Mike est un camarade qui a été condamné en mai 2012 à un an de prison, dont six mois ferme, pour « fabrication d’engin explosif ». Il est convoqué ce lundi 7 janvier 2013 à la Maison d’Arrêt de Chambéry pour y purger le restant de sa peine.
Pour mémoire :
•Solidarité aux inculpés suite à l’explosion de Chambéry
•Le 25 mai à Chambéry : un procès parmi bien d’autres
•Compte rendu et réflexions relatives au procès de Mike, R, J, et William
•Plaidoirie de Mike
•Aux journaliste$ (à certain.e.s plus que d’autres…)
•Entretien avec l’un des inculpés de Chambéry
•Rendu du procès
•Face au chantage… (vive la solidarité !)
Nous republions le texte de Mike diffusé le 22 octobre 2012 :
Semis de Liberté
Réflexions autour des aménagements de peine
Suite au verdict et aux diverses formes d’enfermement pouvant en découler, il me semble important d’essayer de mettre en mots quelques unes de mes réflexions.
En comptant les deux mois déjà passés en préventive, il me reste donc 4 mois fermes à purger et 6 mois avec sursis pour les 5 prochaines années.
Spontanément, mon premier reflex fut l’envie de fuir cette situation, mais rapidement j’ai été découragé par l’isolement, l’énergie et les moyens techniques que requiert une cavale en bonne et due forme et la peur de voir mon quotidien, mes projets et mes liens sociaux rythmés une fois de plus par la psychose de l’enfermement. Malgré ma volonté politique d’insoumission à l’AP (administration pénitentiaire) et le désir de leur rendre la tache la plus dure possible, j’ai quand même rapidement conclu que ma fuite causerait plus de dégâts sur ma vie et celle de mon entourage que les quelques mois d’enfermements prononcés contre moi.
J’ai donc essayé de me projeter dans les diverses formes que pourrait prendre mon enfermement afin d’anticiper les conséquences qu’aura cette condamnation dans mon quotidien et celui de mes proches.
Face aux différents types de détentions mis en place par l’AP pour les courtes ou fin de peines (semi-liberté, bracelet électronique), de nombreuses questions concernant ces différents aménagements de peine sont apparues et se sont affinées au fil des réflexions individuelles et collectives.
C’est donc sur la dualité entre le « choix » de l’aménagement de peine et celui de la prison ferme que va se porter la suite de ce texte.
Parce que le choix d’un aménagement de peine comme amélioration du quotidien n’est valable que dans une logique carcérale, il est donc primordial pour moi de me poser de réelles questions sur les formes que peut prendre l’enfermement durant cette période, afin que ma « décision » ne soit pas conditionnée par l’AP mais le fruit de réflexions collectives et individuelles visant à limiter les conséquences des contraintes en découlant, tout en gardant une cohérence politique.
Dans une situation ou les aménagements de peine permettent d’augmenter massivement le nombre des personnes sous contraintes carcérales tout en réduisant considérablement leurs coûts, ils introduisent quotidiennement ces contraintes au sein même des sphères publiques et privées de la population et garantissent une main d’oeuvre docile et exploitable à moindre prix grâce aux moyens de chantage et de contraintes encore plus importants que dans une situation salariale classique, il m’est impossible de ne pas être sceptique face aux pratiques judiciaires visant à étendre l’enfermement hors des murs des prisons.
Il est cependant vrai qu’un aménagement de peine peut permettre d’avoir plus de lien sociaux avec nos proches car les possibilités de rencontres et de communications ne sont plus soumises au formalisme et à l’arbitraire des parloirs, que sans l’intermédiaire et les limitations des cantines et avec la possibilité de pouvoir cuisiner, de se procurer nos aliments, de se doucher quand nous le désirons, d’entretenir une partie de sa vie sociale, affective et sexuelle… on conserve une bien plus grande autonomie dans ce qu’il reste d’un quotidien en comparaison de celui vécu entre les murs d’une prison.
Mais cela est-il vraiment représentatif de la réalité d’un aménagement de peine ?
Dans ma situation personnelle de refus de la sédentarisation et du travail salarié, aménager cette peine reviendrait inévitablement à participer à l’élaboration des formes de la sanction et par conséquent faire du partenariat avec l’AP.
Durant les quelques années vécues sous contrôle judiciaire, j’ai eu le temps et les occasions pour affiner quelques réflexions sur les contraintes carcérales hors des murs, j’ai pu constater que lorsqu’on est « enfermé dehors », nos attentes se tournent automatiquement vers notre entourage et, quels que soient les outils mis en place, les déceptions apparaissent.
Faire le choix d’un aménagement de peine reviendrait donc à avoir des frustrations vis à vis de mes proches au lieu de les diriger contre l’état qui est à la base de mes oppressions.
Vivre une réalité carcérale à l’extérieur me mettrait dans une situation d’isolement puisque je me retrouverais seul à vivre cette oppression parmi des gens avantagé.e.s sur leur liberté de mouvement. Vivre une telle situation d’isolement entrainerait obligatoirement des hiérarchies sur la répartition des tâches et des attentes affectives au sein de mes relations sociales et, même avec une réelle volonté et en y mettant une attention particulière, il me serait impossible que les conséquences ne s’incrustent pas dans mes liens sociaux et envers mes proches.
Etre enfermé dans une cellule dont la porte reste ouverte m’obligerait à refaire le choix de l’enfermement à chaque fois que je serais tenté de la franchir, cela reviendrait à m’autodisipliner continuellement de sorte à m’interdire toutes pulsions visant à mon émancipation sociale, politique et affective. Dans un mode de vie collectif cela reviendrait à partager les rôles de matons et entrainerait inévitablement des relations sociale ou la répression se mélangerait aux autres paramètres demandant une gestion quotidienne.
Dans ma période de contrôle judiciaire, j’ai aménagé mon équilibre social en créant des brèches dans les contraintes imposées et accepter un bracelet électronique reviendrait à supprimer ces espaces de liberté sans lesquelles mon équilibre social ne peut qu’être lourdement affecté.
Cependant, les réalités carcérales actuelles ne permettent pas de connaître sa date de sortie puisqu’à tout moment, une infraction commise en détention peut aboutir à une nouvelle condamnation et entrainer donc un allongement de la durée de l’incarcération.
Ayant des revendications et essayant d’avoir des pratiques anti-autoritaires dans mon quotidien, il m’est difficile d’imaginer une réalité carcérale sans conflit avec l’AP et cela reviendrait à me projeter dans une période ou je serais sans cesse tenté d’étouffer ma conscience et mes instincts de révolte dans la perspective de ne pas prendre de peine supplémentaire en cours de détention.
Faire le choix d’être incarcéré reviendrait à perdre le contrôle sur les formes que prendraient cette condamnation et laisserait la possibilité à l’AP d’organiser mon quotidien durant la période d’enfermement, de choisir le lieux d’incarcération, d’avoir un regard sur mes liens sociaux à l’extérieur via les parloirs, les courriers, etc. Ce choix entrainerait également que mes amitiés soient affectées par une séparation physique et reposeraient presque uniquement sur la confiance existante et celle pouvant être créée et entretenue par la solidarité via des actions, du courrier ou des parloirs et mon entourage physique sera très restreint et limité aux quelques personnes ayant un droit de visite. Sans une attention particulière aux ressentis de chaque personne de mon entourage, il me paraît probable qu’une certaine hiérarchisation entre mes relations soit accentuée et puisse être une source de conflit chez des personnes déjà suffisamment affectées par la situation.
Mais ce choix reviendrait également à construire de nouveaux liens sociaux dans mon quotidien sans déséquilibre puisque je le partagerais avec des personnes vivant la même réalité carcérale et que cela me pousserait à diriger mes frustrations sur les causes de mes oppressions et non contre mes proches.
Dans ma période d’incarcération préventive, j’ai le souvenir de fantasmer sur le monde extérieur, sur la force de mes relations affectives et d’avoir envie de croquer la vie à pleines dents dès ma sortie. Face aux souvenirs de déprime et de frustrations sociales ressenties lors du début de mon contrôle judiciaire et de mes difficultés à retrouver un épanouissement social et affectif, il me parait plus confortable de me projeter dans une réalité carcérale afin de me préserver de mes frustrations sociales que de me projeter dans une situation où de nombreux éléments me rappelleraient une période de ma vie particulièrement éprouvante. J’ai également conscience que le décès de Zoé m’a plongé dans une réalité où tout mon équilibre social et affectif a été modifié. Les quelques mois de détention me permirent de vivre cela isolé dans une sorte de bulle et je n’ai eu réellement conscience du vide occasionné par sa mort et de ses conséquences dans ma vie qu’une fois sorti de prison.
Ma détention préventive s’ajoutant à une situation de reconstruction physique et psychique, j’ai vécu cette période dans un mode de survie et que je n’ai laissé que peu de place à mes sentiments et frustrations, et que ceux ci n’ont pu apparaître qu’une fois sous contrôle judiciaire.
En écrivant ces quelques lignes, je me rends compte qu’il est difficile pour moi d’être rationnel dans ce que je ressens face à la dualité bracelet-prison car cela fait référence à des périodes complexes de ma vie, dont je n’ai pas encore pris suffisamment de recul pour affronter et comprendre le rôle de la répression, du deuil, des répercussions physiques de l’accident, les nombreuses autres conséquences affectives et leurs liens avec ma situation actuelle.
Parce qu’au final ce choix n’est pas le mien, et que jamais je ne ferai le choix d’être enfermé dans une prison ou sous surveillance électronique, mon choix se limite à éviter l’aménagement de peine ou la détention en régime fermé.
D’un point de vue personnel, je n’arrive toujours pas à anticiper la position que je prendrai face au JAP (juge d’application des peines), si je tenterai ou non d’aménager ma peine, et je trouve primordial d’avoir la liberté de changer d’opinion autant de fois que nécessaire. Cependant, ma conscience politique et mes pratiques de lutte anti-autoritaire font que si je cherche une cohérence, je ne peux qu’être contre les aménagements de peine et que l’option rendant la tâche la plus difficile et la plus couteuse à l’AP est celle de la détention en régime fermé. Mais il me parait indispensable d’être également attentif à mon équilibre affectif et social au moment où j’y serai confronté afin qu’un dogme politique ne soit pas le seul paramètre qui influence ma position. Le plus important à mes yeux n’est donc pas la décision finale résultant de cette situation mais les outils permettant de construire et d’affiner des réflexions autour de cette question, et faire en sorte qu’elles puissent alimenter des discussions et des pratiques, collectives comme individuelles, dans les luttes anti-carcérales et anti-autoritaires de cette société.
Force et courage à celleux qui luttent contre toutes formes d’enfermement
Mike
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