, que, même au cours des Trente Glorieuses, les immigrés n’étaient pas traités comme des « hommes », contrairement au préambule de la Constitution. Pour preuve, ils avancent le fait qu’ils n’avaient pas le « droit de voter ». Mais, depuis que la question du vote des immigrés est posée, en gros depuis Mai 68, le pouvoir d’Etat répond qu’il n’y a là aucun viol de la Constitution et qu’il ne faut pas confondre deux choses, Etat nation et Etat providence dont la protection n’est pas de nature territoriale, mais sociale, bien que la seconde soit liée à la première dans la mesure où elle n’est applicable que dans le cadre de la souveraineté hexagonale. Par suite, il n’est pas tenu de leur accorder de telles choses, ce qui reviendrait à les considérer a priori comme des citoyens français, ce qu’ils ne sont pas. Par contre, il confirme qu’ils doivent jouir des « droits de l’homme », tels que définis par la Constitution, c’est-à-dire des « droit de grève », « droit à la santé », « droit à la retraite », etc., découlant de leur statut de travailleurs reconnus comme tels par le pouvoir d’Etat.

Du côté des démocrates, la confusion entre droits politiques et droits sociaux est donc totale et la grande question du travail, tel qu’il évolue depuis des décennies, est escamotée. Par suite, la question de l’immigration « sans papiers » est impossible à poser, y compris auprès des premiers concernés, sans la relier à celle du travail, de son caractère de plus en plus inessentiel, comme nous l’avons souligné à de multiples reprises, dans le processus de valorisation du capital. L’Etat ne refuse des « papiers » à des masses croissantes d’immigrés parce que le capital aurait essentiellement besoin de les exploiter plus dans les limites du territoire national, comme l’affirment les pleureuses démocrates et tous les contestataires du prétendu néolibéralisme. La chose existe mais elle est marginale. C’est l’accélération de la globalisation du marché et l’automatisation inouïe atteinte aujourd’hui dans le processus du travail qui font que le capital, du moins dans les centres décisifs de l’économie, a de moins en moins besoin d’eux. Ce qui annonce la fin probable de l’organisation fordiste du travail et le recentrage de l’Etat autour de fonctions plus régaliennes.

En la matière, notre activité ne peut pas consister à formuler des revendications, aussi générales et unitaires qu’elles paraissent, à la place de ceux et de celles qui entrent en lutte effectivement. Pas plus qu’à faire de la surenchère en reprenant et en propageant sans le moindre recul celles qui semblent outrepasser l’idéologie néolibérale, par exemple « Des papiers pour tous » à la place du « cas par cas ». Par contre, nous pouvons apporter notre contribution, en affirmant notre position, par la plume et par d’autres moyens en fonction des conditions réelles auxquelles nous sommes confrontées, sans jamais faire le moindre cadeau aux illusions et aux groupes qui participent à ramener les moindres manifestations d’insubordination des « sans papiers » dans le giron de l’Etat.

Année 1997

Pour obtenir ces trois notes, rédigées après des discussions collectives effectuées autour de La Bonne Descente, à Paris, au milieu des années 90, écrire à l’adresse : julius93@free.fr

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L’incendie millénariste

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Camouflage digital : mode d’emploi

À la suite des émeutes de Londres et d’autres villes de Grande-Bretagne, la police locale a décidé de profiter des dernières avancées en matière de technologie pour retrouver les émeutiers présumés. Scotland Yard qui a investi dans un système de reconnaissance faciale pour les Jeux Olympiques de 2012 l’a testé avec les images prises par les milliers de caméras de vidéo-oppression disséminées dans les villes de Grande-Bretagne. Bien que les méthodes d’enquête traditionnelles demeurent encore les plus utilisées, l’usage de nouvelles technologies pour traquer les « criminels » se répand extrêmement rapidement. Si l’on ajoute à cela les législations de plus en plus répressives contre le port de masques et autres cagoules sur l’espace public, il semble de plus en plus difficile d’échapper à l’œil et à la main du système répressif informatisé.

Il existe cependant des solutions à faible coût pour niquer le panoptique contemporain. Un designer américain a développé des techniques de maquillage – inspirées du dazzle, un type de camouflage pour navire pendant la Première guerre mondiale – qui permettent aux visages d’échapper aux logiciels de reconnaissance faciale. Les principes de base de ce camouflage sont simples :

1. Ne pas souligner les traits avec un crayon : Cela augmente les probabilités de reconnaissance.

2. Assombrir l’espace entre les yeux : L’intersection entre le nez, les yeux et le front est une caractéristique faciale essentielle.

3. Assombrir la région oculaire : La position et l’ombre des yeux sont une autre caractéristique faciale essentielle.

4. Ne pas se faire remarquer : Pour que le camouflage fonctionne, il ne doit pas être remarqué en tant que tel.

 

Pour en savoir plus (en anglais) :

http://www.cvdazzle.com/

http://dismagazine.com/dystopia/evolved-lifestyles/8115/anti-surveillance-how-to-hide-from-machines/

À lire aussi :

http://www.revoltenumerique.herbesfolles.org/2011/08/12/reconnaissance-faciale-par-la-video-surveillance-cest-arrive-pres-de-chez-vous/

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https://lereveil.ch/N11/camouflage-digital-752

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La réhabilitation de l’Etat par les gauchistes

L’une des constantes dans les derniers mouvements sociaux en France fut de se tourner vers l’Etat comme solution aux problèmes soulevés. Au-delà des limites que posent des revendications qui s’adressent à un Etat qui est lui-même au cœur du dispositif dénoncé (privatisations, flexibilité, déréglementation, précarisation), ce qui nous intéresse ici est la posture de la gauche autoproclamée radicale, parfois influente dans ces mouvements. En effet, elle ne se contente plus de cautionner un Etat-providence (pour qui ?) moribond, mais procède à une véritable réhabilitation du rôle de ce dernier. Qu’il s’agisse des forces syndicales (SUD, CGT, AC) ou de ses théoriciens (Bourdieu, Gorz, Moulier-Boutang,…), on assiste à l’émergence d’une théorie de l’Etat qui tente de lui trouver un nouvel espace au sein du capitalisme triomphant. Deux exemples avec le mouvement dans les services publics en novembre-décembre 1995 et celui des précairEs fin 1997 début 1998.

Bourdieu et l’Etat

 » Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d’une civilisation, associée à l’existence du service public, celle de l’égalité républicaine des droits, droits à l’éducation, à la santé, à la culture, à la recherche, à l’art, et, par dessus tout, au travail  » P. Bourdieu 1

Pour le nouveau pape de la théorie critique, l’Etat n’est pas seulement le garant de droits sociaux qu’il énumère volontiers, il est aussi associé au statut de civilisation ! En intervenant du haut de sa chaire du Collège de France, rendant visite ici ou là aux  » travailleurs en lutte  » qu’il prend soin de sélectionner en fonction des retombées médiatiques, Bourdieu vient ainsi énoncer les canons du néo-gauchisme.
Il s’agit de défendre une vision de l’Etat contre une autre, une civilisation contre une autre. En somme, un bon Etat social et républicain face à l’Etat libéral et élitiste, la civilisation du travail face à celle du chômage. Le gentil monstre face au méchant, comme si l’Etat ne jouait pas sur les deux tableaux, les miettes du RMI avec le contrôle social, l’idée de services publics, mais intégrés à la logique du marché, les subventions dans les cités accompagnées de BAC armés jusqu’aux dents…
Les droits que Bourdieu met en avant, il feint d’oublier qu’ils furent acquis à force de luttes, conquis parfois face aux canons et aux fusils de ce même Etat républicain qu’il défend aujourd’hui. Et lorsqu’ils furent octroyés sans lutte, c’est qu’ils correspondaient à une demande du patronat (pour fixer la main d’œuvre ou pour obtenir une meilleure productivité). La réduction du temps de travail avec les 35 heures est un exemple plus récent de l’acceptation par le patronat de lois dites  » sociales  » pour en fait les mettre au service de l’entreprise, donc des profits. Dans la même logique néo-gauchiste, Bourdieu prône le maintien de ces droits non pas par une prolongation de ces mêmes mouvements sociaux, mais d’abord par une pression sur les tenants du pouvoir.
Le rapport de force permanent ne serait plus à exercer contre le Capital afin d’abolir l’Etat et le salariat 2. Il s’agirait désormais de se situer à l’intérieur du rapport capital/travail afin de le modifier par le biais du pouvoir étatique. Cette confiance aveugle dans ce pouvoir, qui nie toute autonomie et toute subjectivité propre au mouvement collectif des exploités (travailleurs annualisés et flexibilisés, intermittents du salariat ou précairEs en tous genres, avec ou sans papiers), est un des fondements de la théorie réformiste : il ne s’agit pas d’attaquer l’ennemi au cœur, mais plus vainement d’améliorer la situation présente par le biais d’un médiateur universel et théoriquement neutre (sinon est-ce encore un médiateur ?) : l’Etat 3.
Bourdieu va plus loin encore puisque la défense de l’Etat, cet acquis essentiel des travailleurs, devient une priorité :  » dans l’état actuel, les luttes critiques des intellectuels, des syndicats, des associations, doivent se porter en priorité contre le dépérissement de l’Etat  » 4. Cette civilisation du travail (salarié bien sûr), cet Etat protecteur des droits  » universels « , horizon indépassable des luttes contemporaines, ne sont pas à achever, mais bien à contrôler et à défendre ! Car non seulement l’Etat est vu comme le médiateur indispensable, pas de démocratie directe ou d’antagonisme de classe, mais de plus il est présenté comme le possible représentant des intérêts des travailleurs ou autres précairEs.
C’est oublier un peu vite non seulement son rôle historique tant dans le développement du capitalisme et sa pérennité (Etat-providence) que dans la répression des mouvements sociaux. L’exemple des spartakistes allemands écrasés en 1919 par un Etat dirigé par des sociaux-démocrates est à cet égard significatif, tout comme son rôle actuel en Chine pour imposer un capitalisme des plus sauvages. Et même un Bourdieu pourrait se rendre compte de la fascisation de la société, l’Etat ayant pour fonction principale aujourd’hui d’assurer la paix sociale après avoir favorisé l’industrialisation puis aidé les entreprises nationales à se battre contre la concurrence  » étrangère  » (même le parti communiste y était allé de son couplet avec le magnifique  » roulons français  » pour soutenir Renault).
De plus en plus de personnes échappant à l’emprise directe du Capital du fait d’une mise au salariat restreinte dans les pays riches, l’Etat se charge à la fois de calmer cette masse de précairEs par un système d’allocations restrictives (du fait du contrôle social qui va avec et du découpage des droits sociaux en tranches selon le principe des populations-cibles) et de les réprimer préventivement : vidéo-surveillance, multiplication des polices parallèles (agents municipaux, vigiles, grands frères, contrôleurs, travailleurs sociaux… souvent composées d’anciens précairEs, des cités ou d’ailleurs), fichages plus conséquents (interconnexion fichiers sécu-impôts, informatisation du carnet de santé, fichage des sans-papiers, création du STIC (fichier qui conserve sur 40 ans les procès-verbaux de police), carte d’identité Pasqua désormais gratuite qui enregistre les empreintes digitales) et quadrillage permanent de la population à coup de simples patrouilles, de BAC ou de militaires grâce à Vichy-pirate,…
Tel est le rôle de l’Etat en Europe (quant aux Etats-Unis, c’est déjà un Etat carcéral) et croire qu’il puisse être neutre et servir les dominés est assurément un des mythes entretenu par le néo-gauchisme.

Le mouvement de novembre-décembre 1995

Dans cette logique bourdivine d’un Etat arbitre des conflits et garant des droits sociaux, les animateurs du mouvement social de novembre-décembre 1995 se sont trouvés face à l’alternative suivante : se constituer en sujet autonome pour revendiquer et construire par la force du mouvement collectif de nouvelles utopies ou quémander une nouvelle fois à l’Etat des miettes du gâteau, le menacer de ne plus travailler si les maigres droits liés à ce travail (comme la retraite) étaient revus à la baisse. L’intérêt d’analyser ce mouvement, c’est que lorsque l’Etat est lui-même l’employeur, les contradictions dénoncées plus haut apparaissent plus clairement.
Les salariés en grève se battaient d’abord pour que Juppé, premier ministre, retire son plan de réforme de la sécurité sociale qui prévoyait notamment l’augmentation de la durée des cotisations (soit le nombre d’annuités de travail pour une retraite pleine qui passerait de 37,5 à 40), la suppression des régimes spéciaux et des mesures d’économies au niveau des soins. A cela, s’ajoutait le plan Etat-SNCF qui préfigurait une privatisation partielle de cette entreprise et une mobilisation dans des Universités à la fois pour obtenir plus de moyens pour former de bons esclaves salariés et sur des thèmes plus généraux (comme les étudiants étrangers).
La plupart du temps, la justification politique des grévistes fut celle exprimée par Bourdieu et les néo-gauchistes, celle du  » droit à.…  » (suivant en cela le DAL, Droit au Logement ou AC!, apparus quelques années avant). Or, enfermer ses revendications en termes de droits (au travail, à la santé, à l’éducation, à la retraite comme ceci ou cela,…), c’est s’abriter sous la coupe de l’Etat pour qu’il consente à notifier aujourd’hui sur un bout de papier ce qu’il violera dès demain avec l’arrogance et le cynisme qui le caractérisent. Les salariés manifestaient au rythme des syndicats (par grandes journées d’action) pour la notion de service public et contre les privatisations – la SNCF servant d’exemple – et aujourd’hui l’Etat, quatre ans après, dirigé par une alliance, qui comprend le parti communiste et les Verts, privatise totalement ou partiellement à tour de bras : fonds de pension qui mettent à mal les retraites défendues alors, Air France, EDF et les Caisses d’épargne (ouverts à la concurrence), France Telecom, Crédit Lyonnais, Thomson… sans compter que dans les faits le nombre de contrats de droit privé, de sous-traitance et de sous-statuts se multiplient.
Le  » droit à  » n’est en effet qu’une construction théorique qui rentre dans le cadre d’une reconnaissance d’un Etat qui accorderait ce à quoi chacunE à droit en échange de devoirs fixés unilatéralement, de l’abdication permanente de sa propre souveraineté : des droits individuels et sa liberté jusqu’au contrôle de l’entreprise par les salariés et les usagers. Face à cette logique de droits quémandés et garantis par l’ennemi et son instrument, ne peut-on pas à l’inverse opposer celle de l’appropriation directe et collective des moyens de vivre (logements5, nourriture, fringues, transport,…) et surtout de la production ?
Bien sûr, le mouvement social de 1995 s’est d’abord concentré sur l’Etat pour lui opposer une autre façon de voir (bien vague comme la défense des services publics, l’opposition au  » néo-libéralisme « ), puisqu’il s’agissait de réagir à une nouvelle offensive du Capital via le plan Juppé. Mais n’est-ce pas dans l’affirmation collective d’un rapport de force que les dominéEs sont le plus à même de remettre en question le plus fondamentalement le monde dans lequel ils vivent ? Si un mouvement social ou une grève part en général de soi, c’est-à-dire de revendications immédiates et restreintes, c’est pourtant la force du collectif qui lui permet de dépasser ces points pour aboutir sinon à repenser la société, au moins à radicaliser les revendications pour leur donner une portée générale. En ce sens, le  » droit à  » qui ne parvient pas à être dépassé, les luttes défensives qui ne parviennent pas à donner un sens supérieur à ce qu’elles sont censées défendre retournent piteusement à leurs limites initiales6.

La question des transports publics

Face à cette tentative de replâtrer un Etat-providence déliquescent en le suppliant d’être ce qu’il ne peut pas, n’y avait-il pas de place pour d’autres horizons ?
Prenons la question du transport avec le poids des cheminots dans ce mouvement. La revendication principale était la défense du service public tel qu’il devrait être. Or le problème est que se limiter d’emblée à penser le service public dans le carcan étatique, c’est s’interdire de fait de penser la notion de service public. Car qu’en est-il d’un moyen de transport où l’argent sélectionne les individuEs qui peuvent se déplacer, les trie en classes, où le temps devient le critère principal de l’organisation du réseau ferroviaire (le culte de la vitesse s’exprime avec le TGV par exemple ou le TAV en Italie) et de la liaison entre grandes agglomérations ?
Une idée est pourtant souvent avancée pour contrer cette façon de voir, c’est celle de la gratuité, qui remet en cause la marchandisation du transport (mais ni son organisation, ni son fonctionnement). A condition qu’elle soit totale – et non pas réservée aux seuls pauvres comme le réclament plusieurs associations –, la gratuité pourrait remettre en cause de façon plus fondamentale la SNCF et surtout dépasser la question du statut des cheminots. Cependant, tant que ce n’est pas l’ensemble de la fonction du rail et son organisation qui est en cause, cette revendication n’est pas à même de bouleverser l’ordre capitaliste en la matière (une ville comme Compiègne a déjà rendu gratuit son service de bus pour amener plus de consommateurs en centre-ville).
L’autre point qui pourrait amener une rupture concerne l’organisation même des transports collectifs. Il n’est en effet jamais question pour les salariés de se saisir de l’entreprise dans laquelle ils travaillent en interdisant de locaux les cadres et autres petits-chefs pour la mettre en autogestion. Des expériences furent pourtant tentées, sans remonter aux conseils ouvriers ou à l’Espagne de 1936-37, en France en 1944 à Renault par exemple. Ceci s’explique d’une part par le rôle des syndicats, co-gestionnaires de fait des entreprises publiques, d’autre part par des décennies de défaites qui permettent de considérer le maintien des acquis comme une victoire au détriment de l’imagination sur d’autres façons d’agir (l’action directe, le sabotage) et de fonctionner dans l’entreprise.
La notion de service public, mise en avant, est donc rarement interrogée pour penser par exemple qu’un service public soit une entreprise autogérée par les travailleurs et les usagers eux-mêmes afin de lier production et usage de cette production. De même, la gratuité, puisqu’il s’agit théoriquement d’un  » droit à  » (celui de se déplacer librement), est rarement sinon mise en application au moins avancée comme perspective. En pratique, les travailleurs délèguent à des syndicats (même si l’assemblée générale s’est imposée comme mode d’organisation de la grève, sous la pression de la base et pour casser l’émergence de coordinations, qui étaient le mode émergent de la fin des années 807 ) qui négocient avec une direction choisie par l’Etat, dans le cadre fixé par un Etat lui-même soumis aux lois du marché.
Qu’il s’agisse de la question du pouvoir dans l’entreprise ou de celle de l’usage réel des biens et services produits par l’entreprise, le développement d’un mouvement social qui se cantonne au cadre étatique sans le dépasser – cautionné qui plus est par une kyrielle  » d’intellectuels critiques  » – risque donc fort de déboucher sur l’impasse de celui de fin 1995 : faire abandonner ponctuellement à l’Etat des dispositifs sans remettre en cause structurellement ni son rôle dans le processus décrié, ni son terrain (qui est celui du Capital). En se posant dans une logique de revendications puis de négociations avec l’Etat, les travailleurs ne parviennent alors à obtenir que ce qu’ils posaient au départ comme limites maximales, l’abandon de mesures certes néfastes mais décidées dans un contexte sur lequel ils se refusaient dès lors à avoir prise.
Ce processus est encore plus flagrant avec le mouvement des chômeurs et précairEs de fin 1997-début 1998 car l’Etat n’était par définition ni l’employeur ni l’interlocuteur évident des acteurs de ce mouvement. Et pourtant, le  » droit à  » s’est exprimé largement. Mieux même, il a été théorisé sous forme de revenu garanti par les néo-gauchistes. Alors que les salariés du mouvement de 1995 pouvaient se conformer au modèle en place – celui qui cède sa place à un libéralisme qui désormais peut se passer du contrôle étatique de service public – et n’avaient pas forcément la force d’envisager une autre voie qui préserverait le service public en se passant de l’Etat, les précairEs et chômeur-ses en colère partaient de rien ou si peu. Face à l’Etat et aux organismes sociaux, face aux magasins pleins, ils pouvaient développer leur mouvement sur leurs seules bases.
Et pourtant ce ne fut pas le cas. Si fin 1995, des Bourdieu et une liste de pétitionnaires8 ont pu conforter les salariés (face à l’arrogance de Juppé, il pouvait leur sembler important que des  » intellectuels  » affirment dans les médias qu’ils n’étaient ni archaïques ni privilégiés) dans la défense d’un service public étatique, fin 1997 les théoriciens néo-gauchistes ont eu un rôle plus important avec le revenu garanti : ils ont remis l’Etat dans le circuit, là où il avait disparu.

Le mouvement des précairEs : réclamer des miettes

 » Vous êtes le Premier Ministre d’une Gauche plurielle, et vous en êtes fier : vous nous l’avez dit lorsque vous nous avez reçus. Nous attendons que vous preniez les décisions qui s’imposent  »
H. Constancias (MNCP), F. Desanti (CGT), R. Dethyre (APEIS), C. Villiers (AC !) le 20 janvier 1998

Contrairement au mouvement de novembre-décembre 1995, le mouvement des précairEs se place rapidement dans une perspective offensive. Même s’il démarre timidement en réaction à la diminution de l’Allocation Formation Reclassement (AFR) de 40 % en septembre 1997, il prend de l’ampleur à la fin de l’année autour de l’idée fédératrice d’une prime de 3.000 francs pour Noël et l’augmentation des minima sociaux de 1.500 francs. La première partie étant portée au départ par les comités privés d’emploi de la CGT dans les Bouches-du-Rhône et le Nord, la seconde par les syndicats de chômeurs. Une partie de la masse des précairEs entame alors un mouvement d’occupations (Assedic, ANPE, patronat, locaux du PS et centres de décision officiels comme la Bourse du commerce, le Crédit Lyonnais, les gestionnaires HLM,…) afin de voir ses revendications satisfaites.
La différence essentielle de ce mouvement social avec le précédent évoqué plus haut, c’est qu’il ne s’oppose pas à une série de mesures ponctuelles et qu’il pose comme revendication principale son niveau de vie, un niveau qu’il chiffre. Le bras de fer avec l’Etat va donc dès lors porter sur une querelle de chiffres avec un calendrier dérisoire (Noël 9) destiné à motiver les troupes. Toutes les énergies se focalisent sur cet unique rapport de force : combien de millions allons-nous arracher à l’Etat et quand ?
L’enjeu est donc rapidement défini et les syndicats de chômeurs auront beau jeu de décréter la fin du mouvement une fois que les miettes auront été jugées suffisantes. La forme est connue et expérimentée depuis longtemps par les syndicats de travailleurs : un rapport de force pour engranger un peu d’argent puis cesser la grève, au besoin en y contraignant les gens. Lorsque ceux-ci ne sont pas d’accord comme ce fut assurément le cas avec les précairEs, on invoque la répression policière (réelle) et surtout on réoriente les revendications.
Suite au milliard lâché par le gouvernement Jospin début janvier 1998, c’est la loi sur la réduction du temps de travail et celle sur l’exclusion qu’ils placent au centre des revendications. Les choses rentrent alors dans l’ordre, cet hiver-là n’ayant servi qu’à accepter l’aumône de Jospin et à appuyer les lois que le PS faisait voter. Rarement, on aura quitté le terrain de l’Etat (des sous, des sous !), ses échéances (des manifestations rythmées par les annonces gouvernementales) et ses limites, décrites précédemment.

La perspective du revenu garanti

Et pourtant, un slogan qui n’est nouveau que par son appropriation par la majeure partie du mouvement, fut  » un emploi c’est un droit, un revenu c’est un dû « . La question du revenu garanti est ainsi devenue non pas centrale mais comme le résultat d’un travail de longue haleine (voir le collectif Cash en 1987 10 ou Cargo dans les années 90) qui aboutit dans ce mouvement comme possible dépassement de la prime de 3.000 francs et de l’augmentation des minima sociaux. Cependant, loin de constituer ce dépassement, elle en constitue au contraire l’extrême limite.
En effet, si elle a le mérite immédiat d’aller plus loin que le versement ponctuel d’une somme d’argent précise, elle reste embourbée sur le terrain étatique. Car qui garantirait ce revenu réclamé ? L’Etat bien sûr ! A travers cette revendication, c’est l’institutionnalisation de la misère qui pointe ainsi son nez : on ne s’intéresse pas aux conditions du travail salarié pas plus qu’à ses fins, ni au travail comme marchandise, ni au productivisme (et son corollaire, la consommation), ni à l’argent comme médiateur des rapports sociaux 11, ni aux conditions de production de la richesse à l’échelle du pays (l’impérialisme et la surexploitation des travailleurs du Sud12 ). Il s’agit simplement de permettre à chacunE en France de disposer d’une plus grande somme d’argent pour consommer.
Et ceci a un prix, très lourd, qui est le renforcement du poids de l’Etat sur chacunE, même si ce revenu est octroyé sans contrepartie13. C’est aussi une façon habile de le réhabiliter et lui redonnant un rôle de redistributeur de richesses. Y. Moulier-Boutang, l’un des théoriciens du revenu garanti (sa proximité avec la mouvance autonome au début des années 80 fait aujourd’hui plus que sourire), ne s’y trompe pas en expliquant par exemple que  » seul le revenu garanti est un facteur de création d’emplois normaux  » ou qu’il s’agirait d’  » un choc salutaire augmentant le revenu disponible des ménages qui dépensent  » 14 !
Il s’inscrit ainsi délibérément dans l’optique réformiste du keynésianisme qui fait de l’Etat un acteur central de l’économie et qui partage la politique entre la droite et la gauche. Dans son univers étriqué, il n’y a pas de classes antagonistes mais une droite et une gauche où se retrouvent toutes les classes et qui s’affrontent pour le contrôle de l’Etat afin d’orienter un peu plus son action vers ceci ou cela, sans jamais toucher au fond bien sûr.
Ses perspectives, dans le cadre de la gauche, sont dès lors claires puisqu’il s’agit de montrer qu’une bonne gauche doit se saisir du revenu garanti pour assurer sa pérennité :  » si la gauche veut réussir à transformer le travail, à redéfinir le législation du travail, à le répartir autrement, à retrouver les chemins du développement, elle devra en passer par là. Nous ne lui demandons pas de forger l’impossible de toutes pièces  » 15. Et certes, si la survie du PS est à ce prix, il s’y pliera volontiers avec l’aide de cet économiste repu. L’impossible pour Moulier-Boutang, professeur à Sciences-Po, ce serait plutôt de mordre la main du maître qui lui donne la pâtée…

Gorz travail et patrie

Un autre théoricien est ressorti des placards pour vendre sa soupe garantie. Le journal Occupation paru en janvier 1998 pendant le mouvement des chômeurs-ES et précairEs nous cite même des extraits de son dernier livre. Il s’agit d’André Gorz qui dès 1980 faisait ses Adieux au prolétariat (titre de son bouquin d’alors). Examinons donc d’un peu plus près les positions de ce nouveau converti du revenu garanti inconditionnel. En 1995, Gorz expliquait ainsi son opposition à cette réformette :  » quelle que soit l’importance du minimum garanti, il ne change rien au fait que la société n’attend rien de moi, donc me dénie la réalité d’individu social en général. Elle me verse une allocation sans rien demander, donc sans me conférer de droit sur elle « .
Cet apôtre du travail salarié, non seulement confond société et Etat (avec son couple mortifère droits/devoirs) mais en plus fait rentrer précisément le salariat comme une des obligations que nous avons à son égard :  » droit au travail, devoir de travailler et droit de citoyenneté sont inextricablement liés  » ou  » l’aspect essentiel de l’obligation de travail en échange d’un plein revenu garanti, c’est que cette obligation fonde le droit correspondant : en obligeant les individus à produire par leur travail le revenu qui leur est garanti, la société s’oblige à leur garantir la possibilité de travailler, et leur donne le droit de l’exiger « 16. Le salariat comme facteur de citoyenneté, soit comme porteur de droits et de devoirs (celui de se faire exploiter bien entendu), voilà une rhétorique vieille comme le capitalisme. Travaillez, vendez votre force de travail et ensuite seulement vous pourrez parler, exiger, vivre. Le salariat comme libération de l’individuE, il fallait y (re)-penser !
Plus récemment, Gorz a remanié son fond de marmite pour accepter l’idée d’un revenu garanti. Mais l’essentiel ne change pas puisqu’il n’est pas question de supprimer le salariat ou l’Etat mais plutôt d’offrir un revenu à chacunE contre sa domestication. Il s’agit en quelque sorte de les intégrer en dehors des périodes de salariat, comme si le capitalisme excluait qui que ce soit (au contraire, il assigne à tous un rôle dans le système d’exploitation). Gorz prône désormais un revenu garanti suffisant et inconditionnel, une redistribution du temps de travail et le fait de favoriser de nouveaux modes de coopération et d’échange, le tout sous l’étiquette de  » réformes révolutionnaires  » ! Son argumentation est limpide :  » l’allocation universelle et inconditionnelle d’un revenu de base cumulable avec le revenu d’un travail, est … le meilleur levier pour redistribuer aussi largement que possible à la fois le travail rémunéré et les activités non rémunérées  » 17.
De même, la redistribution du temps de travail n’est pour lui qu’une façon de calmer l’armée de réserve des chômeurs et précairEs puisque le salariat reste le référent incontournable de sa pensée, malgré ses dénégations. Il est en effet question d’amortir les périodes hors emploi en permettant aux individuEs de continuer de consommer et donc de s’épanouir, le tout présenté comme une… liberté nouvelle. Grâce à Gorz, on sera  » en droit de travailler de façon intermittente et de mener une vie multiactive dans laquelle travail professionnel et activités non rémunérées se relaient et se complètent « 18.
La cerise sur le gâteau indigeste de ce travailliste new look, c’est qu’en plus d’aménager un revenu garanti comme complément au salariat, il ramène l’Etat pour lier l’ensemble. Car s’il n’est pas question d’abolir le salariat, l’argent ou quoi que ce soit de vital pour le Capital, l’Etat ne saurait être en reste et le grand replâtrage de Gorz s’achève par lui. Tout son système de pensée unique (gauchiste) suppose ainsi  » que la société produise un “surplus économique” accumulable, donc qu’il subsiste une monnaie équivalent universel, des règles connues, acceptées et applicables à tous, donc un droit, un appareil du droit, un organe de coordination et de péréquation, bref ce qu’on appelle un Etat » 19.

Feinte-dissidence et Etat tout puissant

Avec Gorz comme avec Moulier-Boutang, les limites du revenu garanti apparaissent de manière flagrante avec l’absence de remise en cause des bases du système capitaliste (travail-marchandise, argent, Etat). D’autres encore pourraient tenter de théoriser cette revendication mais le profond réformisme de cette mesure, qui peut tout juste servir à un gouvernement pour rebondir en cas de mouvement social trop puissant, ne peut en aucun cas servir de dépassement du système qui assujettit aussi bien les salariés que les chômeurs-ES et précairEs. Or, c’est précisément la force (et la crainte pour les dominants) d’un mouvement social que d’être capable de subvertir l’ordre social. Présenter dès lors le revenu garanti dans ce cadre relève au mieux de la naïveté, au pire de la manipulation. Car faire croire qu’un ersatz de capitalisme, un système réformé, pourra offrir plus de liberté ou tout simplement des conditions d’existence  » décentes  » c’est soit se leurrer sur les possibilités d’adaptation et de récupération du Capital 20, soit se servir des révoltes collectives pour les mettre directement au service des dominants relookés monopole du cœur.
La kyrielle d’intellectuels, que Janover nomme la feinte-dissidence21, sert alors dans ce jeu de dupes de caution à un capitalisme qui a plus que jamais besoin de l’Etat pour garantir son fonctionnement, non plus en tant que producteur lui-même, mais en tant que garant de la productivité, à savoir l’asservissement total via un contrôle social généralisé, avec un recours permanent possible aux forces armées. S’adresser à l’Etat directement comme en novembre-décembre 1995 sans dépasser ce cadre ou, plus subtilement, réclamer l’aumône en avançant la perspective d’un salaire social garanti comme fin 1997-début 1998 revient ainsi à s’enfermer dans la logique qu’on décrie à grands renforts médiatiques sous le terme de « néo-libéralisme ».
Face à ce replâtrage jamais achevé, il existe pourtant d’autres possibilités, à chaque fois évoquées et quelques fois tentées, celles du rapport de force direct avec le Capital : de l’appropriation directe des moyens de production (comme les quelques sabotages à EDF en novembre-décembre 1995 et le refus des coupures) à la réappropriation (pillages plus ou moins organisés fin 97-début 98), en passant par la gratuité. Mais il est vrai que ces formes d’action présenteraient l’inconvénient de la radicalité et de l’autonomie des acteurs du mouvement social, ce qui ne serait guère du goût d’un Etat dont on se passerait, ni celui des syndicats et des intellectuels autoproclamés, dont la raison d’être commune est précisément de montrer la voie à suivre.

Théodore, le 31.3.98

1. Pierre Bourdieu, intervention à la gare de Lyon en décembre 1995 in Contre-feux, éd. Liber, juillet 1998, p. 30
2. L’abolition du salariat figure en bonne place dans la Charte d’Amiens de la CGT (1906). Cette référence fut précisément supprimée lors du 45e congrès de la CGT début décembre 1995…
3.  » L’Etat est une réalité ambiguë. On ne peut pas se contenter de dire que c’est un instrument au service des dominants. Sans doute l’Etat n’est-il pas complètement neutre, complètement indépendant des dominants, mais il a une autonomie d’autant plus grande qu’il est plus ancien, qu’il est plus fort, qu’il a enregistré dans ses structures des conquêtes sociales plus importantes, etc. « , Pierre Bourdieu en octobre 1996 in Contre-feux, op. cit., p. 39. Le mythe de l’autonomie (relative) de l’Etat est un de ceux qui permet ensuite de le penser comme un possible instrument au service de la classe des exploitéEs et donc de présenter sa conquête comme un objectif révolutionnaire.
4. ibid, p. 46-47
5. L’exemple de l’association Droit au Logement (DAL) est significative puisqu’il ne s’agit pas pour elle de s’approprier directement des logements mais d’occuper des bâtiments pour obtenir ensuite un relogement par l’Etat, suivant un principe de listes gérées par l’association selon le modèle des organismes municipaux.
6. On peut lire l’optique pessimiste sur le sujet : Remarques sur la paralysie de décembre 1995 par l’Encyclopédie des nuisances.
7. De fait, même si des assemblées générales sont organisées par la base, il en sort régulièrement des têtes à même de diriger le mouvement. Deux néo-gauchistes sont éclairants à ce sujet. Christophe Aguiton (membre du bureau politique de la LCR, un des dirigeants de SUD, porte-parole d’AC! et secrétaire général d’ATTAC) et Daniel Bensaïd (membre du bureau politique de la LCR et professeur à l’Université) écrivent ainsi que l’avenir du mouvement social  » ne dépend pas de son seul travail sur lui-même. (…) Il dépend aussi pour une part de la possibilité de voir surgir des interlocuteurs politiques « . De même, le fond politique commun des luttes des dernières années  » permet de fixer un horizon à moyen ou long terme, la formation d’une nouvelle force politique, d’une nouvelle gauche, d’une gauche alternative, d’une “troisième gauche” si l’on veut, dans la gauche et pour changer la gauche, pour traduire les bouleversements intervenus (…) « . In Le retour de la question sociale, éd. Page deux, Lausanne, septembre 1997, p. 44 & 48.
8. Les signataires de la pétition  » Appel des intellectuels en soutien aux grévistes  » se situent d’emblée dans le cadre étatique :  » Nous nous reconnaissons pleinement dans ce mouvement (…) qui est, en fait, une défense des acquis les plus universels de la République.  »
9. Un tract d’AC ! du 25 décembre 1997 est significatif à cet égard (Noël étant passé, on fixe le 1er janvier comme nouvelle vaine échéance). Son en-tête :  » Il reste 6 jours pour imposer le versement des 3000 francs de prime de fin d’année « . Son contenu misérabiliste :  » L’objectif sur lequel convergent les mouvements de chômeurs et de précaires est de faire qu’au moins un mois dans l’année, le revenu des chômeurs et des précaires approche le montant du Smic mensuel que nous voulons voir garanti à chacun « .
10. … qui finit par signer un appel pour un revenu minimum garanti stipulant que chaque bénéficiaire devrait s’engager à ne pas refuser plus de deux offres d’emploi sous peine d’en être exclu. Signalons aussi que ce collectif avait néanmoins portes ouvertes dans une certaine presse radicale. Courant alternatif, journal de l’Organisation communiste libertaire (OCL), titre son n°79 d’octobre 1988  » Pour un revenu minimum garanti égal au Smic  » et publie un article de CASH n°10 (p. 15-17).
11. Le fait de distribuer ainsi de l’argent pour être productif est par exemple développé par Toni Negri :  » le salaire garanti signifie la distribution d’une grande partie du revenu, tout en laissant aux sujets productifs la capacité de dépenser ce revenu pour leur propre reproduction productive  » in Exil, ed. Mille et une Nuits, 1998, p33-34
12. Le revenu garanti pourrait ainsi consister à mieux répartir l’argent dans le seul cadre national des pays riches, argent obtenu à partir de richesses produites dans les tiers-mondes sur une base de surexploitation. Voir Apache n° 12, printemps-été 1998, p. 16
13.  » Comment ne pas voir que le “travail comme droit” renvoie à l’idée du travail obligatoire ; que toute mesure de “revenu garanti” implique la police des assistés, la régulation de la pauvreté par l’Etat ? « , Charles Reeve,  » Revenu garanti, travail forcé et Vigipirate « , Oiseau Tempête n°3, p29.
14. Yann Moulier-Boutang,  » Pour un nouveau New Deal « , paru dans le journal Occupation (janvier 1998, numéro unique) et dans la revue Chimères sous le même titre (p83 & p84).
15. ibid p86
16. André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête du sens, Galilée, 1995, p 255, 256 et 261
17. André Gorz, Misères du présent. Richesse du possible, Galilée, 1997, p140-141
18. ibid, p154
19. ibid p176-177
20. Ce qui est, on l’espère pour eux, le cas de deux défenseurs du revenu garanti, qui le considèrent comme  » un instrument de lutte inscrit dans la perspective de court-moyen terme de la dynamique ouverte par les grèves métropolitaines de l’automne 95  » ! Laurent Moineau et Carlo Vercellone croient en effet pouvoir utiliser l’Etat et à l’existence possible d’alternatives au sein du capitalisme qui préfigurent le communisme (!) :  » L’un des contenus stratégiques du revenu de citoyenneté signifie justement le renversement de cette logique de subordination de la production de valeurs d’usage aux valeurs d’échange. Elle correspond donc à la réappropriation du Welfare (…), c’est-à-dire de tous ces mécanismes qui font des institutions de l’Etat-Providence les articulations de la constitution d’un mode de production alternatif au sein du capitalisme, des éléments de la transition au communisme » . In Réduction du temps de travail, revenu garanti. Vers la construction d’un projet de société alternatif, Futur Antérieur n°35-36, L’Harmattan, automne 1996, avant dernier §.
21. Louis Janover, Voyage en feinte-dissidence, Paris-Méditerranée, 1998

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Rencontre internationale autour du livre subversif Samedi 15 et dimanche 16 octobre 2011 à Bruxelles

D’une insatisfaction…

Le mirage de la paix sociale qui pendant des décennies a régné sur les pays européens est dans certains endroits tout simplement mis en morceaux, tandis que dans d’autres, il ne commence qu’à se fissurer. Pendant des années, les révolutionnaires et antiautoritaires se sont habitués à considérer leurs luttes soit comme de justes tentatives à fracturer le tombeau de la pacification, soit comme des contributions visant à approfondir les tensions surgissant ici et là. Cependant, les changements en cours semblent ouvrir de plus vastes possibilités. Tandis que certaines révoltes, comme celles de novembre 2005 en France ou celles de décembre 2008 et avril-mai 2010 en Grèce (sans pour autant oublier ni les conflits plus circonscrits mais importants ni les révoltes diffuses), sont certes venues illuminer la pénombre, les soulèvements de l’autre côté de la Méditerranée nous lancent des défis que l’on avait quelque peu mis de côté  : la question de l’insurrection, celle des perspectives révolutionnaires, c’est-à-dire, la question de la vaste et profonde subversion des rapports sociaux. Face à une situation sociale enflammée, le défi ne serait certes plus uniquement de « jeter d’avantage d’huile sur le feu », mais plutôt de savoir contribuer à orienter le feu vers la liberté. Face aux situations sociales changeantes, posant également de nouveaux obstacles que ceux déjà connus, nous pensons qu’il est d’une importance particulière d’« ouvrir nos esprits », de laisser derrière nous les modèles et d’étudier nos possibilités pour encourager et contribuer à déclencher la tempête sociale. Car le manque de perspectives, que ce soit à grande ou à petite échelle, risque de nous reléguer assez rapidement sur une voie de garage où seule la paralysie nous attend.

… vers une occasion

Selon nous, si nous voulons développer des perspectives révolutionnaires, nous avons aussi bien besoin d’expériences pratiques que de temps et d’espace pour discuter. Même si aucune situation n’est jamais exactement pareille qu’une autre, il nous semble que les bases desquelles partent des anarchistes et antiautoritaires, au-delà des frontières nationales, suffisent à rendre possible la discussion afin de creuser quelques pistes. Ainsi, nous désirons que cette rencontre internationale soit une des, espérons-le, nombreuses occasions pour se pencher sur des thèmes qui ne nous tiennent pas seulement à cœur, mais qui ont aussi été trop longtemps mis de côté. Le vide relatif d’une répétition sans issue et ennuyante des schémas activistes ou militants, celui d’une incapacité croissante à mettre le feu à la mèche dans des situations sociales qui semblent toujours plus instables ou encore celui d’une idéologisation de certaines méthodes et angles d’attaques pourraient peut-être être dépassés en nous replaçant profondément sur le terrain des hypothèses révolutionnaires. Lors de cette rencontre, notre envie est de créer un espace aux discussions et aux rencontres informelles entre anarchistes et antiautoritaires qui essayent de dépasser ce vide que ce soit dans leur pratique comme dans leurs idées, dans leurs activités comme dans leurs luttes, dans leurs interventions comme dans leurs hypothèses.

… et une invitation au-delà des frontières

Nous espérons qu’à travers cette petite esquisse, vous comprenez l’intérêt de l’intention internationaliste de cette rencontre. Non seulement, parce qu’un enrichissement réciproque au-delà des frontières peut toujours valoir la peine, mais aussi parce que la question des perspectives révolutionnaires nous amène inéluctablement vers un dépassement des particularités locales. Nous voulons tirer le plus possible de cette rencontre. C’est dans ce sens que nous avons pensé que des contributions écrites à l’avance pourraient y aider. Nous invitons donc tous les compagnons à prendre part au débat à l’avance de manière écrite. Les mois précédant la rencontre, ces contributions seront alors traduites et diffusées via un blog et/ou une mailing-list.

http://subversive.noblogs.org/

Adresse des rencontres :
37, Rue de la Charité
Saint-Josse-ten-Noode (Bruxelles, Belgique)

Contact :
Toutes questions ou contributions peuvent être envoyées à subversivebook [at] riseup [point] net.
En envoyant un message sur ce mail, vous pouvez également vous inscrire à la mailing-list via laquelle seront envoyées les contributions et les traductions aux discussions, des mise-à-jour techniques etc.

Le reste des infos ainsi que les contributions devraient se trouver sur le site http://subversive.noblogs.org/.

Publié dans dans le texte | Commentaires fermés sur Rencontre internationale autour du livre subversif Samedi 15 et dimanche 16 octobre 2011 à Bruxelles