[Varces] Plutôt qu’une grève de matons, vidons les prisons

Selon la presse officielle, les surveillants de prison ont été nombreux à se mettre en grève dans différentes taules en France la semaine dernière.

A Varces, le 4, le 5 et le 6, ils ont bloqué l’entrée, empêchant notamment les parloirs.
[Note de cestdejatoutdesuite : à titre exceptionnel, nous avons mis un lien direct vers un site journalistico-policier]

Ils réclament plus de moyens pour encore plus enfermer.

A cette occasion, le centre de semi-liberté situé 51 rue abbé grégoire (une taule où les prisonniers sortent pour bosser ou s’insérer, et rentrent en cellule le soir) et le SPIP situé 84 rue des alliés, (service de probation et d’insertion pénitentiaire, les travailleurs sociaux intervenant en taule notamment pour la préparation de la sortie, et pour la surveillance et la mise en application des mesures de contrôles après la sortie) ont été redécorés.

Sur leurs murs se lisent les inscriptions suivantes :

SPIP, matons, même combat, démission

Destruction des prisons

Solidarité avec les prisonniers

Le seul aménagement possible, c’est la destruction des prisons

Liberté pour tous, de jour comme de nuit

Une banderole a été accrochée sur la rocade en direction de Varces, disant « plutôt qu’une grève de matons, vidons les prisons ! »

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[Repris d’Indymedia Grenoble, le 9 avril 2012]

Pour mémoire : [Varces] Feu (d’artifice) à la maison d’arrêt

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Nantes 24 Mars à Nantes : Tactique vs contenus – L’illusion de l’unité et la tentation de la gauche.

Après la manif du 24 mars à Nantes, plusieurs communiqués plus ou moins triomphalistes/ spectaculaires, émanant d’options politiques institutionnelles ou non, ont présenté ce qui s’est passé/ce qui aurait pu se passer, chacune à leur manière, pour vendre leur soupe idéologique. Il ne s’agit pas de faire ici un énième compte rendu : quand les crapules d’EELV* se félicitent de l’ambiance « bon enfant », d’autres prétendent que « le temps d’une poignée d’heures, une poignée de révolutionnaires ont libéré le secteur de la place du Cirque de l’occupant capitaliste par la destruction des outils de l’État et du Capital ainsi que le maintien en respect des flics », et comparent l’artère nantaise à la place tahrir, à la commune. Se fier aux récit des unes ou des autres relève de la croyance pure. À chacune de choisir celui qui lui semblerait le plus proche, le moins abusif. Entre les lignes , ces grands écarts donnent un aperçu de l’ambiance. Pesante et cheloue. Ce texte ne sera donc pas une réecriture supplémentaire, à postériori, de ce qu’a été, techniquement, cette journée, mais une tentative de démêler des morceaux de ce qu’elle peut représenter dans cette lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le monde qui va avec (nuisances technologiques : lignes à grande vitesse et à haute tension, nucléaire, militarisation pour imposer la construction/assurer la « sécurisation » de leurs grands projets…) .

Il faudrait se contenter de cette journée selon des critères quantitatifs : la présence de tellement de « vrai gens » (comprendre non camarades) : le nombre et le côté spectaculaire des actions plutôt que le partage de contenus. Que dans cette manif aient cohabité, de fait, les discours puants et électoralistes des unes avec la mise hors d’état de nuire des caméras, des dizaines/centaines de tags, pochoirs et notamment sur les locaux d’EELV et du ps est présenté, par les unes et par les autres, comme une réussite. Ce serait « bon signe pour la suite ». Quand bien même les associations citoyennes qui avaient été un temps mises à l’écart ou en tout cas remises en cause par une partie des occupants énervés par trop de dissociations successives (suite à la manifestation du 27 juillet à l’aéroport de bouguenais, suite à l’attaque de la caravane des jeunes PS…) font leur grand retour. C’est elles qui organisent, principalement, cette manif unitaire, en se dissociant par avance de ce qui pourra y être fait tout en invitant aux réu d’organisation des « occupantes » qui se retrouvent dans une position bizarre : négocier (au nom de qui, de quoi, bordel ?) sur le respect de certaines limites pendant la manif (pas de casses, mais de la peinture). Qui utilise qui ? Les associations citoyennes bien conscientes que le fait que la zone du futur aéroport soit occupée, qu’il y ait aussi eu toute une série d’actions (de nuit comme de jour, à peu ou beaucoup plus nombreux : ex_ visite du siège de Vinci en octobre dernier) qui font plus chier que leurs recours administratifs à la con leur permet de se faire un coup de pub sur cette lutte. Ou les radicaux qui gardent l’impression que la répression sera moins dure si la gauche élargie participe même virtuellement à « des grand moments » comme la journée du 24. Raisonnement qui ne marcherait pas forcément même si on acceptait de raisonner de façon « tactique ». En bon démocrates, et au delà de leurs faux jeux d’oppositions et d’alliances, ces crapules veulent contrôler les modalités de la lutte et se dissocient de toute manière dès que les actions sortent du cadre « démocratique » et de ses faux recours. Qu’ils ne contrôlent plus ce qui se passe, voire même qu’il pourrait s’y passer quelque chose de subversif (wouhouh). Sans parler du moment ou, après les expulsions, ils n’auront plus aucun intérêt à cette « main d’oeuvre radicale ».

Il faudrait être content de cette co-habitation entre réformistes (parti, syndicats et associations « citoyennes » accoquinées avec les uns ou les autres) et prétendus révolutionnaires. Que cette journée se soit « bien passée », que les accords entre associations citoyennistes et « représentant-es des occupant-es de la ZAD » (ex :s’en tenir à la peinture) aient été respectés, et que les dizaines de combattants anarchistes révolutionnaires fantasmés par certains se soient contenté de peinturlurer, dans la joie et la bonne humeur au lieu de briser en mille morceaux (bigarrés ou non) ce statut-quo démocratique (et oui c’était beau de voir l’hyper centre bourge de Nantes dans cet état).

Pour se réjouir il faudrait séparer les chemins que l’on emprunte de l’endroit où l’on souhaite (ou non) arriver, il faudrait séparer la fin des moyens, et justifier ses choix par des manoeuvres, tactiques politiciennes, au delà de ce qu’ils signifient en eux-même. Parler de stratégie. De politique, en soi. Il faudrait faire sien le bon vieux dicton selon lequel c’est « l’union qui fait la force », et que ce qui compte à NDDL est réellement l’abandon du projet d’aéroport et non l’expérimentation de parcours de luttes en dehors des espaces autorisés par la démocratie, la tension vers une « belle » lutte. Une lutte à minima sans chef, spécialiste ou porte paroles, une lutte qui ne soit récupérable par aucun parti, aucune association réformiste. Une lutte qui pourrait brasser plus de gens, donner lieu à des moments très collectifs, à des actes individuels, des manifs « tranquiles » comme à des moments d’émeute, mais sans rien lâcher d’un contenu offensif, subversif, sans co-habiter, co-exister, avec des organisations et des individus qui sont partie prenante des rapports de domination qui nous éclatent la gueule et qu’on rêve de détruire.

Or, de fait, cette journée renforce la tendance qui existe ici comme dans l’ensemble des autres à draguer la gauche institutionnelle sous prétexte de la radicaliser, à accepter de diluer ses pourquoi pour espérer être plus nombreux. (sous entendu le fait que c’est d’être plus nombreux qui donne du sens, de la force). ET cette « réussite factice » va renforcer l’isolement d’individus ou de groupes qui se battent pour briser cette unité de facade, le mensonge selon lequel des révolutionnaires, des personnes désirant la fin d’un monde et la destruction de tous les pouvoirs pourraient avoir des intérêts communs avec d’autres qui se contenteraient bien de le réformer pour s’y sentir un petit peu moins pressés, stressés, insatisfaits. De celles et ceux qui n’acceptent pas que leurs désirs et actions, leur tension vers la destruction de l’existant puissent servir de faire valoir à des politiciens quels qu’ils soient, et qui tendent à les virer des luttes auxquels ils participent. En forçant les vautours à se dissocier des contenus portés, quand ils sont suffisamment clairs pour ne pas être « mal interprêtés. » En les attaquant en mots et en actes. Comme EELV à Nantes le 17 août dernier (vitrines brisées et tag laissé sur place « Ni éco-citoyennisme ni capitalisme vert, partis collabos hors de nos luttes ») et dont le local de campagne a été à nouveau tagué pendant la manif, comme le Ps avec l’attaque de la caravane des jeunes socialistes le 22 août dernier à Nantes (pneus crevés, tags « mort à l’ayrault porc », vitres cassées…) ou le 12 octobre à Toulouse (porte fracturée, dizaines de tags, pochoirs et billes de peinture.)…. Briser l’unité en virant physiquement les partis (à minima) de la manif, en ne leur laisssant aucune tribune, aucun espace, ce qui aurait pu être une belle piste d’intervention pour ces fameuses centaines d’anarchistes révolutionnaires. Ou en organisant une émeute / des actions différentes plus loin (ça pouvait être aussi ailleurs qu’à Nantes ou a Notre Dame des Landes), avant ou après si ça semblait trop compliqué de les virer du cortège…. En refusant de cohabiter. Et en espérant rencontrer, à partir de ces ruptures qualitatives / choix de lutte, des individus partageant les mêmes envies. Tout simplement. Pour que pètent tous « les fronts communs », les fausses alliances.

*communiqué de dissociation du 21 mars : « Cette manifestation doit être pacifique et non violente, dans le respect des biens et des personnes. Europe Ecologie – les Verts condamne par avance toutes les dégradations, et toutes les violences qui pourraient avoir lieu avant, pendant ou après la manifestation. »

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[Texte publié sur Indymedia Grenoble le 8 avril 2012]

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Pour ouvrir la voie à l’anti-« terrorisme », rien de tel qu’une dépanneuse… de police

[Note de cestdejatoutdesuite : Même s’il contient beaucoup d’éléments déjà lus et développés ailleurs et ici, nous reprenons intégralement un article publié dans le n°219 daté avril 2012 de « Courant Alternatif ».
A la fin de l’article, « Courant Alternatif » diffuse une partie du texte « Analyse d’un dossier d’instruction antiterroriste ». Le 13 juillet 2010, un compagnon a été interrogé par la « Brigade de Répression de la Délinquance contre la Personne », les questions portaient sur ce texte publié sur des dizaines de sites fin avril 2010…]

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Pour ouvrir la voie à l’anti-« terrorisme », rien de tel qu’une dépanneuse… de police.

En France comme ailleurs, la répression n’est jamais une situation exceptionnelle : elle existe toujours, mais à des degrés divers révélateurs des luttes sociales en cours. D’où l’intérêt de comprendre pourquoi et comment à certains moments l’Etat l’accentue, et cible des catégories sociales ou des milieux militants plutôt que d’autres. Le procès qui va se tenir, à Paris, pour la première fois dans le cadre d’une juridiction antiterroriste concernant des personnes étiquetées « anarcho-autonomes » par des ministres, à grand renfort de médias, éclaire à cet égard fort bien la préoccupation du pouvoir sarkozien au cours de ces dernières années.

En décembre 2011, après trois ans d’instruction, le juge antiterroriste Brunaud a décidé de traiter ensemble quatre dossiers portant sur des faits pourtant distincts dans le lieu et le temps : il convoque à la mi-mai au tribunal correctionnel antiterroriste six personnes qui ont été arrêtées en Ile-de-France en 2008. Ces personnes ont effectué entre quatre et treize mois de détention provisoire, et sont restées ensuite sous contrôle judiciaire (1). Elles sont toutes accusées de « participation à un groupement formé en vue de la préparation d’actes de terrorisme » ; quatre d’entre elles, de « détention et transport de produits incendiaires ou explosifs » ; et trois, de « fabrication d’engins explosif ou incendiaire », « tentative (ou complicité de tentative) de dégradation ou de destruction d’un bien appartenant à autrui », « refus de se soumettre au prélèvement d’ADN et aux prises d’empreintes digitales ».

Quels actes peuvent bien motiver pareils chefs d’inculpation ? se demande-t-on devant un tel énoncé. Réponse : Aucun. C’est l’engagement militant des inculpé-e-s qui a déterminé la répression à leur encontre ; les accusations étant basées sur les intentions qu’on leur prête, on est là avant tout dans le domaine de présupposés alimentés par un fichage politique. En 2010, la loi Estrosi a en effet créé le délit de « participation à une bande ayant l’intention de commettre des violences ou des atteintes aux biens concertées » – notamment « de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou la destruction ou dégradation de biens (2) ». L’« association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste  » érige en principe la culpabilité par association : fréquenter les mêmes lieux, lire les mêmes écrits, héberger ou même juste connaître une personne soupçonnée de terrorisme peut donner lieu à des poursuites pour « soutien, apologie et financement en lien avec une entreprise terroriste ».

Un collectif a réalisé plusieurs brochures baptisées Mauvaises intentions (3) pour analyser le dossier d’instruction des six inculpé-e-s et rendre publiques leurs lettres, à côté d’articles parus dans la presse et de réactions suscitées dans certains milieux militants par la répression. Le texte que voici s’appuie très largement sur ses publications.

L’entrée en scène de la dépanneuse

Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les Etats occidentaux ont peaufiné leur législation antiterroriste – contre la « menace islamiste » mais pas seulement, car l’idéologie sécuritaire et les dispositifs qu’elle engendre constamment (voir CA nos 215 et 216) ont bien sûr été étendus à d’autres « ennemis intérieurs » pour tenter de détourner les esprits de la « crise » économique, ou plutôt des méfaits du capitalisme.

En France, la jeunesse a été particulièrement visée par les gouvernements successifs, parce qu’il y a eu la révolte des cités en 2005, puis la mobilisation dans les lycées et les universités au cours des années suivantes. D’autant que l’« anti-CPE » de 2006 constitue le seul mouvement à avoir fait reculer le pouvoir depuis les grèves sur les retraites de 1995. Son acharnement à l’égard des nouvelles générations militantes traduit à la fois un désir de revanche et la volonté de casser les solidarités politiques et affectives nées des luttes – menées aujourd’hui sur d’autres terrains que l’éducation. Et comme il fallait donner un nom à cet ennemi, « anarcho-autonome » et autres appellations du même tonneau ont fleuri dans les discours des politicien-ne-s et sous la plume des journalistes après l’accession de Sarkozy à la présidence en 2007.

Le Figaro titre dès le 8 juin de cette année-là : « L’extrême gauche radicale tentée par la violence », mais c’est surtout en 2008 que démarre la grande offensive contre l’« ultra-gauche », présentée pour l’occasion comme la Mouvance anarcho-autonome francilienne (MAAF, voir l’encadré). Ainsi, tout en parlant de « mouvance » (mouvement diffus aux contenus divers), on en fait une « organisation » (entité définie et structurée). Ivan et Bruno peuvent en témoigner : on fabrique un « terroriste » avec bien peu de choses. Le 19 janvier 2008, ces deux militants sont contrôlés à Fontenay-sous-Bois alors qu’ils se rendent à une manifestation contre les centres de rétention allant au CRA de Vincennes. La police fouille leur véhicule et trouve les ingrédients qui servent à confectionner un fumigène (farine, chlorate de soude et sucre) ainsi que des clous tordus. Leur copain Damien, qui passe alors et les salue, se fait arrêter aussi. Constatant que tous trois sont fichés par les RG, les flics s’emballent : un « expert » de la police scientifique additionne chlorate de soude et sucre plus clous en « oubliant » la farine, et affirme que le mélange envisagé devait servir à réaliser une bombe à clous. Avant qu’une véritable expertise admette à demi-mot que ce mélange n’était pas explosif, et sans doute destiné à produire de la fumée, l’« affaire » d’Ivan et Bruno sera passée à la juridiction antiterroriste… et ils auront fait quatre mois de préventive chacun. A l’issue d’une garde à vue où ils n’ont rien déclaré et ont refusé prise de photo, d’empreintes et prélèvement d’ADN, Bruno et Ivan sont incarcérés, Damien mis sous contrôle judiciaire. Pour perquisitionner leurs domiciles, la PJ convoque le déminage, la police criminelle, les RG et même la brigade antiterroriste : ce grand jeu n’aboutit qu’à la mise sous scellés d’ordinateurs, appareils photo et écrits divers. Le 23 janvier, Isa et Farid (surnoms) sont arrêtés par les douanes au péage de Vierzon. Constatant que Farid est fiché, les douaniers fouillent leur voiture et trouvent dans un sac du chlorate de soude, les plans d’une prison pour mineurs en construction téléchargeables sur Internet et des livres sur des techniques de sabotage. Isa et Farid sont aussitôt placés en garde à vue à la Division nationale antiterroriste de Levallois. Farid déclare qu’il ignorait le contenu du sac. Isa explique que le chlorate de soude lui sert à faire des fumigènes, et qu’elle a découvert les plans et les livres dans son appartement, un lieu très passant, et voulait s’en débarrasser.

La brigade antiterroriste arrive sur « décision expresse du parquet antiterroriste de Paris, comme s’ils attendaient que l’occasion se présente, écrira Farid en mai. Il leur suffit de pas grand-chose, voire rien, pour charger le dossier… [Par exemple], ils appellent les pétards des “mélanges oxydants réducteurs pouvant être utilisés comme chargement d’engins explosifs improvisés” ».

L’ADN d’Isa et de Farid est prélevé contre leur gré… et la police affirme que le profil ADN d’Isa correspond à celui d’un cheveu ( !) relevé sur un dispositif incendiaire, composé de bouteilles d’essence et d’allume-feu, qui ne s’est pas enflammé mais a été repéré le 2 mai 2007 – donc entre les deux tours de la présidentielle – sous une dépanneuse de police garée devant le commissariat du 18e arrondissement de Paris. Une perquisition chez Farid rapporte aux policiers quelques pétards et tracts de plus… Isa et Farid sont mis en détention préventive à Fleury avec un traitement réservé aux « détenus particulièrement surveillés » (DPS), sous mandat de dépôt criminel pour elle (par périodes renouvelables d’un an), correctionnel pour lui (par périodes de quatre mois). « Tous deux n’appartenons à aucun groupe politique mais faisons partie de ces gens (…) présents dans la lutte sociale et liés par le mouvement collectif, diront-ils dans une lettre commune. (…) Sans être jugés, sans être condamnés, nous sommes en proie à un acharnement politique qui s’efforce de fabriquer et de fantasmer au travers de nous l’existence d’un réseau terroriste ultradangereux. » Comme le souligne L’Envolée n° 22 en février, l’objectif de telles constructions policière et judiciaire est de justifier la répression préventive, et d’isoler les gens arrêtés en inspirant la peur au sein du mouvement contre l’enfermement et contre le traitement que l’Etat applique aux classes populaires et aux étrangers. Car de nombreuses actions ont alors lieu contre les centres de rétention, venant à la fois des retenus et de l’extérieur. Fumigènes, feux d’artifice et autres pétards y sont utilisés « pour dérouter la police et signaler aux retenus (…) l’existence de mobilisations à l’extérieur » ; quant aux clous tordus, ils servent de « crève-pneus que l’on laisse sur la route pour crever les pneus, des voitures de police et des camions cellulaires de préférence ». Mais les médias appuient le discours du pouvoir : Le Parisien du 22 janvier titre « Les anarchistes transportaient une bombe en kit ». Le Monde du 1er février explique que, selon les RG, « on assiste, en France, à la résurgence d’une mouvance, qualifiée pour l’heure d’“anarcho-autonome”, violente, qui prospère sur le terreau des conflits sociaux touchant les jeunes ». Le même jour, la ministre de l’Intérieur Alliot-Marie déclare au Figaro que le « retour du terrorisme d’extrême gauche » est « un phénomène limité mais incontestable », ajoutant : « Le passé nous a montré que la faiblesse des partis politiques extrêmes ouvre souvent la voie aux groupuscules terroristes comme Action directe, les Brigades rouges ou la Fraction armée rouge. L’anticipation est essentielle dans la lutte contre le crime en général et le terrorisme en particulier. »

Les joies de l’anti-« terrorisme »

L’administration pénitentiaire et les juges essaient de casser les inculpé-e-s par leur régime DPS ou d’autres moyens bien connus : rétention du courrier, parloirs express donnés au compte-gouttes à des proches triés sur leur casier, accès difficile des prévenu-e-s aux activités des prisons ; fréquents transferts qui entraînent une diminution des visites de la famille et de l’avocat, la fin de relations avec d’autres détenus, la perte d’affaires et de courrier.

Et puis il y a les « plus » : le 24 février, Farid est tabassé par des détenus auxquels un maton a fait croire qu’il était d’extrême droite ; il sera transféré à Meaux sur ce prétexte, alors qu’il avait été changé de bâtiment peu après le tabassage. En mars, Bruno va plusieurs fois au mitard parce qu’il demande à être seul en cellule et refuse de réintégrer celle où il est ; il partira en quartier d’isolement à Fresnes. Le 3 avril, Isa ira à la prison ultrasécuritaire de Lille-Sequedin (59) pour avoir envoyé des dessins représentant de « manière plutôt réaliste » les murs qui l’entourent, chose interprétée comme un projet d’évasion. Le 17, Farid sera emmené à Meaux-Chauconin du fait de sa proximité avec les prisonniers basques.

Ce même mois, les deux affaires ayant été regroupées dans un seul dossier sur l’argument que tous les inculpé-e-s appartiendraient à la MAAF et que certains se connaissent, les permis de visite les concernant font l’objet d’un interrogatoire à la section antiterroriste du Quai des Orfèvres. Et, surtout, la police entreprend de ratisser dans leur entourage mais aussi dans son fichier « Anarcho-autonomes » pour trouver à qui appartiennent les quatre ADN masculins qu’elle aurait également recueillis sous la dépanneuse. Le 21 mai, frère d’Isa, Juan (surnom) est arrêté dans la rue et aussitôt mis en garde à vue au Quai des Orfèvres : la police lui attribue une tentative d’incendie dans un entrepôt de la SNCF pendant le mouvement anti-CPE. On lui prend de force son caleçon pour y prélever de l’ADN. Perquise à son domicile : quelques documents sont saisis. Après 48 heures, il est relâché : son profil ADN ne correspondrait à aucun de ceux trouvés sous la dépanneuse. Fin mai, Farid est libéré sous contrôle judiciaire à Paris ; de même, le 6 juin, pour Ivan en Normandie et pour Bruno près de Belfort. Obligation de travailler, déplacements limités géographiquement et sur autorisation du juge, pointages divers, interdiction de se voir… Quelques jours après, la distinction que la loi française établissait entre l’atteinte aux biens et le terrorisme s’efface : dans sa circulaire du 13 juin 2008, la ministre de la Justice Dati assure qu’il y a « une résurgence de faits en lien avec la mouvance anarcho-autonome » et de violences commises « à l’occasion de manifestations de soutien à des prisonniers ou des étrangers en situation irrégulière » ; elle demande aux parquets locaux confrontés à ces faits et à ces violences d’« informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste du parquet de Paris pour apprécier de manière concertée l’opportunité d’un dessaisissement à son profit ».

Le 20, Juan, de nouveau arrêté, est inculpé : lors de sa précédente garde à vue, les flics auraient aussi prélevé son ADN sur un gobelet, et ce profil ADN-là correspondrait à l’une des traces relevées sous la dépanneuse. Incarcéré sous mandat de dépôt criminel, il écrira en octobre, depuis la prison de Rouen : « Cette histoire de tentative d’incendie est loin d’être l’affaire du siècle. Et si le pouvoir, relayé par les médias, l’a gonflée au maximum, ce n’est pas que l’Etat craignait de ne pouvoir se relever de ce coup. Malheureusement, il faudra plus qu’un incendie – même réussi – pour mettre vraiment en danger le système. Si l’Etat est attentif et soucieux de ces “menaces” politiques et que cet affront devait être puni, il en a surtout profité pour faire de cette affaire un exemple, répondre à la contestation sociale, et remettre à jour quelques fichiers de renseignements et bases de données policières. »

Le 5 juillet, Bruno se soustrait au contrôle judiciaire et s’en explique dans une lettre : « J’ai eu, pendant le mois où je suis resté en contrôle judiciaire, la désagréable sensation (…) d’assister à ma propre mort en tant que sujet politique. En acceptant leurs règles du jeu, c’est comme si je signais ma propre soumission, ma reddition en tant que révolté, même si parfois nous pensons qu’il est possible de se dire “Je joue le jeu un moment et après je serai tranquille” ou alors “Je joue le jeu en façade”. (…) Je me suis senti dépossédé du comment je lutte pour une transformation radicale des espaces où nous vivons, et contre la médiation capitaliste de nos vies. (…) Il ne me restait comme marge de manœuvre que l’illégalité, la clandestinité et la fuite. »

Les punitions continuent de tomber durant ce mois-là sur les prévenu-e-s : Isa est envoyée au mitard pour avoir pris part à un mouvement de prisonnières qu’a suscité le tabassage de l’une d’elles par des matons ; Juan pour avoir refusé de regagner sa cellule surpeuplée… Et, pendant ce temps, la répression continue de sévir contre les mêmes milieux militants.

Le 29 juillet, G. est ainsi interpellé par l’antiterrorisme. Sitôt en garde à vue, on veut son ADN au motif qu’il a été, par le passé, arrêté deux fois avec Juan. G. refuse. On lui ouvre la bouche de force pour lui prendre un peu de salive. Suit la perquisition d’un appartement : les flics repartent avec tracts et brochures ; puis, en menaçant de ne pas relâcher G. sinon, ils font venir au Quai des Orfèvres les trois personnes qui étaient présentes lors de la perquise. G. sera libéré : son profil ADN ne correspondrait pas à ceux de la dépanneuse. Le 14 août, Damien est convoqué par la juge Houyvet. Elle a fait effectuer des prélèvements d’ADN sur les vêtements qui avaient été mis sous scellés lors de sa garde à vue de janvier, et une trace ADN correspondrait à l’un des « ADN dépanneuse ». Avant la remise en détention de Damien, elle lui redemande son ADN. Il refuse, et, comme Juan et Isa, il nie tout ce dont il est accusé.

Le 22, Ivan et Farid sont convoqués chez la même juge pour violation de leur contrôle judiciaire, une photo des RG les montrant ensemble dans une manif ; finalement, ils ne sont pas réincarcérés mais leur contrôle est renforcé. L’affaire de Tarnac, en octobre et novembre, accentue l’offensive anti-« terroriste » : avant même l’audition des personnes arrêtées parce que soupçonnées d’avoir entravé la circulation des TGV en s’attaquant à leur alimentation électrique, MAM affirme à la presse qu’elles « ont été vues dans des lieux proches des lieux de sabotage, à des heures pouvant correspondre », et que la police dispose de « suffisamment d’éléments réunis pour procéder à cette opération ». Après quoi, fin 2009, ce sont les dégradations de distributeurs automatiques de billets qui alimenteront le discours officiel sur le danger « anarcho-autonome ».

La nécessité d’élargir la solidarité

Juan écrivait, en mai 2008 : « Nous [Isa, Damien et lui] nions notre implication dans cette tentative d’incendie [de la dépanneuse]. Mais en vérité c’est un détail. D’abord parce que face à la supposée irréfutabilité de la preuve par l’ADN des scientifiques, il est difficile d’expliquer la présence de poils qu’on a pu éventuellement semer, si tant est que ce soient les nôtres ! Ensuite parce que la Justice donne peu d’importance à ce qu’on a à dire. Elle n’a pas besoin de toi pour te juger. (…) Si tu as le profil, et il peut suffire d’une garde à vue, de la participation à une manif ou d’opinions affichées, [tu es] condamné. (…) En ce sens, la Justice ne s’est sans doute pas trompée. Je crois bien avoir le profil recherché. Non pas celui d’un fanatique qui veut semer la terreur dans la population pour arriver à ses fins – c’est plutôt l’apanage des gouvernements, qu’ils soient despotiques ou démocratiques –, mais plutôt celui d’un révolté parmi les autres. »

Pour sa part, Mauvaises intentions expliquait dans son n° 2, en janvier 2009 : « Ce qu’on a choisi de dire, c’est que les actes dont sont accusés les camarades ont un sens, un contexte, qu’ils participent de révoltes. (…) C’est clairement le fait de vouloir s’en prendre au système capitaliste qui est aujourd’hui condamnable. (…) Parce que d’une répression “spécifique” surgissent des questions plus larges qui touchent tout un chacun, l’aspect défensif de l’antirépression doit s’allier à d’autres batailles. (…) Aussi, nous avons fait le choix de parler de la répression au sein des luttes, et non de la penser comme un moment séparé du reste. »

Cependant, le collectif précisait, concernant la solidarité recherchée : « On a parlé de ces arrestations dans des espaces de discussion qui nous sont proches, avec l’idée de les faire exister dans des assemblées de lutte, des lieux où on s’organise politiquement. » Or, pour gagner en efficacité, la solidarité devrait selon nous être beaucoup plus large. Certes, au fil des épisodes répressifs, d’innombrables débats importants ont surgi dans ces milieux proches des inculpé-e-s : sur le positionnement à avoir en cas d’arrestation (ni innocents ni coupables ? nier avoir commis un acte, mais en revendiquer le contenu politique ?…) ; sur l’organisation du soutien (quelle attitude par rapport aux médias, à ce qui existe hors des milieux impliqués…) ; sur la fonction de la politique sécuritaire ; sur le recours systématique à l’ADN, avec sa pseudo-objectivité scientifique, pour accuser une personne mise en examen… Et, étant donné ses implications, la notion de terrorisme a été particulièrement analysée. L’antiterrorisme, constatait L’Envolée n° 23, « sert à amalgamer des projets, des actes radicalement différents, et permet de renvoyer dos à dos ce qui est appelé les “réseaux islamistes”, les “mouvements nationalistes” et la “mouvance anarcho-autonome”, alors que chacune de ces dénominations fourre-tout recouvre toutes sortes de projets bien distincts, d’analyses et de démarches différentes. Sans oublier que cet amalgame permet de faire passer les luttes sociales et le sabotage pour des actes dits “terroristes” ». De plus, l’antiterrorisme « participe au durcissement général du système judiciaire, puisque toujours plus de comportements deviennent des délits, des délits deviennent des crimes et les peines s’allongent ».

Autant d’analyses pertinentes ; mais justement, face aux formidables moyens de coercition mis en œuvre aujourd’hui, face à une répression qui systématise le fichage et marginalise des personnes comme des groupes, élargir la solidarité nous paraît de la première urgence. Car, tout étant question de rapport de forces dans le système, mieux vaut s’efforcer toujours de globaliser et de mettre en relation les luttes existant, pour ne pas courir le risque de se laisser enfermer dans des petits cercles politico-affectifs comme dans une confrontation en tête à tête avec l’Etat – autant de pièges dans lesquels on ne peut que se perdre en ayant tout à perdre.

Vanina

1. Avec pour la plupart interdiction d’entrer en contact et de sortir du territoire français sans autorisation, pointage mensuel au commissariat ou au tribunal ainsi que suivi par un contrôleur judiciaire tous les mois ou tous les trois mois, pour notamment justifier de leurs activités professionnelles.

2. Dissimuler son visage lors d’un « attroupement armé » est une circonstance aggravante ; et les dispositions réprimant la participation à cet attroupement sont étendues aux personnes qui y vont « en connaissance de cause, même si elles-mêmes ne sont pas armées ».

3. Ces brochures sont téléchargeables (infokiosques.net).

ANALYSE D’UNE INSTRUCTION ANTITERRORISTE

En mai 2010, les inculpé-e-s de Paris ont rendu public et commenté le dossier d’instruction. A côté d’incohérences plus ou moins voulues et de recherches pouvant sembler absurdes au premier regard (comme les pages de renseignements que suscite à son sujet un autocollant de Georges Ibrahim Abdallah sur le frigo d’un lieu perquisitionné), les enquêtes portent au moins autant sur des profils (à partir d’expertises psychologiques et psychiatriques, d’interrogatoires de parents…) que sur les faits reprochés. On y note la volonté d’établir des liens entre des personnes et entre des groupes (en relevant, lors des perquisitions, des ADN inconnus pour les ficher dans l’attente de les comparer), et un très petit nombre d’informations « de première main » (la plupart des éléments provenant du recoupement d’informations policières et administratives).

La « mouvance anarcho-autonome francilienne » (MAAF) est présentée, en février 2008, comme un noyau d’« une cinquantaine d’individus âgés de 20 à 30 ans, d’origine européenne pour la quasi-totalité, auxquelles s’agrègent selon les circonstances 150 à 200 personnes, membres de diverses organisations libertaires. Leur thème fédérateur est “la haine de l’Etat bourgeois, du capitalisme et de ses appareils”. Ce rejet s’exprime par des actions concertées à l’encontre des forces de l’ordre et des symboles du capitalisme (…) préparées par les intéressés lors de rencontres dans des squats, à la fois lieux de vie, de réunion et de passage. Depuis début 2007, on constate en Ile-de-France une radicalisation de la mouvance anarcho-autonome francilienne. Deux raisons expliquent cette évolution : l’apparition d’une nouvelle génération née du conflit anti-CPE de 2006, et le contexte électoral, un certain nombre de ces jeunes ayant éprouvé une véritable aversion à l’encontre du candidat de l’UMP (…) ».

Le regroupement des affaires est justifié par : « L’ensemble des mis en examen (…) appartenaient tous à des groupes qui avaient multiplié, depuis plusieurs mois, en région parisienne et en province, des actions violentes dirigées contre l’Etat, ses institutions et ses représentants (…). [Ainsi] l’entente est-elle tout d’abord démontrée par les liens pérennes qu’ont développés les prévenus (…) entre eux depuis de nombreuses années (…). Dès la fin de l’année 2005 et le début de l’année 2006, des relations d’amitié sont établies (…). L’entente dans ce dossier est aussi caractérisée par des idées communes à tous les mis en examen qui revendiquent les mêmes convictions contre les institutions et les pouvoirs régaliens de l’Etat : politiques carcérales, législation antiterroriste, centres de rétention et expulsions, enfermement des mineurs, fichage génétique ou papillaire, actions des forces de l’ordre. » Véhiculées par des « médias spécifiques, Indymedia, recueil Mauvaises intentions, et au cours de semaines d’actions contestataires thématiques (…) », ces idées « ne sont évidemment ni contestables, dans le cadre de l’exercice des libertés publiques et des droits fondamentaux garantis par l’Etat, ni répréhensibles pénalement sauf lorsqu’elles visent à déstabiliser l’Etat et ses institutions (…), ce qui sera le cas, au cours des années 2006 et 2007 et notamment dans le présent dossier ». Ces actions sont caractérisées par plusieurs faits matériels, « mais également par les textes radicaux, découverts en perquisition, sur des organisations terroristes avérées et/ou liés à la contestation violente, un soutien à des militants de mouvements terroristes reconnus (Action directe), la découverte de livres permettant la fabrication d’engins explosifs démontrant un réel ancrage dans la violence ».

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[Article publié dans le n°219 daté avril 2012 de « Courant Alternatif »]

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[Tract] Procès antiterroriste pour 6 camarades du 14 au 22 mai 2012 à Paris

plus d’infos sur http://infokiosques.net/mauvaises_intentions

Pour mémoire :
[Paris procès antiterroriste mai 2012] Appel à solidarité
[Paris] Procès antiterroriste pour 6 camarades du 14 au 22 mai 2012

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« Brûler n’est pas répondre ! » Mélenchon-la-censure

[Nous reprenons un texte de Claude Guillon diffusé le 4 avril 2012.]

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« Brûler n’est pas répondre ! » Mélenchon-la-censure

M. Mélenchon, ci-devant trostkyste lambertiste, ci-devant socialojospinien, ci-devant quelque chose dans le gouvernement du susdit, est devenu la providence des postaliniens et l’incarnation pasteurisée de l’« insurrection » électorale.

Bien moins intelligent que Robespierre, beaucoup moins bon orateur que Danton, infiniment moins avenant que Camille Desmoulins, M. Mélenchon est sans doute aussi un peu moins sincère que les sans-culottes dont ses partisans arborent la coiffure dans ses meetings.

Mais M. Mélenchon est aussi un militant de la censure. En mai 1992, il interpelait le gouvernement pour s’étonner que la loi de 1987, réprimant la « provocation au suicide » ne soit pas plus rapidement appliquée au livre Suicide, mode d’emploi.

« Cette petite bassesse ne mériterait pas d’être signalée, ai-je écrit dans Le Droit à la mort (IMHO, 2010, p. 214) – il y eut pléthore ! – si le personnage n’avait prétendu se faire, vingt ans plus tard, le champion de toutes les libertés, à la tête d’un parti de gauche authentique. »

Il se trouve, mais M. Mélenchon l’ignore probablement, que la loi de censure de 1987 dont il réclamait l’application contre nous, a réintroduit le suicide dans le code pénal alors qu’il en avait été chassé… par la Révolution !

Censure et esprit d’Ancien régime : les souvenirs de 1789 vont à M. Mélenchon comme des gants de boxe à un coléoptère.


Question écrite n° 21232 de M. Jean-Luc Mélenchon (Essonne – SOC) publiée dans le Journal officiel Sénat du 14/05/1992 – page 1116.

M. Jean-Luc Mélenchon attire l’attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les conditions d’application de la loi n° 87-1133 du 31 décembre 1987 donnant à la justice les moyens d’agir contre la provocation au suicide. Il lui demande où en sont les poursuites en cours concernant la réédition au quatrième trimestre 1989, de l’ouvrage Suicide mode d’emploi, toujours diffusé et qui avait été à l’origine de nombreux suicides.

On peut consulter ici la réponse du garde des sceaux.

Je ne me donne pas la peine de réfuter ici pour la énième fois le phantasme imbécile selon lequel un livre (quel qu’il soit) puisse être « à l’origine » de suicides ; les lectrices et lecteurs intéressés se reporteront au Droit à la mort.

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Ne votez jamais…

Ne votez jamais…

Nous nous plaisons à nous envisager tels des hommes et des femmes libres, entier/es et indivisibles, que l’on ne peut couper en petits bouts pour ranger dans les tiroirs institutionnels de l’Etat ou les tiroirs caisses des patrons et autres propriétaires. Mais il n’est pas difficile de se rendre compte que tout cela n’est qu’une illusion de plus. Le fait est que nous ne parvenons pas à nous appartenir à nous mêmes. Nous sommes possédés par des maîtres, à coup de fric et de temps. Notre temps est morcelé en petits bouts au loisir des politiciens, des publicitaires, des flics, des juges, des « aides » sociales, des patrons, de la médecine, des communautés et des familles. Tous s’allient à un moment ou un autre, de façon consciente ou non, pour nous diviser, nous monter les uns contre les autres, nous représenter de force, nous dépouiller, nous enrégimenter, nous analyser, nous menacer, nous acheter et nous vendre, ou plus basiquement, nous matraquer.

Les politiciens sont de ceux qui nous achètent au meilleur prix pour nous revendre au rabais, ils sont de ceux qui nous humidifient les yeux avant de nous violer le temps de cerveau disponible. Ils prétendent représenter nos aspirations en nous les dictant, un pistolet social sur la tempe. Contre un bulletin de vote, ils nous promettent des oasis dans les tempêtes de sable de nos existences, dans le désert de faux-semblants et de misère qui peuple lamentablement nos vies ennuyées.

Bientôt, une nouvelle échéance électorale, la foire d’empoigne, l’hégémonie absolue des marchands de tapis idéologiques. Mais qui est encore assez con pour y croire sincèrement ? Qui est encore assez con pour aller voter le cœur battant comme on se rend à un premier rendez-vous amoureux ?
A peu prés personne, on va voter comme d’autres vont pointer, on va voter comme on va travailler, on va voter comme on va remplir ses déclarations d’impôt : dans l’ennui le plus total ou en baissant les yeux et en se détestant.
Certains sont ouvertement les représentants de la bourgeoisie, certains autres prétendent représenter les pauvres et les dominés, mais rien ne ressemble plus à un représentant de la bourgeoisie qu’un représentant des pauvres.

Aucun candidat ne représentera jamais notre soif de ne plus être représentés, aucun d’entre eux ne pourra jamais représenter fidèlement deux individus à la fois. Aucune élection ne pourra jamais nous rendre libre, nous rendre nos vies. Voter pour qui ou pour quoi n’est pas la question, la question est pourquoi voter ?

Aux prochaines élections, comme à toutes les autres auparavant, nous nous abstiendrons, et nous inviterons tout un chacun à faire de même, à ne pas participer à son propre esclavage. Seulement, il ne s’agit pas seulement de s’abstenir ou de déserter les urnes, il s’agit de toutes les brûler et de mettre le feu à ce monde qui nous avilit et nous dégrade, de se réapproprier nos vies, nos corps et notre dignité, et si l’intelligence ne suffit pas, la force fera l’affaire.

Révolution.

Attaquons tout ce qui nous rend faibles et nous dépossède de nos propres vies.
Libérons nous de la politique

Des anarchistes.

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[Repris de la Base de Données Anarchistes, le 4 avril 2012]

 

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La fin des illusions

La fin des illusions

Les fins de mois sont déjà difficiles à boucler, et voilà qu’on nous promet de tous côtés une nouvelle cure d’austérité à ingurgiter en se pinçant le nez, et surtout sans broncher. En somme, un mal nécessaire pour sauver de la tempête cette foutue galère dans laquelle nous ramons depuis trop longtemps.

Dans ce monde à l’envers, le problème ne serait pas qu’un petit nombre s’enrichisse sur le dos des autres, mais de ne pas se résigner aux miettes qu’on nous octroie. Ce ne serait pas la marchandisation de tout et de tous, mais que certains passent à la caisse sans payer. Ce ne serait pas le règne de la politique, mais que des révoltés luttent pour une société sans gouvernants ni gouvernés, sans maîtres ni esclaves.

Dans ce monde à l’envers, l’inacceptable ne serait pas de saturer la terre de poisons industriels et nucléaires, de bombarder très démocratiquement des populations entières, de tuer et mutiler des milliards d’êtres humains au turbin. Ce serait de vouloir briser la routine de l’exploitation et de la domination, pour enfin commencer à expérimenter un monde fait de liberté et de réciprocité.

Car face à nous, chaque fois qu’on ne courbe pas assez la tête, il y a la matraque et ses souteneurs pour tenter de nous faire rentrer dans le rang. Face à nous, les uniformes occupent militairement les quartiers, mènent la traque avec fichiers et caméras de surveillance, multiplient contrôles et tabassages.
Alors, qui n’a jamais pensé à leur rendre coup pour coup, qui n’a jamais caressé le désir d’en finir avec les chiens qui gardent l’ordre et les privilèges des puissants ?

Face à nous, quand on refuse de crever bien sagement à petit feu, l’Etat brandit sans cesse la menace de la prison. Incarcérés parce qu’on a pas respecté la sacro-sainte propriété, enfermés parce que dépourvus du petit bout de papier adéquat, embastillés pour avoir craché notre rage à la gueule de l’autorité.
Alors, qui n’a jamais rêvé que les taules soient rasées ? L’attaque de comicos ou de prisons ne fait-elle pas partie des réjouissances lorsqu’éclatent des soulèvements, ici ou ailleurs, comme l’an dernier en Tunisie ?

Du 14 au 22 mai 2012, six camarades passeront en procès à Paris sous l’accusation d’association de malfaiteurs à finalité terroriste. Les faits concernent la tentative d’incendie d’un véhicule de keufs en 2007 pendant la dernière mascarade présidentielle, et un sabotage de la circulation des trains lors du mouvement anti-CPE en 2006. Ils sont également accusés de fabrication de fumigènes artisanaux et crève-pneus destinés à une manifestation devant la prison pour étrangers de Vincennes en 2008, ou encore d’avoir eu entre leurs mains des manuels de sabotage, du chlorate et des plans originaux de la prison pour mineurs de Porcheville (Yvelines).

Un abîme sépare ceux qui s’insurgent pour se libérer, et ceux qui frappent dans le tas pour défendre, consolider ou conquérir le pouvoir, c’est-à-dire l’Etat, les patrons et leurs concurrents.
Alors, parce que la liberté est le crime qui contient tous les autres, que chacun exprime sa solidarité de la manière la plus adéquate.

Contre le terrorisme d’Etat,

Que crève le meilleur des mondes !

Des mutiné-e-s de la prison sociale

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[Publié sur Indymedia Nantes, le 4 avril 2012]

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[Paris 13 avril 2012] Soirée de solidarité avec les inculpés de la manifestation du 14 janvier devant le CRA de Vincennes

Le vendredi 13 avril 2012 à partir de 18h au Lycée Autogéré de Paris 393 rue de Vaugirard (M°Convention) Soirée de solidarité avec les inculpés de la manifestation du 14 janvier 2012 devant le Centre de Rétention Administratif de Vincennes.

18h Projection vidéo autour des luttes liées aux centres de rétention et celui de Vincennes en particulier avec discussions.

20h restauration

21 h concert de soutien avec Edouard Nenez et les princes de Bretagne (groupe punk)

Prix libre

Rappel

Le samedi 14 janvier 2012, environ 150 personnes se sont retrouvées à Vincennes pour aller manifester contre les centres de rétention. La veille, six personnes sans-papiers avaient été condamnées en appel à des peines allant de 6 à 30 mois de prison ferme suite à la révolte, qui, le 22 juin 2008, a abouti à la destruction du centre de rétention de Vincennes. Au-delà du verdict, cette manifestation voulait une nouvelle fois crier sa solidarité avec les enfermés.

Malgré les tentatives des policiers pour nous empêcher de nous approcher du centre, nous avons réussi à arriver suffisamment prêt, à deux endroits différents, pour que les retenus entendent nos cris et nos pétards. Ils nous ont répondu en criant et en sifflant.

Au moment de partir, nous nous sommes retrouvés encerclés par les flics, leurs matraques et leurs gazeuses alors que des slogans contre les centres de rétention continuaient à résonner. A ce moment-là, la tactique policière a été de repérer plusieurs d’entre nous à l’intérieur de la nasse. Nous nous sommes alors resserrés pour que les personnes ciblées ne soient pas prises. En dépit de nos efforts, des civils armés de matraque télescopique sont entrés à trois reprises dans la nasse.

Trois personnes ont été isolées. Elles ont été placées en garde-à-vue. Les premiers chefs d’inculpation sont « participation à un attroupement armé, violences sur agents et dégradations de biens privés. » Le reste du groupe, 99 personnes, a été embarqué dans deux cars et emmené dans le nouveau commissariat (TGP ?), rue de l’Évangile dans le XVIIIe arrondissement. Tout au long du transfert nous avons discuté collectivement pour imposer aux policiers de sortir ensemble et de ne donner qu’oralement nos identités. Nous avons ensuite été parqués dans une cour entourée de barbelés. Ce commissariat, qui abrite la direction de la police ferroviaire, a déjà servi pour des opérations de contrôle d’identité massives (rafles, manifestation…).

Après cinq heures aux mains de la police, nous avons été libérés. Les trois personnes placées en garde-à-vue ont été déférées. Deux sont passées en procès le 27 février, une sera convoquée par un juge ultérieurement.

Malgré la volonté de l’État d’isoler ces lieux et ceux qui y sont enfermés, le nombre et la détermination des manifestants ont permis de faire exister notre solidarité.

CONTINUONS LA LUTTE CONTRE LES CENTRES DE RÉTENTION !

LIBERTÉ DE CIRCULATION ET D’INSTALLATION !

LIBERTÉ POUR TOUS AVEC OU SANS PAPIERS !

 

Tout le monde peut appeler les retenu-e-s directement sur les cabines téléphoniques :

Vincennes 1 : 01 45 18 59 70 – 01 45 18 12 40 – 01 45 18 02 50

Vincennes 2 : 01 48 93 69 47 – 01 48 93 69 62 – 01 48 93 90 42

Vincennes 3 : 01 48 93 99 80 – 01 43 76 50 87 – 01 48 93 91 12

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« Espace et capital » par Alfredo Bonanno

ESPACE ET DU CAPITAL

Aucune partie de l’espace physique ne peut être isolé de l’interférence du capital, que ce soit dans l’univers ou dans les profondeurs de l’océan, les montagnes ou les rivières, les mers ou les déserts, la grande métropole ou le plus petit, le plus reculé des villages. Toute une série de relations se croisent et se chevauchent : les éléments sans liens apparents sont liés par la matrice commune de l’exploitation. On se fourvoierai encore en tentant d’aller quelque part au loin, en dehors du monde comme on dit, pour y découvrir que les mécanismes du capital continuent de nous atteindre et fonctionnent parfaitement. Cela explique pourquoi nous sommes contre l’écologisme, de même que nous sommes contre toute autre «alternative» et toute proposition qui prétend faire quelque chose contre l’exploitation en isolant une partie de la réalité du reste. Bien sûr, nous partons aussi depuis des points de replis dans nos interventions, mais nous ne nous leurrons pas en croyant que l’on pourrait vraiment attaquer l’ennemi en restant au sein de cette «partie».
Afin de passer à l’attaque, nous devons remédier à la fragmentation (des luttes) qui, à un certain point devient un choix nécessaire, mais est essentiellement une stratégie qui a été imposée à nous par le capital.

Maintenant, le plus grave pillage opéré par l’exploitation, la charge qui a le plus de conséquences, est le vol du temps et de l’espace. Ces deux privations sont substantiellement liées. Le Capital vole notre temps en nous obligeant à travailler et en conditionnant nos vies, en les infestant d’horloges, d’engagements, de délais et ainsi de suite, jusque dans les moindres détails. En volant notre temps, il nous empêche de nous comprendre. Il nous aliène. Sans le temps, nous n’aurions même pas remarqué le vol de l’espace. Nous avons besoin de temps afin de prendre conscience de la présence même de l’espace. Pour penser, pour écouter, pour rêver, pour désirer. En vivant l’espace en termes de distance, de kilomètres à parcourir, de déplacement d’un endroit à l’autre, nous perdons de vue notre relation avec les choses, la nature, le monde entier.

Le Capital nous a volé du temps (car il en avait besoin pour la production) – puis est venu le système du contrôle et de la répression, et, enfin, la généralisation du consensus. Maintenant, nous sommes confrontés à la nécessité de passer à la réappropriation de notre temps et de l’espace. Notre attaque ne peut manquer de causer des dommages et de la ruine. C’est dans la logique des choses, la logique de la guerre de classes. Le projet du pouvoir est global. Il ne peut pas permettre l’existence « d’espaces vides ». Notre projet de libération est aussi mondial, pour la raison opposée. Il ne peut pas permettre que des espaces libres n’existent pas. Si nous devions laisser le capital atteindre la domination mondiale à ce niveau, nous serions morts pour de bon.

Heureusement, la route que devra parcourir le pouvoir afin d’achever sa mondialisation est encore longue. Ainsi comme l’espace (et les heures) détournées à un niveau global, le capital est en train de diviser la réalité en deux parties distinctes. Il ne s’agit plus seulement de l’ancienne fragmentation, mais d’une nette séparation, d’un véritable mur, entre inclus et exclus. La première partie sera la garantie d’un état de privilège, de domination, de niveaux élevés de culture, de projectualité et de créativité, et la seconde, une condition de survie, de consensus, de sous-cultures, de résignation ventre à terre, de manque de stimulation et peut-être même de manque de besoins. Dans cette perspective, le Capital et l’Etat exigent une disponibilité totale de l’espace social. Rien ne doit échapper à leurs contrôle.

Et ce n’est pas tout. Le Capital dispose désormais de technologies à sa disposition qui ne lui permettent pas tant la possession de l’espace que sa production réelle. Pensez à sa capacité à communiquer en «temps réel» entre deux points distincts séparés par des milliers de kilomètres de distance. Cela ne veut pas seulement dire changer l’ordre productif (variété, la créativité, les stocks, etc) mais aussi, et surtout, l’ordre humain des relations sociales (qui sont aussi économiques). Donc, le capital est effectivement la production de l’espace sur la base de son projet d’exploitation et de domination. Il transforme et détruit la nature, modifient les villes et les terres, détruit les mers, les rivières et les lacs, en soumettant les distances stellaires à sa logique militariste. L’espace produit de cette manière sert alors à canaliser les individus. Nous nous trouvons donc dans des embouteillages énormes, dans les accélérations le long des autoroutes, debout dans les files d’attente au supermarché. Nous sommes affligés par le chaos de la circulation, les rendez-vous qu’il ne faut pas manquer, les intérêts fictifs qui nous font nous sentir mal, nous obligent à être de manière insensée et perpétuellement en mouvement. Nous nous déplaçons dans des espaces qui ont été programmés pour nous, mais que nous imaginons que nous avons «choisi» nous-mêmes. Nos maisons sont pleines d’objets inutiles et dangereux. L’espace est devenu restreint ou a plutôt changé selon les besoins de la production capitaliste qui a besoin de vendre des télévisions, des réfrigérateurs, des machines à laver, des meubles intégrés dans les cuisines. Alors, presque sans s’en apercevoir, notre temps disparait et notre espace est lui-même la réduction des relations avec des objets qui témoignent de la puissance du capital à nous convaincre. De cette façon, nous sommes éduqués à la répétition. Nous effectuons les mêmes gestes, comme chacun-e sait (mais oublie systématiquement), dans l’antichambre du consensus.

Pour sa part, le capital est obligé de nous prendre l’espace, car il ne peut en laisser aucun disponible pour notre créativité, notre capacité à bricoler toute sorte de choses, notre désir d’innovation (qui est le premier stimulus pour trouver des solutions qui se révèlent être des dotations incroyables de la spontanéité et de la richesse). Si le capital devait laisser un espace à de telles forces individuelles, il ne serait pas en mesure d’atteindre le rythme de répétition qui est indispensable à sa production. Laquelle, nous ne devons pas oublier, ne repose que sur la condition de sa reproduction. Pensez aux efforts (aidés par la technique électronique) que le capital fournit pour réaliser les désirs de chacun-e avec le maximum (centralisée et codifiée) de diversification. Les grands noms de la mode, les chaînes de restauration rapide, la publicité qui met en valeur le goût individuel au sein de la production de masse, ne sont plus que des tentatives pour bloquer les divers chemins qui pourraient encore être parcourues aujourd’hui.

Bien que l’espace qui est produit et reproduit est basé sur le consensus, il contient une quantité considérable d’aspects purement répressifs, dans le sens policier du terme. Réglementer les mouvements dans tous les sens. Les matières premières et les hommes, les idées et les machines, l’argent et les désirs. Tout est coordonné, car tout a été préventivement homogénéisé. Les différences ne sont pas plus que cela, elles ne sont pas les diversités radicales. Elles ont été réduites au rang des apparences et à ce titre sont louées au plus hauts des cieux comme le règne de la liberté. Ainsi, la stratégie du pouvoir est donc celle de la maîtrise de «tout» l’espace de la même manière qu’il contrôle «tout» le temps. Ce n’est pas seulement une question de contrôle policier, mais surtout de contrôle basé sur le consensus et l’acceptation de modèles de comportement et d’échelles de valeurs qui sont celles des technocrates capitalistes. Que faire ? Aller à la recherche du temps perdu ? Des espaces perdus ? Pas dans le sens d’un voyage nostalgique, de remonter dans le temps. Rien dans la vie ne va vers l’arrière, tout comme rien ne se présente à nouveau d’une manière identique (ou même de manière tout à fait différente).

La vieille relation avec l’espace a laissé le signe d’un lieu physique. Le signe de l’humain et ses choses. Une route, une place, un carrefour, un pays, un fleuve, la mer et le ciel, les bois et les montagnes, étaient dans une relation ouverte avec les individus qui ont su (et voulaient) en être à l’écoute. Et les affinités entre les individus les ont conduit aux mêmes endroits, ont animé leurs sentiments, les ont poussé à l’action et la réflexion. On se retrouvait comme individus, alors que l’on se cache désormais dans le cadre d’un ensemble, d’une foule.

Autrefois nous étions ouverts, mais aussi souvent mal préparés et plus vulnérables. Désormais, nous sommes tous protégés par l’uniformité, la répétitivité. Nous nous sentons plus en sécurité parce que nous appartenons à la masse. Tout est produit et reproduit. Tout semble prêt à devenir une marchandise.

Dans cette perspective, la lutte pour les espaces autonomes* devient une lutte pour la réappropriation de tous les «territoires» au-delà et contre les règles du contrôle et du consensus.

*Note de traduction : Le terme anglais employé est « social spaces ». L’expression « espaces autonomes » a été préférée à « espaces sociaux », parce que le terme est trop vague par rapport à ce à quoi il fait référence, et aussi à « centres sociaux », parce qu’il ne recouvre qu’une partie de la réalité de ces espaces, parmi lesquels le squat, la zone d’autonomie, et autres espaces occupés.

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[Titre original: Spazio e capitale, publié dans le n.56 de « Anarchismo », 1987. Traduction en anglais par Jean Weir et publié dans « Let’s destroy work, let’s destroy economy » Elephant Editions, Londres. Traduit en français par Le Cri Du Dodo]

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Balade anti-électorale à Grenoble

Le samedi 31 mars, aux alentours de midi, nous avons joyeusement déambulé dans les rues de Grenoble contre les élections et leur monde. Sur notre chemin, en ont pris pour leur grade : le Dauphiné Libéré, la nouvelle permanence PS, Pôle Emploi, banques, agences d’intérim, d’immobilier et de sécurité. C’est à coup d’huile de vidange, de peinture, de compost et de fruits pourris que nous avons redécoré les devantures de nos cibles. Un texte a été diffusé durant la balade, que nous postons à la suite.

A cinquante, il est possible de reprendre la rue l’espace de quelques minutes. Et si on s’y mettait à plus ?

Pas d’élections sans bordel ; à bientôt dans la rue !

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[TEXTE] Pourquoi sommes nous dans la rue aujourd’hui ?

A quelques semaines du premier tour des élections présidentielles, au moment où les candidats de gauche comme de droite examinent les derniers sondages, nous sortons dans la rue pour réaffirmer que nous n’irons pas voter. Nous n’irons pas voter pour ces spécialistes de la politique qui prétendent pouvoir gérer la vie de millions de gens ; nous n’irons pas voter car nous refusons le monde qu’ils nous proposent, enfin nous n’irons pas voter car notre imagination et nos désirs débordent de leurs bulletins de vote. La démocratie représentative n’est qu’une instance de gestion de la société ! Nous voulons vivre et pour cela nous pensons qu’il est primordial de reprendre en mains nos existence, commencer donc par refuser de déléguer. Nous voulons un changement global de ce monde ; décider de notre avenir ne peut être le fait d’un programme de parti, cela doit être le fruit d’une organisation collective à la base, en luttant contre toutes les formes de pouvoirs et de contrôle. Nous ne croyons pas en une insurrection civique, car l’histoire nous l’a montré, on ne peut utiliser les instruments du pouvoir pour le renverser. Il faut pour cela lutter concrètement en s’organisant collectivement. S’organiser contre les partis, de gauche comme de droite, qui ne voient dans la démocratie représentative qu’une manière de s’approprier le pouvoir. Ces experts qui veulent nous faire croire que la politique se joue dans des salles de réunions et des bureaux de vote, alors qu’elle n’existe que réellement dans la palabre et le vivre ensemble. Laissons les patauger dans leurs sondages, et reprenons notre droit à décider dans nos villages, nos quartiers, les écoles et les entreprises… S’organiser contre le travail présenté comme seul horizon, comme seul épanouissement d’une vie sans surprise. Le travail comme seul rapport au monde, comme seul rapport aux autres. Nous devons nous réapproprier et mettre en commun nos compétences et nos savoirs faire, pour ne plus les laisser aux exigences de la marchandise et du contrôle. Ne plus accepter que toujours plus de gens soient obligés d’aller taper à la porte d’un pôle emploi, soumis à des boulots de merde qu’il faut bien accepter pour ne pas être radiés [correction de cestdejatoutdesuite : radiés à la place de … rallier (!?) dans le texte original], pour toucher cette thune par laquelle ils nous font marcher droit. Parce que oui, la réalité de ceux et celles qui n’ont pas de travail c’est bien souvent la misère économique, mais aussi sociale et affective. Finalement une dépendance toujours plus accrue au système responsable de cela : quand t’as pas de thunes tu t’accroches au moindre billet. Les discours actuelles sur la crise, présents dans la bouche des politiques, et relayés par tous les médias dominants, veulent nous faire croire que l’on traverse une période difficile, mais que l’on doit rester confiant dans le relance de la croissance, que ça ira mieux demain ! Mais nous avons compris que la crise n’est qu’une phase normale du fonctionnement normal de l’économie capitaliste. Une phase de plus dans laquelle les plus pauvres trinquent sévèrement pendant que les grosses fortunes réalisent des records de bénéfices. La crise n’est finalement qu’une façon supplémentaire de nous contraindre au silence, à l ’attente, au calme, à être « responsable ». Années de plomb ou années à fric qu’importe, nous refusons que nos existences vacillent au gré des fluctuations d’un capitalisme mondiale. Pour mettre à bas ce système, il nous faut désormais nous organiser sans argent ou plutôt contre l’argent, car il est la source majeur de notre malheur. Nous devons donc développer les solidarités, les combines et les pratiques qui puissent permettent en fin de compte de rendre les dispositifs de domination obsolètes. Cela veut dire se poser de manière commune certaines questions. Celle de la nourriture par exemple, pour ne plus être dépendant d’une agriculture productiviste et d’une bouffe de plus en plus industrielle. Mais c’est aussi la question du logement ; retrouver la possibilité d’habiter un espace qui nous convienne, nous ne voulons plus choisir entre la rue et un appart pourri. Nous refusons de croire que la vie la plus épanouissante se joue entre les quatre murs d’un trois pièces, dans une propriété aseptisée au sein d’un quartier sans âme. Pour faire accepter les cadres et mater les colères, toutes les formes de pouvoir, et nos « démocraties » ne sont pas en reste en la matière, s’entourent de vigiles, de policiers, de militaires… et aujourd’hui grâce à l’apport des nouvelles technologies, ce sont les caméras, les puces RFID… autant de possibilités de contrainte. Mais notre meilleure police c’est nous même, c’est notre façon d’accepter le « moins pire des mondes » et d’être prêt à le défendre même lorsqu’il nous broie. Il est grand temps de retrouver ensemble le courage de le combattre.

Le monde capitaliste se craquelle de part en part, les peuples du monde entier refusent de courber l’échine sans rien dire, mais il ne tombera pas seul ! S’organiser pour renverser ce système ne passera pas par les urnes, mais dans la pratique collective : dans les mouvements sociaux, dans les luttes en tous genre, dans les assemblées et dans la rue. Nous devons rendre présents tous ces gestes, les multiplier et les faire résonner entre eux jusqu’à ce qu’ils débordent…

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Publié sur Indymedia Grenoble, le 2 avril 2012.

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