Sirventès des doléances

Je n’exige aucun droit,
C’est pourquoi je ne suis obligé
D’en reconnaître aucun

— Max Stirner

Quand vous occupez une place publique
Quand vous courrez dans les rues
Quand vous fracassez une vitrine
Quand vous volez un téléviseur
Quand vous brûlez une voiture
Quand vous lancez des briques
Sur les forces de l’ordre
Quand vous copulez contre un mur
Entre deux salves de gaz lacrymogène

Les politiciens, les journalistes
Les juges, les militants
Veulent tout de suite savoir :
« Quelles-sont vos demandes? »

En vérité, ce qu’ils craignent
C’est qu’il n’y en ait pas;
Qu’il n’y ait rien derrière vos gestes
Pas de revendications
Pas d’exigences
Pas de cause à défendre
Seulement une dépense sauvage d’énergie
Aussi inexplicable et irrationnelle
Qu’un sacrifice consenti à des dieux courroucés

Car pour eux, il doit y avoir des demandes
Il doit y en avoir à tout prix :
Les politiciens veulent avoir quelque chose à négocier
Les journalistes veulent avoir quelque chose à expliquer
Les juges veulent avoir quelque chose à condamner
Les militants veulent ajouter vos demandes à leur programme
— Et ainsi vous gagner à leur parti

Voilà pourquoi crient-ils : « Que voulez-vous? »
Et voilà pourquoi ont-ils la frousse
Quand vous leur répondez :
« Rien ».

Les élus du peuple vous traiteront
De criminels, de casseurs déments
Les socialistes vous diront
Que vous êtes naïfs, politiquement immatures
Les idéologues qualifieront vos gestes
De jacqueries, d’émeutes autodestructrices

Or vous, vous savez bien
Que ce que vous désirez
Jamais un État, une Église
Ou une multinationale
Ne serait en mesure de vous le donner

Vous savez bien
Que ce que vous désirez
Ne se demande pas
Mais se prend

Car ce que vous désirez
C’est vous réapproprier
Votre vie

Si vous n’avez pas de demandes
Personne n’arrivera à vous accommoder
Personne n’arrivera à vous satisfaire
Personne n’arrivera à vous apaiser

Alors la prochaine fois qu’un reporter
Vous écrasera un micro au visage
Et vous demandera :
« Quelles-sont vos demandes ? »
Souriez-lui gentiment
Et pointez vaguement vers le ciel
Ou donnez-lui le bottin téléphonique

Avec un peu de chance
Ce koan le tiendra occupé juste assez longtemps
Pour que vous puissiez incendier le monde

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[Trouvé sur le blog d’Anne Archet]

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