En taule pour des tags et du lisier ?

La répression des mouvements « subversifs » comme moment d’une totalité

Ce texte n’a aucune prétention particulière, si ce n’est proposer un retour sur l’affaire du 15 novembre et une rapide analyse d’un moment de la totalité, d’un moment de la lutte de classe au sein du mode de production capitaliste, dans le contexte historique à la lisière d’une crise de la valeur jamais apparue auparavant. Le titre peut paraître trompeur mais il n’est en aucun cas question, dans ce texte d’indignation face à une quelconque démesure judiciaire mais plutôt d’une réflexion par démonstration autour de l’utilsisation de la symbolique et de diverses formes idéologiques dont la bourgeoisie se munit afin d’assurer la reproduction des rapports sociaux capitalistes. La Justice en est un exemple.

Le 5 juillet 2011, un groupe d’individus s’invitait dans les locaux de la P.J.J (Protection Judiciaire de la Jeunesse) dans le but, selon le tract, d’orner les murs, très certainement ternes et austères de ce bâtiment administratif, de quelques lettres de noblesse, colorées qui plus est, et d’y ajouter un peu de lisier, pour donner du corps à l’ouvrage.

Cette performance artistique, la P.J.J, en tant qu’entité symbolique représentant la Justice des mineurs, l’avait héritée des diverses prises de positions des éducateurs intervenants à l’Etablissement Penitentiaire de Lavaur, qui avaient reclamé plus de moyens pour leur sécurité et la revalorisation de leur statut, à la suite d’une mutinerie ayant fait la Une des journaux, remettant encore une fois l’incarcération, et la justice des mineurs, sur le devant de la scène des opinions légères. Faut-il s’étonner que la branche judiciaire jeunesse – que  » tout le monde » s’entend à qualifier d’indulgente, de « sociale » et de juste, contestée et mise à nue par des détenus très certainement lucides quant à la place de chacun dans le système carcéral – adopte une position de repli et revendique sa légitimité (et la nécessité de la renforcer dans le cadre du conflit) au sein de l’incarcération des mineurs, au risque de perdre quelques couches de guenilles idéologiques construites autour des concepts d’Etat de raison et de Justice humaine ?

La symbolique est amovible. Elle est un mécanisme stratégique destiné à cristalliser des ambiances, des méthodes d’appréhension en corrélation avec l’air du temps. Celle-ci est une force de coercition, tout du moins le manteau qu’arbore cette force, dans le cadre de le reproduction des rapports sociaux capitalistes. Faire tomber le manteau et montrer les dents c’est simplement une autre façon de faire… Les divers organes étatiques, agents de cette reproduction, en ont l’habitude.
A la suite de l’action du 5 juillet, le procureur de la République de Toulouse promit vengeance face à cette attaque, qualifiée « d’extrêmement grave, bien qu’ayant fait très peu de dégâts ». La symbolique répond à la symbolique et devient elle-même la force motrice de l’engrenage judiciaire. L’enjeu idéoligique supplante les faits, ou plutôt devient le fait. Le 15 novembre 2011, de bon matin, à l’heure où les équipes de jour relaient les equipes nocturnes, une centaine de gendarmes, dont les unités de choc de P.S.I ( Peloton Surveillance Intervention), investit trois maisons, cagoulés, armés, casqués, berger-allemandés, sous les directives de la Section Recherches Midi-Pyrénées de la gendarmerie nationale.
S’en suit l’arrestation d’une dizaine de personnes, dans un coup de fliet qui a déjà un petit goût de bancal dans la bouche des gros costauds, qui, j’en suis sûr, s’attendaient à un peu plus d’action en pénétrant dans le repère de « l’ultra-gauche » toulousaine. Une perquisition destinée à la mise en lumière d’éléments à charge, comme des bouquins, des affiches ou encore des produits d’entretien…

Une quantité considérable de documents est donc saisie, accompagnée d’ordinateurs, de téléphones, disques durs, envoyés à la Tech’, ces fameux Experts, à l’accent toulousain. Ca casse un peu le mythe…
La garde-à-vue porte essentiellement sur les liens que les personnes étiquettées « ultra-gauche », entretiennent entre elles, le fond de nos pensées, nos « méthodes d’action » et j’aurai droit à la scène « Nous ne sommes plus en interrogatoire, je veux qu’on puisse débattre librement », jouée tout de même six fois par six O.P.J différents. Un certain décalage entre l’exposition des faits et la prise ADN de force m’interpelle alors. Déférés au parquet, cinq d’entre nous sont mis en examen dont quatre placés en détention provisoire.

La question ne se pose pas dans les termes judiciaires du coupable et de l’innocent. Nous sommes retenus ici sur la base de nos positionnements politiques et des dossiers RG, bien garnis – que l’on ferme certainement à l’aide de sangles de bâche pour 33 tonnes dans les locaux spécifiquement affectés à cette tâche – que ces positionnements ont générés. Il n’y a rien de prétentieux dans cette affirmation, seulement le strict détail des diverses constructions judiciaires autour de ces mouvements insaisissables que sont « l’ anarcho-autonome », « l’ultra-gauche » ou tout autre délire tape-à-l’oeil si cher à la DCRI.
Dans l’argumentation en faveur de notre maintien en détention, notre appartenance supposée à « la mouvance ultra-gauche […], mouvance politique déniant les autorités judiciaires ou de police » semble se satisfaire à elle-même, épaulée par l’existence toujours virtuelle de complices de « l’opération commando ». Il faut prendre cette appellation aussi sérieusement que lorsqu’une grève est surnommée de « prise d’otage »…
Cette appartenance représentant « un fort risque de réitération » selon les autorités judiciaires, devons-nous comprendre une détention provisoire à perpétuité ou jusqu’à un éventuel repentir ? Nous ne sommes pas la parodie minimale de la fin des années de plomb, l’étape de sa farce historique bien évidemment ; mais l’épisode justifiant sans complexe notre incarcération par notre appartenance à cette mouvance, aussi mystérieuse que terrifiante, obligeait un léger clin d’oeil. Et le tout reste une farce dont nous rions bien jaune. Mais l’affaire du 15 novembre est à inscrire dans un contexte général.
La répression des mouvements « subversifs », construite de manière exogène par les forces de police, trouve sa légitimité sur le terrain de la symbolique des Grandes Idées, mais son intensité dépend du même cadre qu’avec n’importe quel autre type de répression sociale : le cadre des tensions sociales au sein du mode de production capitaliste. Il suffit de jeter un oeil aux peines d’emprisonnement particulièrement lourdes qui tombent à la pelle autour des cambriolages, des trafics, et des braquages pour réaliser ce que veut dire actuellement le terme de guerre sociale. Comme certains disent ici, « ça charcle sévère au T.G.I de Toulouse ». Mais il faut comprendre pourquoi « ça charcle ».
La justice est un organe de la reproduction sociale, et la prison comme moment de sanction-gestion d’une partie de la population qui était déjà, au préalable, excédentaire, en est une particularité, sa dimension la plus hostile.

La crise que nous vivons actuellement est une crise particulièrement grave du mode de production capitaliste et comme toute crise, une crise spécifique au mode d’accumulation. Elle met en jeu l’ensemble du rapport social capitaliste sur la base du rapport salarial qu’entretiennent le Prolétariat et le Capital. Rapport salarial qui émane de la restructuration (financiarisation/mondialisation) des années 70/80 et qui est entré en crise, logiquement.
Avec la crise du régime fordiste d’accumulation et la restructuration qui suivit, c’est toutes les séparations, les garanties sociales, les protections diverses et variées, que l’Etat-Providence (comme agent de la reproduction de la force de travail) conférait à la classe ouvrière, qui ont été désignées comme entrave à la valorisation du Capital (à sa reproduction donc) et traitées comme telle. C’est la fin de l’accumulation capitaliste sur des aires nationales où la reproduction du prolétariat était liée à la productivité. Le prolétariat était confirmé comme pôle nécessaire du capital et la lutte de classe se structurait autour de cette confirmation dans ce qu’on appelait « le mouvement ouvrier », où l’enjeu révolutionnaire était l’affirmation du prolétariat en tant que libération du travail, de la force productive.
Avec la restructuration, c’est toute cette confirmation qui est balayée, la fin de l’identité ouvrière, la fin de cette stabilité sur laquelle les mouvements sociaux s’appuyaient pour revendiquer, l’existence sociale du prolétariat et sa nécessité étant incontestables. Dans ce capitalisme restructuré, la reproduction de la force de travail par le biais du nouveau rapport salarial a connu une double déconnexion, d’abord au niveau de la valorisation du Capital, ensuite au niveau de la consommation ouvrière (où la centralité du salaire n’est plus de mise).
Avec ce qu’on appelle la mondialisation, il n’y a plus de rapport entre la reproduction de la force de travail (segmentée en zones à modalités différentes) et la valorisation du Capital (qui elle est unifiée mondialement).
Nous pouvons repérer trois zones à modalités de reproduction différentes. Une première, que nous pouvons appeler hyper-centre capitaliste, se caractérise par des salaires conséquents où les vestiges du fordisme se représentent par la privatisation des garanties sociales, mais où la pression du « nouveau compromis » (la concurrence mondiale de la force de travail) affecte de plus en plus de fractions de la force de travail de cette zone.
Ce « nouveau compromis », c’est une donnée structurelle qui veut que « le prix de référence des marchandises, y compris la force de travail, [soit] le minimum mondial ».
Une zone secondaire, où nous retrouvons les activités de logistique, de diffusion commerciale et de sous-traitance. Les salaires sont bas et tendent encore à baisser par la pression interne de la force de travail disponible inemployée. Il n’y a pas ou peu de garanties sociales, le rapport salarial trouve sa définition dans la précarité structurelle.
La troisième zone, véritable poubelle sociale, joue le role de réceptacle pour un prolétariat excédentaire, qui n’est pas nécessaire à la valorisation du Capital et où les moyens de survie se bricolent entre aide sociale, économie informelle, débrouille.

Une population familièrement avisée de que ce qu’est la répression et la prison.
Ce zonage se dessine à plusieurs échelles, « du monde au quartier ».
Il y a donc bien rupture du lien qui reliait, territorialement, auparavant, la valorisation du Capital (sa reproduction) et la reproduction de la force de travail, du prolétariat. La seconde déconnexion se situe entre la valeur de la reproduction de la force de travail et la consommation effective du prolétariat. Quand le salaire n’est plus cette instance régulatrice de la reproduction de la force de travail, en gros que la vie est de plus en plus chère, il faut trouver une solution. Cette solution a été le crédit, mis en avant par la financiarisation de l’économie. Avec la baisse des salaires, le prolétariat s’est vu contraint d’assurer sa reproduction immédiatement par le biais de crédits, donc à l’endettement. Il y a déconnexion entre salaire et consommation ouvrière. La crise de 2008, des subprimes, dans laquelle nous sommes aujourd’hui, a été déclenchée suite à un nombre considérable d’impayé chez les ménages pauvres. Cette crise financière est une crise de la reproduction du capital et l’expression de la limite de ce mode d’accumulation. Ce qui faisait la dynamique de la valorisation, « la baisse des salaires », devient, poussée à terme, le blocage de la reproduction du Capital (parce que blocage de la reproduction d’un de ses pôles, le prolétariat). La Capital cherche toujours à accroître sa plus-value, son profit, et c’est en réduisant les coûts de la force de travail qu’il y parvient. Plus de surtravail (travail « gratuit ») et moins de travail nécessaire (rénumération de la force de travail). Voilà l’illustration du Capital comme contradiction en procès et l’exploitation comme enjeu-cible de la lutte des classes. Seulement, avec les modifications structurelles précisées plus haut, ce nouveau cycle de la lutte des classes a formalisé une limite bien particulière : l’appartenance de classe comme limite même de la lutte des classes, la prolétariat n’est rien sans le Capital.
Avec la précarité comme définition du rapport salarial, l’instabilité structurelle du prolétariat ne permet plus aux prolétaires en lutte de revendiquer, à partir de leur situation sociale, la légitimité de leur existence. C’est la non-confirmation du prolétariat qui structure actuellement la lutte des classes. La prolétariat est désormais posé comme nécessaire mais toujours de trop. Revendiquer de meilleurs conditions de vie, dans la configuration actuelle de la concurrence mondiale, s’apparente à un coup d’épée dans l’eau. Et face à cette limite, de nombreuses fractions de prolétaires en lutte ont produit une déduction pratique : l’appartenance de classe comme contrainte extérieure donc sa remise en question. Et c’est sous cette forme que s’amorce le contenu et la probabilité révolutionnaire de l’époque : l’abolition du Capital dans son intégralité, dans la lutte des prolétaires qui ne veulent simplement plus l’être.
L’essentiel de ces moments de lutte a révélé que la contradiction qui opposait le prolétariat au Capital se nouait au niveau de leur reproduction respective (bien que l’un n’aille pas sans l’autre). Que ce soit la révolte des banlieues en 2005, les diverses luttes suicidaires (ne réclamant que des indemnités) autour des sites de production destinés à être démantelés durant tout la décennie, les émeutes en Grèce, à Londres, ou encore les conflits en Guadeloupe ou à Mayotte, ces luttes ont produit l’appartenance de classe comme contrainte extériorisée dans l’objectivité du Capital. On ne peut rien faire en tant que prolétaire mais tout part de là. Il est impossible de faire un détail exhaustif des diverses productions d’écarts (la remise en cause de l’appartenance de classe) dans les luttes actuelles tellement ces phénomènes sont présents de manière constante à l’intérieur de celles-ci.
Et les temps ne vont pas en s’arrageant. Avec la crise, nos conditions de vie vont nécessairement en s’aggravant, par le biais de l’accroissement de la dévalorisation de la force de travail et de la surnumérisation de fractions du prolétariat. Pour beaucoup d’entre nous déjà, la reproduction du rapport salarial capitaliste est vue comme simple coercition et par-delà rend caduc parce qu’hostile. Cette citation donne le ton de l’antagonisme social actuel : « Partout la disciplinarisation de la force de travail face à un prolétaire redevenu, en tant que prolétaire, un pauvre, est le contenu de l’ordre du jour capitaliste » (Le moment actuel, SIC, n°1, 2011). Cette disciplinarisation, c’est la police, la justice et la prison. Les formes idéologiques qu’adopte le Capital pour réprimander les mauvais joueurs (toujours perdants dans le jeu de l’exploitation) dépendent des conditions économiques de la reproduction du capital. Elles ne sont pas là par hasard ou fantaisie. Leur rigueur est rigueur économique et la police est la matérialisation la plus concrète de l’austérité.

Dans la situation présente, la violence sociale est amenée à se renforcer, les émeutes à se multiplier, les résistances face à la dégradation des conditions de vie à se généraliser mais la seule question qui reste en suspens est bien celle de la naissance ou non, d’un mouvement révolutionnaire portant en lui, de par les conditions de son apparition, l’abolition du mode de production capitaliste. Pour la suite, il n’y a qu’ expectative…
C’est une probalité d’époque, nécessaire face aux limites actuelles de la lutte des classes. La guerre sociale s’intensifiant, les temps s’annoncent sportifs. Et ça, les capitalistes et leurs défenseurs le savent bien. Il n’y a pas d’alternative, pas de programme commun, uniquement un simple « réflexe ».

Prolétaires de tous pays, Niquez tout !
Solidarité avec les engêolés de la guerre sociale.

Bises aux camarades.

un inculpé du 15 novembre

[ bagdad122 [a] riseup.net pour répondre ]

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[Texte publié sur Indymedia Paris]

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