Qu’il repose en guerre !

Je ne sais si vous connaissez la signification du sigle « RIP » associée à un défunt… Non, il ne s’agit pas de son « relevé d’identité postale » comme l’association avec « RIB » pourrait le laisser penser. Vous séchez ? Normal, c’est du latin. Du latin d’Église (catholique), mais du latin quand même, langue extrêmement morte de nos jours.

« RIP » signifie « Requiescat in pace », c’est-à-dire : Qu’il repose en paix !

Mon vieux « petit Larousse illustré » indique dans ses pages roses, consacrées aux locutions latines et étrangères : « Paroles qu’on chante à l’office des morts, et qu’on grave souvent sur les pierres tumulaires. »

J’ai eu la surprise de trouver ladite formule religieuse associée au nom de Clément Méric, jeune militant libertaire et antifasciste, mort il y a quelques mois à Paris sous les coups d’un militant d’extrême-droite.

Sur la photo ci-dessous on la voit inscrite sur une banderole tendue sur le parcours de la manifestation parisienne contre le racisme, le 7 décembre 2013. Une amie s’étant enquise auprès des militants du sens qu’ils donnaient à ce réemploi, ils assurèrent, probablement gênés, ne pas avoir lu le texte de la banderole…

Manif_7_12_2013_contre_racisme

En faisant une recherche sur le Net, je m’aperçois que la formule, sous forme de sigle ou bien déroulée, est devenue une sorte d’espéranto de la solidarité avec le jeune antifasciste. On retrouve le sigle dans plusieurs manifestations en Angleterre, à Manchester et à Londres. En Allemagne, les militant(e)s ont utilisé la formule complète : « Repose en paix Clément ! ».

Clementmanchester1clement_riprip_clement

Si l’on écarte l’aspect peu ragoûtant de la formule, liée à son origine religieuse catholique, on peut comprendre que sa dimension compassionnelle puisse paraître à propos, notamment lors du décès d’une très jeune personne. Cependant, cette dimension met en grand danger de niaiserie, comme en témoigne un bombage signalé en banlieue Est : « Clément, un ange parti trop tôt ! ».

Entre l’office des morts et le bruit des ailes d’ange, ce chagrin – qui se veut par ailleurs, légitimement, très politique – emprunte tous ses symboles au folklore catholique.

Il est vrai que la déchristianisation (bien venue) de la société a laissé quelques béances et désarrois dans les comportements collectifs, notamment à l’occasion de la mort de personnes proches. On peut considérer le réemploi spontané et irréfléchi (même après coup) de termes religieux comme un symptôme d’une difficulté, sinon d’un échec de la société laïcisée à inventer de nouvelles pratiques et le nouveau vocabulaire qui les exprimerait.

Je me contenterai, pour conclure, de rappeler le parti pris par des militant(e)s autonomes parisiens, dans les années 1990. Pour saluer la mémoire d’un camarade mort du sida, illes détournèrent le RIP catholique, dont ils tirèrent la belle formule qui constitue le titre de ce billet : « Qu’il repose en guerre ! »

La mention impérative du « repos » affirme assez le « droit » reconnu à qui s’est beaucoup battu de reposer dans la mémoire commune. L’évocation de la guerre (sociale) marque le détournement rageur de la formule religieuse, loin de tout angélisme posthume.

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[Repris du blog de Claude Guillon, publié le 14 décembre 2013]

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