Avalanche n°7 – correspondance anarchiste – juin 2016

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Les anarchistes se sont toujours appropriés des moyens pour faire des idées antiautoritaires et des luttes une matière pour alimenter le dialogue et l’action subversives. C’est en ce sens-là que cette publication se veut aussi un moyen et plus précisément, celui d’offrir un espace pour nourrir le débat international entre anarchistes. C’est pourquoi ces pages laisseront surtout la place aux combats dont le ressort est anarchiste : des luttes autonomes, directes et auto-organisées ; des combats qui poussent vers la destruction du pouvoir sous toutes ses formes ; des luttes qui se déroulent aujourd’hui, comme hier ou qui sont à venir.

https://avalanche.noblogs.org/

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Editorial du n°7 :

Ces moments vécus dans cette société semblent exceptionnellement prolifiques au cynisme et au défaitisme. Et je parle au-delà des préoccupations pour mon propre bien-être. Ce sont des attitudes qu’on peut rencontrer tous les jours, sous la forme d’un « plus malin que toi » ou d’un passe-partout pour se balader à travers la vie sans entraves. Mais aussi, plus sincèrement, ils sont le résultat de différentes degrés d’épuisement ou de désillusion. La capacité de révolte ne peut pas s’appuyer uniquement sur l’optimisme de l’incertitude. Alors que la rébellion n’a rien perdu de son urgence, cela seul ne nous empêche pas de se retrouver dans une impasse.

Une position anarchiste doit trouver son expression dans des actions, ou elle ne sera que des mots dans le vent bientôt emportés à cause de leur légèreté. La question est alors comment? En outre, comment intervenir à partir d’une position anarchiste dans les rapports sociaux? Parce que c’est là que la reproduction de l’autorité est en cours. Contre la dépendance organisée qui nous place (en alternance ou même simultanément) dans le rôle d’opprimé et d’oppresseur, nous devrions viser l’autonomie. A partir du refus de la représentation et de l’aliénation, la tentative de ne pas laisser modeler sa vie par les exigences et les normes de cette société. Peut-être c’est ce qu’on désignait avant par la notion de l’émancipation individuelle. Dans cette perspective, un projet anarchiste visant une lutte sociale englobe l’action directe et l’organisation informelle, empêchant l’établissement des rapports de pouvoir. Une rupture en soi, qui cherche à creuser plus profondément.

Certes, des niches de pratiques alternatives et de relations améliorées ne sont pas satisfaisantes. Toute tentative subversive doit chercher à saboter les mécanismes de contrôle et de soumission et rencontrera des complices. Nous pouvons créer nous-mêmes des moments de rencontre ou nous pouvons nous élancer dans des moments de rage. Ces moments tiennent tout leur potentiel dans la capacité à faire avancer une critique radicale de toute autorité et de réaliser l’autonomie (ce qui signifie pas de représentation, mais l’action directe). Souvent, nous sommes (de nouveau) confrontés à des efforts de recrutement et de récupération, qui hissent la bannière de l’unification. Que ce soit à travers la convergence gérée par des militants de gauche/bureaucrates de l’assemblée ou à travers une rhétorique séduisante imposant un discours hégémonique (que de tous les traits d’une idéologie en manque seulement une : la cohérence). Certains ont des ambitions de devenir les portes-parole (des intermédiaires des médias aux courtiers du pouvoir, mais aussi les soi-disant intellectuels) que nous devrions profaner.

Alors que la machine d’intégration de l’État social est en décroissance (un État social qui garantissait de toute façon qu’un accès limité et destiné à la fabrication des citoyens ; producteurs et consommateurs), les illusions d’un grand nombre de personnes sont brisées. Cela semble fournir un terreau fertile pour les nouvelles politiques des vieilles identités, sur la base des chimères autour de la race, l’ethnie, la nation, la religion ou d’autres idéologies lorsque les dirigeants en devenir tentent de suivre la dernière mode. Cela signifie probablement que certains pensent que les anarchistes sont en retard sur les temps. Nous préférons de nous considérer à contre-temps avec cette société et nous ferons en sorte d’interférer dans le rythme de la domination.

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Sommaire du n°7 :

4 – Italie – Abattre les frontières au Brennero et partout

10 – Allemagne – Depuis le début de l’année, le conflit contre RWE au forêt d’Hambach s’intensifie chaque jour de plus.

13  – Belgique – Le carnage et son monde

15  – Belgique – Un bref survol de la situation sociale à Bruxelles

17 – Belgique – A propos du procès antiterroriste à venir contre des anarchistes et anti-autoritaires

19  – Royaume-uni – Londres 2016 : le terrain de lutte dans notre ville

23 – Espagne – Communiqué sur la dernière opération répressive à Barcelone

25 – Chili – Pour un 29 mars insurgé et anarchique

28 – Chili – En lutte contre le patriarcat, mais avant tout… contre toute forme d’autorité !

30 – Mexique – Irréductibles face au pouvoir et à sa répression

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Lettre ouverte à ceux qui ne voient pas de problème à marcher derrière les racialistes dans le mouvement en cours

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[Contribution à la critique nécessaire de l’Appel à un cortège en commun contre les violences et l’impunité policière lors de la manifestation du 14 Juin 2016 contre la loi Travail, proposé et signé par divers militants du racialisme.]

« Tariq Ramadan, quelles que soient les critiques que nous puissions lui faire, fait partie de l’anti-racisme politique, pour son combat contre l’islamophobie et la Palestine […] [Tariq Ramadan est] un intellectuel musulman auquel s’identifie une grande partie des classes populaires non-blanches. »
Houria Bouteldja, porte-parole du PIR.

« La seule haine que nous avons c’est la haine de l’injustice, c’est la haine de l’impunité policière. Je ne laisserai plus rien passer, je deviendrai comme un poison, je serai derrière eux, quel que soit le prix à payer. »
Amal Bentounsi, porte parole d’Urgence Notre Police Assassine.

« Madame la juge, vous aimez citer le code pénal par ci et là, à mon tour de citer un article du nôtre, article 25, chapitre le combat continue : vous me trouverez en face de ceux qui pissent sur la justice. »
Sihame Assbague, auto-porte-parole du swag.

Série de propos tenus lors du « Procès de l’antiracisme politique », mauvais spectacle de stand up en forme d’éloge de la forme tribunal, à la Bourse du Travail de Saint-Denis le 25 mai 2016

« Nous allons continuer à distiller des idées progressistes, à travailler aux marges et dans les interstices, envahir le langage courant, imposer nos thèmes et nos concepts dans le débat universitaire et public. »
Françoise Vergès et Gerty Dambury, Halte à la misogynie raciste !, 12 juin 2015.

Un petit cénacle racialiste en pleine ascension sociale et politique cherche à imposer une hégémonie politique et culturelle, et à coloniser les représentations par un discours fondé sur la notion de « race », à travers l’assignation de tous, dans le présent, le passé et le futur, à des catégories qui varient au gré des accommodements en cours, toujours guidé par la soif de pouvoir. Toujours fondées sur le revival de la « race », qu’on reconstruit politiquement plus que socialement grâce à ses avatars « racisés », « racisation », « blancs », « non-blancs », ces catégories infâmes sont des outils idéaux pour faire oublier ce qu’on fait au nom de ce qu’on prétend être, culpabiliser, faire la leçon et s’imposer par le chantage à la légitimité victimaire et identitaire en exigeant d’être vus comme l’incarnation de la banlieue, du Sud, du prolétariat, des quartiers, des victimes des violences policières, etc. selon les lieux, et les publics. Après l’échec évident de la « Marche de la dignité » en octobre dernier, qui est loin d’avoir rallié « les jeunes des quartiers populaires » ou « les prolétaires de banlieue », après le repli sur la défense du religieux et la dénonciation de « l’islamophobie », c’est maintenant au cœur du mouvement social qu’ils cherchent à normaliser leur présence et même, comme ils l’énoncent ouvertement, à prendre le « leadership » de la contestation. Cette fois, l’opération prend place dans le moment le plus public, rejoignable et conflictuel du mouvement en cours : la manifestation, via la proposition de la constitution d’un cortège lors de celle du 14 juin, et c’est autour de la très consensuelle question des « violences policières » que la proposition se formule. Par un texte assez creux, un certain nombre de signataires dont la plupart sont universitaires, habitués des plateaux télé et racialistes, appellent à « un cortège en commun pour dire Stop aux violences et à l’impunité policière. »

D’abord, ce sont les signataires de cette initiative aux allures de radicalité qui doivent nous poser question : outre divers acteurs très institutionnels avec lesquels on aimerait ne pas partager de cortège, qu’il soit de tête ou de queue, on se retrouve en bonne compagnie avec le Parti des Indigènes de la République et ses compagnons de route, les sociologues officiels Nacira Guénif et Eric Fassin, Majid Messaoudène, élu front de gauche à la mairie de Saint Denis, la MAFED, qui regroupe, depuis que le PIR l’a constituée lors de ses dix ans pour organiser la Marche de la Dignité1, tout ce que le petit milieu racialiste compte d’égéries « racisées » et éventuellement islamistes, la Brigade Anti- Négrophobie et le Dip Social Club, qui suivent et relaient toutes les initiatives de ce petit monde. On doit aussi supporter des entrepreneurs de banlieue qui réclament leur part du gateau, les Pas Sans Nous, et le FUIQP dont le chef de file Saïd Bouamama, en plus d’être racialiste, collabore régulièrement avec le confusionniste actif philo-négationniste Michel Collon. Tous parlent de « race » à longueur de temps et prônent un interclassisme ségrégationniste qui sépare « blancs » et « non-blancs », à travers des pratiques scandaleuses et inacceptables comme par exemple l’organisation en non-mixité « raciale » (pour leur « camps d’été décolonial » par exemple).

Et, tant qu’on y est, pourquoi pas Eric Hazan, qui voudrait que tout le monde aime un peu certains flics, éditeur du pamphlet antisémite et philo-négationniste de Houria Bouteldja ?

Pour mémoire, même si tout le monde semble convenir du caractère infâme des positions du PIR, il faut peut- être rappeler son antisémitisme, sa misogynie, sa haine des homosexuels et du métissage, son racisme structurant, qui, si on s’y penche avec un peu de conséquence, devraient empêcher non seulement sa fréquentation, mais aussi celle de ses amis et alliés, même par pétition interposée. La moue dégoûtée que beaucoup prennent tout en signant et en côtoyant semble une réaction bien légère, si l’on prend au sérieux la nature des problèmes en question…

D’autre part, alors que la violence exercée par la police est structurelle, on peut se demander ce qu’on a à gagner à séparer des pratiques policières « violentes » d’autres, « normales », qui ne le seraient pas, comme le fait la notion de « violences policières » auxquelles il s’agirait de s’opposer. Cela a-t-il vraiment un sens d’exiger que cette police qui serait la « nôtre » cesse d’« assassiner » ? Ce dont on peut être sûr, c’est que lutter pour la punition de la police n’est en aucun cas une manière de lutter contre sa force réelle et effective ni de s’organiser contre la répression qui consolide le monde de la loi travail, et plus largement contre le rôle et la fonction de la police qui est au service du même État que la justice qu’on invoque ?

S’organiser en tant que victime, peut aussi poser question, surtout quand, en fait, il s’agit plutôt de se présenter comme victime potentielle, ou qu’on est en fait « famille de victime », catégorie la plus dépolitisée qui soit, dont la valorisation fait écho à un maoïsme français éculé, datant de l’époque où certains, sur la route de la « vérité » et de la « justice », ont aussi cherché des relais de légitimité normative et familialiste.

Enfin dénoncer « l’impunité policière », c’est toujours s’inscrire dans un champ absolument judiciariste et punitif qui impliquerait que la justice réelle, convoquée par la notion « d’impunité », soit l’horizon indépassable, et se retrouver à se plaindre radicalement du fait qu’elle fonctionne décidément mal en exigeant que les coupables soient punis plus sévèrement. Que gagne-t-on à constater que la justice ne punit pas sa police, et à revendiquer plus de punition et plus de prison ? Ne s’éloigne t-on pas ainsi absolument de la perspective de « l’impunité » pour les luttes et leurs participants ?

Des conférences de presse contre l’État d’Urgence, à Nuit Debout, en passant par des pétitions dans les journaux (avec la prétention à déterminer qui serait « casseur » ou « émeutier »), des colloques comme « paroles non-blanches » dans le bâtiment occupé de la fac de Saint-Denis, la propagande de Lundi matin, pléthore de réunions publiques, meetings, interviews et autres interventions télévisuelles, pastiches ratés de procès stupides, etc., les racialistes militent pour infuser la contestation avec leur lecture en terme de « race », donc raciste, et militent toujours aussi pour eux-mêmes, afin de prendre le pouvoir dans les luttes et de s’en servir pour acquérir du pouvoir, au-delà.

Nous sommes déjà nombreux à refuser ces catégories qui contredisent toute perspective émancipatrice et révolutionnaire, à penser que lutter contre la police, en tant que telle, ce n’est pas déplorer qu’elle ne soit pas punie, à refuser ce paternalisme qui consiste à favoriser l’organisation en tant que « famille de victime » ou sous des formes communautaures et identitaires en allant jusqu’à vanter la soumission religieuse des autres, bref à refuser de se soumettre au chantage de ces quelques bourgeois « racisés » qui voudraient se faire passer pour « les jeunes des quartiers populaires » alors qu’ils en ont très visiblement passé l’âge.

Nous ne les avons pas attendu d’ailleurs pour refuser le racisme, pour nous battre ensemble, immigrés ou pas, sans ou avec papiers, chômeurs, précaires ou salarisés, en tentant de dépasser ces catégories, seul moyen de se retrouver pour en finir avec ce monde, son capitalisme et sa police.

En cortège et ailleurs, refusons de marcher derrière les racialistes !

Poursuivons la mobilisation, les luttes contre la loi travail, bientôt contre l’été et son odeur de fin de mouvement !

Quoiqu’il en soit, le mouvement n’a pas à être dirigé, et certainement pas par les porteurs de cette proposition.

Pour des perspectives révolutionnaires

Les chemins se séparent…

crossroads @ riseup . net

1 – Pour des précisions, on pourra lire la Lettre ouverte à ceux qui pensent que participer à la Marche-de-la-dignité-contre-le-racisme- avec le-soutien-d’Angela-Davis n’est pas un problème consultable ici : http://paris-luttes.info/lettre-ouverte-a-ceux-qui-pensent-3934

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[Refusé par Indymedia Nantes … ]

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Nos « révolutionnaires » sont des gens pieux

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Extrait de Des Ruines n°2

Nos « révolutionnaires » sont des gens pieux

[Texte publié pour la première fois dans la revue anarchiste apériodique Des Ruines, n°2, automne 2015, à l’intérieur du dossier « Old-school ou post-modernes, les gauchistes nous emmerdent ». Il fut édité sous forme de receuil, avec d’autres textes de Cassandre, dans la brochure Nos « révolutionnaires » sont des gens pieux, De la complaisance envers la religion et les théories de la race dans les milieux radicaux, Ravage Editions, janvier 2016.]

Ce texte a pour but de critiquer la façon dont le concept d’islamophobie est utilisé en tant qu’outil politique dans le « milieu » parisien. Ceci, notamment pour ce qui a été de délimiter le « débat » (ou plutôt, le consensus terne) dans les quelques mois qui ont suivi les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, contre le journal Charlie Hebdo à Paris et l’Hyper Cacher de Vincennes. Tout d’abord, une petite précision : qu’est-ce que j’entends ici par « milieu » ? Pour faire court, ce que les journalistes, universitaires, flics et juges appellent l’« ultragauche ». Un « milieu » qui se définit comme anti-autoritaire, antifasciste, autonome, libertaire, féministe, squatteur, etc. J’aimerais dire « révolutionnaire », mais ce n’est pas du tout le cas. Il manque des pratiques et des projectualités révolutionnaires, et surtout un certain sens de la rupture avec l’existant, certains en arrivant même à nier la nécessité de la révolution. Depuis des années on assiste au développement au sein de ce milieu de deux tendances principales, apparemment opposées, mais en réalité complémentaires. D’un côté il y a un repli identitaire ghettoïsant (« à la ZAD », ou tendant à s’enfermer dans son squat ou sa « bande »). De l’autre, on voit une course folle à la drague de n’importe quel nouveau « sujet révolutionnaire », identifié comme faisant partie des opprimés (réels ou supposés). C’est cette dernière attitude, fortement démagogique et qui n’est pas sans ressemblances avec le maoïsme des années ’60 et ’70, que je veux mettre en discussion ici, ainsi que l’un de ses outils actuels : la façon dont le concept d’islamophobie est utilisé pour empêcher toute critique envers une religion, l’islam.

Dans les années ’70, des étudiants maoïstes étaient envoyés par les dirigeants de leurs groupuscules pour s’« établir », c’est-à-dire travailler dans les usines comme main d’œuvre non qualifiée. Le double mobile de ce mouvement était celui de leur faire dépasser leurs « préjugés de petits-bourgeois », ainsi que de propager le communisme parmi les masses (on notera au passage que cette démarche révèle en filigrane le peu de participation ouvrière aux sectes maoïstes, du moins au début). Des concepts appartenant au domaine du religieux, comme « sacrifice » et « mission », ont été pertinemment employés pour décrire le mouvement des « établis ». Aujourd’hui, des « militants » parlent de « frères et sœurs », prennent position en faveur de l’islam et se définissent comme « nous, antifascistes et/ou musulmans, croyantEs ou non ». Y aurait-il une continuité entre la foi dans le matérialisme historique et son Grand Timonier et celle dans la Soumission et son prophète ?

Les deux approches se ressemblent du moins dans la recherche d’une légitimité issue des « masses » et l’attitude plus ou moins avouée de « servir (un quelconque) peuple ». Une légitimité présumée qui ne saurait couvrir l’incapacité à élaborer un projet révolutionnaire théorique et pratique conséquent. Cela tout en sachant que les maoïstes avaient quand-même une analyse de classe de la société (avec les grands limites inhérentes au marxisme) et des buts révolutionnaires. Les néo-maoïstes, eux, ont repris le classisme à leur propre sauce, c’est à dire que les « classes » sont ici définies par des critères culturels, identitaires, à la limite racialistes, plutôt qu’économiques. Et leur démarche va clairement dans le sens réformiste d’une demande à l’État pour obtenir plus de droits et plus de « respect » pour les malheureux dont ils se veulent les chevalier servants.

On a vu une flopée de textes s’aligner sur une stigmatisation de l’anticléricalisme et de la critique des religions, qui, lorsqu’ils s’attaquent à l’islam, deviendraient « islamophobie ». Tout le monde ne s’est pas rallié à cette médiocrité intellectuelle, bien sûr [1]. Mais les exceptions restent encore trop rares.
Pourquoi cette attitude de respect d’une religion bien précise ? Pour éviter de tomber dans une forme de racisme, nous dit-on… Non, je pense qu’il s’agit plutôt d’une forme de démagogie qui refuse de critiquer quoi que ce soit venant de la catégorie de personnes censée être l’énième « sujet révolutionnaire », cette fois-ci, de fantasmés (parce que réduits à de banals stéréotypes) « habitants des quartier populaires ».
Au contraire, à mon avis, il y a en cette période la nécessité d’une forte lucidité. Le fait de ne pas accepter ni cautionner un quelconque racisme caché derrière des excuses culturalistes ne doit pas empêcher des révolutionnaires de critiquer une religion, qui, comme toutes les autres, a des racines et des formes réactionnaires. Tout en nous posant comme ennemis de l’État et des racistes, nous devons refuser tout discours identitaire, voir racialisant, et toute complaisance avec une autre source majeure d’oppression : la religion. Parce que l’ennemi de mon ennemi (ou seulement sa victime) n’est pas forcément mon ami.

 Mao ou Mahomet ? Mao et Mahomet !

Après les tueries qui ont eu lieu à la rédaction de Charlie Hebdo et dans l’Hyper Cacher, le « milieu » s’est limité à deux discours, relativement justes mais trop faciles. Il y a eu la condamnation de l’utilisation étatique des massacres, avec la pérennisation du plan Vigipirate au niveau « alerte attentat », les militaires dans les rues, des nouvelles lois antiterroristes, etc. Il y a eu aussi la dénonciation de la flambée de racisme envers les personnes identifiées comme « arabes » et de la vague de haine contre les musulmans, qui a trouvé dans ces massacres un énième prétexte.
C’est nécessaire, mais ça ne suffit pas. Il est aussi nécessaire d’affronter le problème du rôle de la religion en général, et de l’islam en particulier, au sein de certaines couches de la population. Quelle est la portée de la « conversion » d’individus des jeunes générations (qui adoptent le plus souvent de façon « artificielle » ou bien « poussées à l’extrême » des traditions qui appartenaient à leurs parents ou grand-parents, parfois même pas du tout) ? En quel sens ce « revival » de l’islam auquel on assiste depuis une dizaine d’années sert comme outil pour pacifier certains secteurs de la population ? Quelle est la place, au sein de l’islam des idéologies les plus réactionnaires, jusqu’aux plus crasseuses, comme le salafisme ? En quel sens l’islamisme radical et l’antisémitisme sont-ils liés ?
Ne pas se poser ces questions, sous couvert de respect des croyances et des traditions des « pauvres petites victimes du racisme », ce n’est que du populisme paternaliste. Et aussi, un simplisme que l’on pourrait payer cher.

Il est peut-être « minuit moins le quart dans le siècle » et peut-être que « [n]ous sommes à un point de bascule historique sur l’islamophobie et le déchaînement du racisme en France et plus largement en Europe » [2]. On ne sait pas, on espère que non. Mais seule une lutte forte et claire contre toute autorité pourra repousser tout racisme, du présent et du futur.
Ce qui est sûr, par contre, c’est que la confusion de l’« ultragauche » parisienne a atteint un niveau inouï. Cette attitude démagogique de ne pas vouloir effrayer « les gens », notamment les « habitants des quartiers populaires », ceux-la mêmes auxquels ils s’adressent soi-disant par ailleurs, est lâche et myope. « Nous savons que les journalistes de Charlie Hebdo n’ont pas été tués par n’importe quelle forme de terrorisme. Ils ont été tués par des gens qui répondaient à la volonté des pouvoirs économiques et politiques français d’entrer dans une logique de conflit de civilisation. ». En effet, ils n’ont pas été tués par n’importe quelle forme de terrorisme. Ils ont été tué par des assassins qui se revendiquaient d’une religion, l’islam dans ce cas précis, mais ça aurait pu être n’importe quelle autre. On veut le dire ou pas ? Quelle est cette réticence ?

De façon symétrique à la politique officielle, qui a utilisé le « Je suis Charlie » comme arme pour imposer une Union Nationale dont on n’a pas fini de voir les conséquences, une très large partie du « milieu » a répondu en mettant l’accent presque uniquement sur l’« islamophobie » de Charlie Hebdo. Ceci déplace le problème, qui est celui de l’accomplissement de ces deux tueries, de leurs causes, des responsabilités, et, surtout, de comment répondre, concrètement et de façon crédible, avec une position du type « ni avec l’État, ni avec les assassins religieux, mais pour la révolution ».

Comme première réaction dans le « milieu », après le massacre, il y a eu le chœur des chacals du « Charlie Hebdo étaient des racistes ». C’est lâche. Ça revient un peu à dire qu’ils l’ont bien cherché. Vous le connaissez l’éternel refrain « oui, mais elle, aussi, elle n’avait qu’à pas s’habiller comme ça, elle n’avait qu’à pas sortir seule la nuit, de toute façon elle n’est qu’une… ». Précisément, lâche. Et c’est aussi facile de le dire : il s’agit d’un lynchage virtuel à peu de frais, un clavier suffit. Le reproche des culs-benits à la barbe longue : « Il ne faut pas blasphémer le prophète (sinon…) » dit la vérité avec beaucoup plus de franchise. En effet, que cela plaise ou non à ceux qui, à la gauche de la gauche, crient à l’ « islamophobie » pour draguer les « croyants » (sans blague, c’est le type de terme qu’on trouve sur certains blogs !), la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée non pas à cause de son prétendu racisme, mais parce qu’ils ont osé caricaturer Mahomet. C’est exactement pour la même raison qu’ils avaient déjà reçu des menaces de mort, presque sûrement aussi la raison de l’incendie de l’ancien siège du journal en 2011. On veut l’admettre oui ou non ? Ils sont morts parce qu’ils étaient des blasphémateurs. D’ailleurs, si le racisme a quelque chose à voir dans les attentats des 7 et 9 janvier, c’est plutôt dans le « choix » des victimes du massacre de l’Hyper Cacher. Encore une fois, on veut appeler un chat un chat ou bien se cacher derrière de l’idéologie ?
Même si par ailleurs je n’ai aucune sympathie pour des journalistes, courroie de transmission de l’État et du capital, je maintiens que tout révolutionnaire devrait être aussi un blasphémateur. Quelle attitude tenir, donc, avec les fous de dieu ?

Admettre cela, critiquer l’islam, risquerait de provoquer un sacré couac avec une certaine démagogie à deux balles qui essaye de gratter un petit peu de visibilité et de consensus. Il y en a donc qui essaient de ne pas gêner les « frères et sœurs des quartiers populaires » (qu’on met tous d’emblée dans la même catégorie de « musulmans », quelle finesse analytique !). Cela en parlant d’autres sujets, en évitant de leur dire des choses désagréables du genre « la religion est une forme de domination » ou « on ne peux pas se libérer en devenant des oppresseurs à notre tour », ou bien en essayant de cacher les relents antisémites qui se reproduisent parmi certaines franges des « croyants ». Et on se retrouve avec des crypto-maos et des antifas qui répètent le mot « islamophobie » comme un mantra, empêchant tout discours critique et passant sur la mort de quatre personnes dans un supermarché cacher, de quelques athées revendiqués (tout petit-bourgeois qu’ils étaient), de prolos qui étaient là par hasard… le tout au nom d’Allah le miséricordieux.
Et si on essayait d’être un peu moins grossiers, un peu moins de mauvaise foi, d’arrêter de crier « raciste » et « islamophobe » à tout va ?
Et, au passage, pourquoi ne pas se poser la question : qu’est-ce qu’une démarche révolutionnaire ? Quel doit être le rôle d’une critique de la religion au sein d’un discours révolutionnaire ? Faut-il encore creuser le rôle de fondement du pouvoir qui est propre à toute religion ?

Mais Charlie Hebdo est un journal raciste, oui ou non ? Oui, me répondra-t-on : ils ont une fixation contre l’islam, ils sont islamophobes. Voilà le nœud du problème. Mais « islamophobie » n’est pas « racisme ».
Le concept d’« islamophobie » est flou et au fond bien creux, car y sont mélangés la critique d’une religion avec le racisme à l’encontre des individus qui la pratiquent. Il y a une différence entre les deux. Pour commencer, « musulman » n’est en rien une « race », mais le choix individuel d’une foi. Il faudrait aussi sortir des préjugés, surtout lorsque l’on prétend les combattre, et se débarrasser de la confusion faite (à la fois par les racistes et les anti-islamophobes) entre la religion islamique et les populations « arabes ». Aussi, il faut garder en tête que seulement 20 à 25% des musulmans à travers le monde sont arabes. Se souvenir aussi que les « arabes » ne sont pas une ethnie ou une « race », pas plus que les musulmans (et pas seulement parce que les « races » n’existent pas !), mais un ensemble d’individus s’identifiant sur des critères linguistiques et culturels.

Le racisme, en deux mots, c’est rabaisser quelqu’un pour son apparence, des caractéristiques qu’il n’a pas choisies. Une chose différente est de critiquer ou d’attaquer quelqu’un pour ses choix.
Je suis né avec certaines caractéristiques physiques (un certain teint de peau, de cheveux, d’yeux…), des choses que je n’ai pas choisies et que je ne peux pas changer. Je n’en suis en rien responsable. Et le racisme réside dans le fait de donner de la valeur à des groupes humains définis à partir de quelques-unes de ces caractéristiques physiques en dévalorisant d’autres groupes. Mais, contrairement à ce qui concerne mon apparence physique, je peux avoir une prise sur « ma » culture, « mes » traditions, parce qu’elles vivent aussi à travers moi, selon ce que j’en fais ou pas. Certes, chacun de nous naît et se développe au sein d’une culture (plus précisément au carrefour de plusieurs éléments venant de différentes cultures, qui d’ailleurs se mêlent constamment entre elles). Mais chacun de nous peut toujours refuser, dans son ensemble ou en partie et plus ou moins facilement, ce qui lui a été enseigné ou imposé au cours de sa vie. On a une marge de choix, plus ou moins large, notamment suivant l’énergie qu’on met dans ce choix. Je ne suis en rien responsable de la couleur de ma peau. Je suis en partie responsable de mon « appartenance culturelle » (dont « ma » religion). Le poids des influences du « groupe de référence », la famille, la « communauté », la société dans son ensemble, peut être très fort, mais il ne le sera jamais assez pour m’empêcher d’essayer, au moins, de m’en libérer, si je le désire. Ce qui me rend responsable de mes choix de vie, comme de mon appartenance religieuse.
Il ne faut pas non plus oublier que cet amalgame entre appartenance « raciale » et appartenance religieuse est extrêmement dangereux : c’est une arme de choix tant pour les racistes que pour les identitaires musulmans. Ceux-là mêmes qui utilisent le racisme subi par pas mal de personnes « issues de l’immigration » comme justification du repli communautaire (dont la religion est le principal pilier), un levier pour leur soif de pouvoir. On remarquera que le concept d’islamophobie est très vague, mais que s’il y a quelque chose de bien clair, il s’agit de son interclassisme (au contraire, plusieurs critiques du racisme prennent justement en compte la conjugaison entre les problématiques « raciales » et de classe, le fait que les premières recouvrent souvent des mobiles sociaux et politiques).

Nous pourrions également questionner le besoin existentiel pour nombre de « racisé-es », comme on dit maintenant, de rendre si spécifique et particulière leur oppression. Au terme « antisémitisme », se sont additionnés ces dernières années les termes « islamophobie », « négrophobie », « racisme anti-blanc », et autres.
Le terme racisme est il devenu trop gênant ? Certainement, en ce qu’il tend à nous éviter les fausses questions posées par les adeptes des particularismes identitaires dont le but n’est que de séparer les gens dans des identités et des communautés hermétiques. Sous prétexte d’antiracisme, donc, on se retrouve avec de l’ethno-différencialisme, un glissement extrêmement dangereux qui s’accommode très bien du retour en force et de la « réappropriation » du concept de « race » par nos « porte-paroles » des opprimés (qui la plupart du temps sont extérieurs à leurs « opprimés » chéris).
Il y a encore quelques années, nous pensions que la racialisation permanente des opprimés n’était que le fait des courants extrémistes de droite les plus brutaux (nazisme, suprématisme blanc à l’américaine, nationalisme Afrikaner et autres partisans de la ségrégation, etc.), mais il faut croire que nous vivons une époque formidable… Aujourd’hui, nos déconstruits reprennent le flambeau de la théorie des races à leur compte. Le langage est cruel, mais si nous sommes d’accord que le racisme doit être combattu dans son ensemble, alors cessons de le fractionner, de mettre en concurrence les mémoires et les souffrances, et débarrassons nous de toute cette morbidité, qui par exemple, voit l’homophobie et la transphobie revenir par la fenêtre sous prétexte de lutte contre l’islamophobie dans des groupes et partis dangereux comme les Indigènes de la République et leurs amis ; dont l’activité semble entièrement portée vers l’extension de la guerre civile. Cette même guerre civile dont rêvent, pile en face d’eux, les partisans du « choc des civilisations ». Les deux faces d’une même pièce.

Prenons par exemple la prose du PIR. Dans son article Racisme(s) et philosémitisme d’État ou comment politiser l’antiracisme en France ? la patronne des indigènes, Houria Bouteldja, décrit ainsi, selon elle, « la mission cardinale donnée aux Juifs par l’État-Nation » : « devenir la bonne conscience blanche et faire de la Shoah une nouvelle « religion civile » en la dépouillant de toute historicité [4]. La commémoration de la Shoah devient en quelque sorte, un solde de tout compte. L’État paie sa dette aux Juifs et se rachète une probité morale. Mais ce faisant, il crée une discrimination mémorielle, puisque tout en instrumentalisant la mémoire du génocide des Juifs, il occulte la mémoire de la traite négrière, ce qui fâche les communautés afro-antillaises, il occulte la mémoire coloniale, ce qui fâche les communautés arabo-musulmanes et africaines, il occulte la mémoire du génocide des Tziganes, ce qui fâche les communautés rroms et qui crée du ressentiment envers les Juifs vus, à juste titre, comme les enfants chéris de la République. C’est ici la première source de l’hostilité de la part des sujets post-coloniaux envers les Juifs ». Est-il besoin de commenter encore ce genre d’immondices racistes ?

Il y a évidemment des racistes qui essaient de se cacher derrière une plus respectable critique de l’islam, qui soi-disant serait en conflit avec les « valeurs de la république » (lire des valeurs nationales françaises, chrétiennes, bourgeoises, etc…). Les démasquer et les combattre ne doit pas pourtant nous obliger à défendre l’islam. Une critique émancipatrice qui vise toute religion en tant qu’outil de pouvoir (et en cela tout à fait cohérent avec la plus fondamentale des « valeurs de la république » : l’acceptation contractuelle de la domination contre quelques droits) doit nécessairement s’appliquer aussi à l’islam.
En effet, si toute stigmatisation raciste est à combattre absolument, la critique de la religion est absolument indispensable, y compris quand il s’agit de l’islam, qu’on voudrait nous vendre comme une espèce de religion propre aux minorités pauvres et oppressées [5]. Mais cela n’est vrai qu’en partie : tout d’abord, parmi les musulmans il y a aussi des riches, des exploiteurs (et on se limite ici à parler de la France, mais il ne faut pas oublier qu’il y a de nombreux pays où l’islam est la religion dominante et souvent la religion d’État). Et même si l’analyse si grossière des « ennemis de l’islamophobie » était vraie, est-ce qu’on aurait le droit de critiquer seulement les religions qui sont majoritaires ? Seulement celles « des riches » ? Des « blancs » [6] ? Et pourquoi ? Devrait-on peut-être défendre le « droit » des pauvres à croire en des conneries réactionnaires ? Et l’évangélisme, lui aussi exercé tant par des pauvres que par des riches, mais qui est en progression vertigineuse dans les régions les plus pauvres du monde (et de France…), doit on s’éviter de le critiquer ? Et le capitalisme, que de très nombreux pauvres défendent, doit il aussi être protégé par nos pieux « révolutionnaires » ?

Le concept d’islamophobie, lorsque poussé à sa conséquence logique, présuppose une sorte de sacralité des croyances religieuses, qui seraient à l’abri de toute critique. Ce qui amène à garantir la sacralité des dogmes et des hiérarchies issues de ces croyances. Non seulement on ne critique pas l’interclassisme propre au concept d’islamophobie, mais on en arrive à l’accepter comme élément positif [7]. Voilà donc que le concept d’islamophobie peut, dans son « aile droite », cacher ou justifier tout ce qu’il y a de réactionnaire et hiérarchique dans une religion, tandis que sur son aile gauche, il prétendrait élargir une certaine « tolérance au rabais » aux tonalités libérales, non conflictuelle sur un plan social, qui serait facilement récupérable par l’État.

 Contre quel « fascisme » ?

Profitant de la vague d’émotion provoquée par les tueries des 7 et 9 janvier, les racistes de Riposte Laïque ont appelé à un rassemblement « pour l’expulsion de tous les islamistes de France » le dimanche 18 janvier à Paris. Les antifas de l’Action Antifasciste Paris-Banlieue (AFA), avec d’autres orgas (AL, CGA), partis politiques (NPA, Voie Prolétarienne, Parti des Indigènes de la République) et syndicats (Sud), ont appelé à un contre-rassemblement à la Fontaine des Innocents.
L’AFA ce sont des antifascistes qui contre les fafs et l’État, et qui pratiquent l’« action directe » : c’est-à-dire qu’ils affichent fièrement sur internet leurs graffitis « ACAB » ou « Contre les violences d’État ». Ils nous disent reconnaître aussi la nécessité de « résister face au capitalisme, au pouvoir, aux marchés et à leurs compagnons de route » [8].
Bon, déjà, ça ne semble pas poser de problème à l’AFA (et ses « cousins » du Collectif Antifasciste Paris-Banlieue, CAPAB) de signer un appel à un rassemblement avec le Parti des Indigènes de la République, dont il est inutile de rappeler la démarche racialiste, l’antisémitisme (voir plus haut), le soutien de partis islamistes et racistes comme le Hamas ou le Hezbollah, ou les positions vis-à-vis des homosexuels [9] et trans ou de ceux qu’ils appellent « blancs » [10].
Une des affiches appelant au rassemblement représente l’image, entre autres, d’une femme voilée, soumise donc à un dieu (sinon à des choses bien plus terrestres et réelles). Et le texte d’appel dit : « nous, antifascistes et/ou musulmans, croyantEs ou non, souhaitons nous rassembler pour refuser l’Islamophobie ». On comprend du coup que pour eux il y a une pleine compatibilité entre le fait d’être antifasciste et l’appartenance à une religion (ici, l’islam). En effet ça peut être le cas (après tout, on peut bien être antifasciste et premier ministre !), mais si on veut aussi « résister au pouvoir », comment ne pas se poser la question des liens entre celui-ci et les religions ?

Mais enfin, qu’est-ce que ça donne ce rassemblement ? Selon le sobre compte-rendu de l’AFA, ça a été une journée avec une bonne participation, communicative, « pour marquer notre présence et affirmer notre volonté de lutter contre l’islamophobie ». Mais si on regarde une petite vidéo de ce rassemblement, on se dit qu’ils ont oublié quelque chose. Est-ce qu’on lutte contre le racisme et l’islamophobie en brandissant fièrement des drapeaux nationaux ? En brandissant des pancartes avec la chahada [11] ? En criant en cœur « Allahu akbar » et « Touche pas à mon prophète »  ? En cautionnant toute cette merde ? C’est ça leur antifascisme ? Nationalisme et religion (mais des « colonisés »… tu parles !).
Au début de la même vidéo on voit aussi le service d’ordre de la manif’ (apparemment des « antifas ») déchirer avec arrogance les affiches collées par « deux vieux anars » sous couvert que « ce n’est pas le message du rassemblement » et qu’« elles sont ambiguës », pour finir avec « on vous le dit gentiment une, deux fois, pas trois » [12] (contre les flics des graffitis, contre les libertaires des menaces…). Donc, si tu critiques l’islam, même si de toute évidence ils ne peuvent pas t’accuser de racisme (les affiches en question portaient une critique anticléricale anarchiste assez « classique »), tu te fais jarter des rassemblements des antifas…

Mais nos braves antifas ne reculent devant rien. Quelques semaines plus tard, pour ne pas êtres moins anti-islamophobes que l’AFA, c’est le tour du CAPAB (des antifas « par tous les moyens nécessaires », rien que ça !) de signer l’appel au « Meeting contre l’islamophobie et la guerre sécuritaire » qui s’est tenu le 6 mars à la Bourse du Travail de Saint-Denis. Bien sûr les partis ne manquent pas (Ensemble, EELV, PCF). Les Indigènes de la République sont de la partie, ça va sans dire, tout comme les partisan(e)s du droit des femmes à porter le voile [13] dans les lieux publics. Mais cette fois-ci quelques voix se lèvent parce que parmi les signataires il y a aussi l’Union des Organisations Islamiques de France, l’UOIF, très proche des Frères Musulmans (ils avaient déjà appelé à la Journée internationale conte l’islamophobie du 13 décembre, toujours aux côtés du CAPAB) et Participations et Spiritualités Musulmanes (PSM). Or, ces braves gens sont des réactionnaires pure souche et ne le cachent pas trop. L’UOIF a pris position contre le droit au mariage pour les homosexuels et contre l’avortement, ils accueillent Dieudonné, Soral, Frigide Barjot et Ludovine de la Rochère (présidente de la Manif pour Tous) à leurs congrès [14]. Ils ont des liens avec le Comité de Bienfaisance et de secours aux Palestinien (CBSP), qui envoie une partie de l’argent récolté pour la bienfaisance… au Hamas ! Et en 2009 leur théologien préféré (et vedette de leurs congrès), Youssef al-Qardaoui, disait sans sourciller que « tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux [Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait — et bien qu’ils [les Juifs] aient exagéré les faits —, il a réussi à les remettre à leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des croyants »
Même EELV ont eu la décence de retirer leur participation au meeting de Saint-Denis… Et chez nos antifas, ça donne quoi ? Ce compte-rendu : « Le meeting d’hier soir à la Bourse du travail de St-Denis a été un succès avec sans doute au moins 600 participantEs ! » [15]. Qu’importent les pires réactionnaires, amis des fascistes ? On ne crache pas sur la visibilité devant 600 personnes ! On ne crache pas dans la soupe (politique) que l’on mange !
Et malheureusement cette drague éhontée aux pires relents réactionnaires de la part des antifas, de crypto-maoistes en manque de « masses » et d’universitaires racialistes continue. Certes, plus dans les universités et les Bourses du Travail que dans la rue, mais cela n’enlève rien à la myopie d’une telle politique qui ne fait que le jeu de ceux qui portent une vision du « choc des civilisations ».

C’est grâce au site fourre-tout Paris-luttes.info qu’on peut savoir ce qu’on a perdu en évitant de se pointer à Saint-Denis, le 6 mars dernier : « Le simple fait que cette réunion ait eu lieu est une bonne chose » [16]. S’ils le disent… Mais ils reconnaissent pourtant que, « évidemment il y aura des tentatives de manipulation. De la part des partis politiques, manipulations très courantes dans les luttes sociales. Mais aussi des tentatives de récupérations religieuses. » A la bonne heure ! Au final, cette récupération est tellement grossière que même eux ne peuvent plus la nier. C’est le cas quand Ismahane Chouder, membre de Participation et Spiritualité Musulmane feint de s’étonner que l’on veuille « lutter contre l’islamophobie sans les musulmans, ou alors seulement avec ceux qu’on juge bons, et dont il faudrait jauger au préalable l’irréprochabilité ». Un peu comme dire : au nom de la lutte contre l’islamophobie il faut accepter tous les musulmans, y compris les fanatiques comme… le PSM ! C’est un peu ce qu’écrivaient déjà en 2012 Nicolas Pasadena et les autres signataires de l’appel « Libertaires et sans-concessions contre l’islamophobie ! [17] », en cautionnant communautarisme et conservatisme à la sauce religieuse. Tout en définissant le combat antireligieux (qui, même s’ils l’oublient, est une partie importante des idées libertaires et anarchistes) comme « primordial » et « primaire », ils finissent leur texte comme-ça : « nous affirmons en tant que libertaires notre solidarité avec celles et ceux qui luttent et s’auto-organisent contre cette oppression [l’islamophobie] ». Tous, sans distinctions ? Même PSM ? Ou Samy Debah et ses copains du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dont le porte parole Marwan Muhammad disait en novembre 2012 au Monde [18] qu’« à droite, l’islamophobie est alimentée par un discours sur l’identité ou la sécurité ; à gauche, par la défense de l’égalité hommes-femmes et la laïcité ».
En effet, on est pas mal à rester convaincus de la nécessité de l’égalité, encore loin d’être acquise, entre hommes et femmes (et tous les autres genres ou non-genres), même si pour certains il s’agit d’une forme d’universalisme occidental qui opprimerait les « minorités religieuses ». Et quant aux dieux, on les emmerde !

 Quartiers populaires ?

Mais la mode crypto-maoïste qui consiste à fantasmer sur les « croyants » des « quartiers populaires » ne touche pas seulement les antifas. Toujours sur Paris-luttes.info, par exemple, on a pu lire cette perle : « Coulibaly n’est pas un monstre, c’est le résultat d’une société dégueulasse et sans espoir. C’est un prolétaire perdu, qui n’a trouvé son refuge que dans une idéologie réactionnaire. » [19] On nous dit que déjà avant sa « radicalisation » religieuse, l’« islamiste » (on remarquera que c’est l’auteur qui met les guillemets !) Coulibaly détestait les flics. Cela parce que quand il était tout jeune un ami est mort dans ses bras, assassiné par les bleus lors d’un cambriolage qui s’est mal terminé. En gros, qu’il n’était pas responsable, parce que tout est la faute de la misère, des malheureuses circonstances de sa vie. Mais si les circonstances sont responsables de tout, alors cela veut dire que personne n’est responsable de rien. Ce déterminisme sociologique de comptoir ne saurait pas effacer la responsabilité individuelle. Que dire, sinon, des autres exploités qui prennent le chemin opposé et deviennent flics ou matons ? Eux non plus ne sont pas responsables, ils sont juste le produit des circonstances ? Et ils sont où les responsables, alors ? Les bourges non plus n’ont pas choisi de naître ainsi, si on veut aller au bout de cette pensée sociologiste et crypto-bourdieusienne. C’est la faute au « système capitaliste » et pas aux individus ? Et alors on attend sagement que le processus historique (ou le bon dieu) nous emmène enfin vers le paradis sans avoir à bouger le petit doigt…
Les circonstances extérieures, sociales, ont sûrement une influence sur nos choix, mais celles-ci restent, et pour toujours, nos choix. Chacun en porte la responsabilité toute entière, ou presque. Nous sommes beaucoup à détester les flics. Et là un exemple bien précis me vient à l’esprit. Il s’agit d’un autre jeune qui a vu un ami mourir dans ses bras, assassiné par un flic. Tout comme Coulibaly. Mais ce jeune-là n’a pas embrassé une quelconque connerie religieuse, il n’est pas devenu un massacreur fanatique qui tire dans le tas. Il s’en est pris aux vrais responsables de ce meurtre-là et de trop d’autres, il s’est battu et se bat contre l’État. Il s’appelle Nikos Romanos, il est anarchiste, il est révolutionnaire. Pas un anti-raciste déconstruit qui flâne dans sa fac’ ou un antifa bon à faire des graffitis. Romanos s’est mis en jeu, pour de vrai et pour un idéal de liberté. Il a essayé et essaye encore de répondre à la mort de son ami Alexis (assassiné par un flic à Athènes le soir du 8 décembre 2008) et de trop d’autres, en combattant l’État et ses sbires. Lui, il est « des nôtres », parce que pour nous, anarchistes, révolutionnaires, les « nôtres » ne sont pas les opprimés quoi qu’ils fassent. Mais bien tous ceux qui essaient de lutter contre l’oppression – pour eux-mêmes et pour les autres.

Les « nôtres »  ? En effet, sur le blog Quartiers Libres (« libres » de l’État, mais sous l’emprise d’autres formes d’autorité) on peut lire : « Comme si les frères Kouachi n’étaient pas des nôtres. Ils sont, comme nous, des produits des ghettos et du mépris républicains » [19]. Pourquoi les auteurs font ce parallèle entre eux-mêmes, de non mieux définis « habitants des quartiers populaires » et les frères Kouachi ? Parce que ces derniers étaient des galériens d’origine maghrébine ? Ou des musulmans ? Et alors ? Il étaient aussi des fous de dieu. Il étaient aussi des connards d’assassins tirant indistinctement sur tout ce qui leur est passé sous le nez. C’est quoi, encore, ce déterminisme apologétique ? Tous les galériens et tous les maghrébins ne sont pas des Kouachi, fort heureusement ! Et s’ils ne le sont pas, ce n’est pas parce que leur vie a forcement été plus facile, la misère et les humiliations racistes moins dures, mais parce qu’ils ne veulent pas l’être. Ils le choisissent ! Exactement comme les Kouachi et Coulibaly ont choisi d’être des assassins, ce qu’aucune explication sociologique n’excusera.
À travers toute une rhétorique sur « les nôtres », les « frères et sœurs des quartiers populaires », les « croyants » [20], le blog Quartier Libres entretient un communautarisme identitaire assez ambigu, avec des bases bien plus culturalistes que de classe. L’impression qu’on en tire est que pour ses rédacteurs la lutte contre le racisme passe par l’exaltation identitaire de tout ce qui viendrait de ces « quartiers populaires ». C’est le cas par exemple avec la fierté identitaire. Dans la page « graphik guerilla » du blog, m’a surpris la section « La rue est arabe ». Non, la rue n’est pas arabe. À Barbes comme partout ailleurs, elle est habitée par une multitude d’individus tous différents. Parfois il y en a qui correspondent à l’image que les médias et les préjugés racistes ou nationalistes identifient comme « arabes ». Mais c’est tout. Et c’est déjà trop. Parce que, qu’est-ce qui rassemble un Kabyle et un Palestinien, une femme née en région parisienne et une née au Maroc, sinon justement des préjugés (parfois acceptés par les intéressés eux-mêmes, d’ailleurs – ou par leurs autoproclamés porte-paroles) ? Ça serait le fait relatif, à vérifier cas par cas, d’appartenir à la catégorie des « musulmans » ? Ah bon ? Un peu flou, non ? Et n’oublions pas que ces types de catégories sont souvent utilisées par le pouvoir pour nous maintenir soumis. C’est l’État ou l’un de ses concurrents (une religion par exemple) qui les utilise pour exploiter ou marginaliser certains secteurs de la société, pour les garder séparés entre eux. Pourquoi cette femme née en région parisienne devrait se sentir plus proche de cette autre née au Maroc, que de n’importe laquelle de ses voisines, même née en Bulgarie ? Parce que les deux premières subissent le même racisme ou bien la même oppression sexiste sous couvert de « leur » religion et de « leurs » traditions ? Ne serait-ce pas mieux que les personnes se solidarisent sur la base de leurs tentatives de se libérer de toutes les oppressions, des préjugés racistes, nationalistes, communautaires ?

Les rédacteurs de Quartiers Libres devraient aussi arrêter de minimiser, voire justifier, les relents racistes parfois présents dans cette « partie non négligeable des classes populaires [qui] se reconnaît et s’identifie à la résistance du peuple Palestinien », comme par exemple avec la description édulcorée qu’ils font des émeutes racistes qui ont eu lieu à Sarcelles le dimanche 20 juillet 2014 : « Les provocations de la LDJ, la présence policière massive et l’interdiction donneront lieu à des affrontements et des violences, taxées elles aussi d’antisémites » [21]. Taxées ? Pourquoi, vous appelez comment l’incendie d’une épicerie casher et le saccage d’autres commerces identifiés comme juifs dans un quartier pauvre ?
Est-ce que souffler sur le feu du communautarisme et de la fermeture identitaire est le but de ce « collectif d’individus » qui a pour ambition de « diffuser des idées et des analyses qui manquent » [22] ? Ce qui les amènent, eux qui justement dénoncent le discours culturaliste qui a été collé sur les habitants des « quartiers populaires » pour effacer les problématiques d’exploitation, à adopter un discours culturaliste contraire, exaltant ces mêmes stéréotypes que l’État abhorre. Tout cela pour finir avec le fin constat que ce qu’il faut à la « gauche » pour s’ancrer dans les « quartiers » ce ne sont pas les « discours révolutionnaires ou machin… de classe », mais… des écrivains publics !

Dans cette guerre sainte en défense de l’islam, même les bouffons universitaires d’AQNI-La Sulfateuse, pour une fois autoproclamés analystes, se mettent à pondre des injonctions au respect des religions. « La critique de la religion est une critique aussi idéaliste que le discours religieux lui-même. Il serait bon que les ’’camarades’’ anarchistes en finissent un peu avec la métaphysique et la bigoterie anticléricale ». Et là, les bouffons relativistes du milieu ne sont plus drôles du tout.
Parce que la critique de la religion est toujours nécessaire, aussi pour combattre le confusionnisme « déconstruit » et misérabiliste qui est le leur. Plus loin ils continuent en disant que : « […] notre pays a […] une histoire coloniale et pétainiste, et une tradition antisémite et raciste ; toute analyse du « sionisme » et de « l’islamisme » en France doit partir de l’analyse de ce contexte historique particulier. […] De même, toute critique de la religion juive, ou de la religion musulmane, en France, lorsqu’elle n’émane pas des concernés eux-mêmes, c’est-à-dire des croyants ou des personnes socialement apparentés à cette croyance et à la culture à laquelle elle est associée, doit aussi prendre en compte cette dimension. » [23] Non, bien qu’il soit indispensable de tenir compte des facteurs historiques et sociaux, ce n’est pas un « certificat d’origine », une traçabilité génétique ou un arbre généalogique qui pourra me donner ou pas la légitimité pour critiquer une quelconque religion. Cette critique devra être évaluée non sur la base de la couleur de la peau ou « l’origine » de ceux qui l’élaboreront, mais par la profondeur et la pertinence avec lesquelles elle sera faite, et les possibilités révolutionnaires qu’elle ouvrira.

 Le problème n’est pas l’islam radical, mais l’islam modéré

De fait, les djihadistes sont des ennemis reconnus par tout le monde, puisque le seul moyen de « composer » avec les tenants d’une guerre (sainte), c’est la guerre. L’islam « modéré », au contraire, en tant que religion comme plein d’autres, pose le même problème que posent toutes les religions : celui de l’autorité.
Il n’est nullement le cas, ici, du questionnement sur ses limites et sur l’inconnu, l’inconnaissable. L’enchantement du monde et de la vie est une expérience très « terrestre », qui est niée à son plus haut degré justement par ce qui prétend la remplacer avec de la métaphysique : la religion, précisément.
Une religion est en effet un ensemble de croyances métaphysiques qui portent en elles des règles de vie bien précises, basées sur la tradition et la morale, auxquelles l’individu doit se soumettre. Il s’agit d’un rapport social, une forme de mise au pas de chaque individu et des masses dans leur ensemble. Elle recouvre en outre un rôle de justification du pouvoir, de garant de la tradition et de l’ordre établi, plus généralement d’une certaine « pacification » sociale. Cela à travers une interprétation organiciste de la société, une exaltation des hiérarchies, le refus de l’autonomie individuelle. Souvent la religion est aussi un moyen de diriger la conflictualité sociale vers des cibles fictives, ou de la brider en faisant miroiter un paradis futur. Le paradis, ce triste mensonge qui garantit la paix pour les puissants, ici et maintenant. En donnant un espoir dans la transcendance, la religion étouffe la plupart des poussées révolutionnaires des exploités ici-bas et maintenant. Le beau passage de Bakounine, « Si Dieu existait réellement, il faudrait le faire disparaître » [24] pointe précisément le fond du problème de la religion : l’idée de divinité est la base conceptuelle de l’autorité et sa contrepartie, la foi, celle de l’acceptation de la servitude.
Il faut être clair : la critique révolutionnaire de la religion, de toutes les religions, se place sur ce terrain et sur ce terrain seulement. Je ne critique pas la religion parce que je n’aime pas les préceptes de telle ou telle religion, ou parce que je n’aimerais pas ses fidèles pris un par un. Je critique la religion parce qu’elle est justement contre-révolutionnaire dans son essence même, et que donc, lutter pour la liberté religieuse, c’est lutter contre toute possibilité révolutionnaire. Un vrai projet révolutionnaire ne se fera ni contre ni avec « les croyants » en tant que croyants, mais contre toutes les Églises, les clergés, et surtout les pensées réactionnaires qui ne visent qu’à nous faire accepter le statu quo de ce monde d’autorité. Il se fera avec des individus qui se sont libérés de leur entraves religieuses, traditionalistes, communautaires et morales, ou qui, au minimum, tentent de le faire.

Une religion est aussi un marqueur identitaire, porteuse d’un sentiment de communauté entre tous les coreligionnaires, et de séparation avec les autres. Cela fait que les préceptes religieux n’ont pas seulement un rôle qu’on pourrait considérer comme expression d’une foi individuelle (des foutaises comme le « salut de l’âme »), mais ils deviennent des normes identitaires. Si le hasard m’a fait naître dans une famille originaire, disons, du Portugal, je serai probablement amené à me considérer comme catholique, sans que je ne l’ai jamais explicitement choisi ni que je me sois jamais posé sérieusement la question de ce qu’est pour moi la religion. Cependant, je chercherais probablement à être (ou apparaître) un bon catholique, ce qui veut dire respecter tout un tas de normes religieuses et culturelles, des codes normatifs internes à la communauté des fidèles et fonctionnels pour son existence (et la persistance des rôles de pouvoir en son sein : par exemple je serai obséquieux envers les prêtres, etc.). Les frontières communautaires tendent à effacer les différences présentes à l’intérieur de cette même communauté, notamment les différences sociales, pour concentrer l’attention sur la différence avec l’extérieur, qui détermine cette même identité intérieure (suivant le clivage croyants/mécréants). Il y a donc un « nous » et un « eux », et parmi le « nous », oppresseurs et oppressés seraient censés se reconnaître comme semblables et se serrer les coudes pour la défense de supposés intérêts communs, par exemple le salut du troupeau des fidèles ou bien la nécessité de faire front commun pour combattre l’islamophobie [25]. Cette identité se focalise sur un seul aspect que des individus, pour le reste différents, partageraient, ici la religion (et le « racisme » qui irait avec). Mais le racisme s’enchevêtre évidemment avec d’autres formes d’oppression (par exemple sociale ou de genre) qui, elles, sont tout simplement balayées par ce type d’approche.
Une politique identitaire de ce type met en effet de côté les formes de pouvoir internes aux communautés (qui se fondent sur des normes identitaires crées précisément par ces mêmes formes de pouvoir). En gros, il y a des formes de dominations qui, parce qu’internes à une communauté (des patrons musulmans, des imams, certaines formes de patriarcat), sont cachées par l’attention portée sur l’action de l’ennemi extérieur (le racisme). Comment sortir de ce marécage communautaire qui efface presque complètement la question sociale ? Précisément, à mon avis, en remettant celle-ci (dans toutes ses imbrications avec le racisme, la domination de genre, etc.) au centre de l’action. Cela signifie refuser de jouer le jeu de l’autorité, qui vise à diviser les exploités entre eux et les lier avec des secteurs d’exploiteurs sur des bases identitaires.

Ce n’est pas la première fois que des « révolutionnaires » en manque de masses essayent de fédérer en utilisant la religion ou en s’alliant directement avec les hiérarchies religieuses (ou encore que les culs bénits cherchent à intégrer et transformer à leur sauce les théories et pratiques révolutionnaires). Ça va de Tolstoï à Chavez pour le christianisme, en passant par Gershom Scholem et Martin Buber pour le judaïsme. Au fond, quand Hélder Câmara, l’archevêque de la théologie de la libération, donne une interprétation marxiste et « révolutionnaire » des évangiles ou de la vie de Jésus ou de François d’Assise, il va exactement dans la même direction que nos gauchistes. Mais se souviennent-ils que l’idée même de révolution est quand même née, aussi, d’une opposition radicale et destructrice à l’oppression religieuse, fondement du pouvoir ? Est-ce qu’on se souvient aussi de cet autre barbu qui à écrit, lui : « La religion est l’opium du peuple » ?

Mais revenons sur le rôle de l’islam dans la France d’aujourd’hui. L’enjeu, ici, est la mise au pas morale, et dans un sens absolument compatible avec les « valeurs républicaines », de secteurs de population qui se trouvent souvent parmi les exploités. Ce « revival » de l’islam auquel on assiste parmi de jeunes génération issues de l’immigration depuis des pays largement musulmans, a été en effet favorisé, ou du moins toléré, par l’État. Ça a été le cas par exemple en prison, comme le dit Abdel-Hafed Benotman [26], où l’augmentation des conversions a notamment porté à une « accalmie » des détenus. Mais les effets les plus marquants sont bien sûr visibles dehors. Dans les si fantasmés « quartiers populaires », quel rôle ont joué la hiérarchie islamique et plus largement la morale religieuse, lors des émeutes ?
La liste des « violences urbaines » est longue, depuis celles de Vaulx-en-Velin (et plus généralement de la banlieue lyonnaise) pendant toutes les années ’90, de Toulouse en ’98, de Strasbourg en 2002, jusqu’à novembre 2005 et Villiers-le-Bel en 2007. On pourrait remarquer que la hiérarchie religieuse musulmane y joue un rôle de plus en plus marqué dans le sens de la défense de l’ordre (républicain – et religieux). On se souviendra notamment des appels au calme des imams en novembre 2005. Ce n’est pas un hasard si en parallèle à une « montée » de l’islam parmi certaines couches de la population, on assiste à une baisse de la belle habitude de l’émeute parmi ces mêmes populations, qui sont une partie et non la totalité, de ceux qui se révoltent. J’espère me tromper et voir encore la France s’embraser, demain peut-être. Mais dans ce cas, on sera obligés de tenir compte de la position que tiendront très probablement beaucoup d’imams, habitués à prêcher à l’ombre de la République. Oui, parce que les salafistes ne sont qu’une petite minorité agitée comme épouvantail, mais la hiérarchie religieuse musulmane, modérée ou non, sait bien tirer profit de son rôle de béquille du pouvoir. On a vu Sarkozy (alerta, les antifascistes !) échanger des courtoisies avec les responsables de la Grande Mosquée de Paris et on se souviendra encore des grands sourires du Premier Ministre François Fillon (alerta, les antifascistes !) lors de l’inauguration de la mosquée Al-Ihsan, à Argenteuil, en juin 2010.

Au delà des slogans simplificateurs, on voit bien que l’État n’est pas raciste par nature, bien qu’il n’hésite pas à avoir recours au racisme quand cela peut lui être utile. Le racisme est certainement bien présent, mais il ne s’agit pas de son seul mobile, et y répondre en cautionnant une parcellisation communautariste qui se baserait sur de supposées caractéristiques culturelles et/ou ethniques est un choix suicidaire.
Les appareils étatiques savent combattre certains relents racistes quand ça les arrange ou quand ils minent la paix sociale, ou encore utiliser des éléments racistes, communautaires ou religieux à leurs fins de domination. L’État peut s’appuyer sur des minorités ou même les créer, avec l’objectif de se garantir une meilleure prise sur l’ensemble de la population (cela sans ne jamais l’acquérir une fois pour toutes, car il y a toujours des fractures sociales qui sont porteuses de tensions).
C’est l’ancienne méthode du divide et impera, qui a l’air de marcher toujours aussi bien.
En effet, l’État voit loin, tout comme ses compères les chefs religieux. Malheureusement ce n’est pas le cas de maints prétendus « révolutionnaires », des gens pieux.

mai 2015,
Cassandre .

Notes

[1] Quelques textes ont essayé de briser ce conformisme au rabais, comme Je ne suis pas Charlie et je t’emmerde ! ou Vive le blasphème ! et des textes publiés dans Lucioles n°21.
Plus ancienne est la Réponse à l’appel des libertaires contre l’islamophobie, publié sur le site d’AL Montpellier le 1/4/2013. Elle critique le piètre texte Libertaires et sans-concessions contre l’islamophobie !, dont le premier signataire est Nicolas Pasadena (lui aussi d’AL), publié sur le site bboykonsian.com le 27 septembre 2012. Cette Réponse a été récemment proposée sur Indymedia Nantes, mais mise « en débat » (lire censurée) par la modération. La critique des positions de protection de l’islam prises par certains « libertaires » y est très pertinente, mais la partie la plus intéressante du texte est la troisième. On y identifie les racines de ces positions dans les courants post-modernistes qui sévissent au sein des milieux gauchistes et libertaires, notamment en France.

[2] Ça faisait longtemps que Charlie ne faisait plus rire, aujourd’hui il fait pleurer, publié sur blog Quartiers Libres le 7/01/2015.

[3] On ne nous enterrera pas avec Charlie, publié sur blog Quartiers Libres le 14/01/2015.

[4] Et va pour une petite insinuation ambiguë et malsaine dans la droite lignée des négationnistes de type Rassinier/Bardéche/Faurisson.

[5] En effet, Nicolas Pasadena nous enseigne que : « l’Islam reste une religion minoritaire en France et que le rapport de force socio-économique et politique actuel n’est pas à l’avantage des populations musulmanes » (extrait de Pas d’islamophobie au nom des idées libertaires, publié sur Quartiers Libres le 25/07/2014). Je pense qu’il suffit de lui répondre : « et alors ? »

[6] Malheureusement il y a des « antiracistes » qui utilisent ce genre de terminologie, en acceptant de ce fait l’argument de la division de l’humanité en races, au lieu de pointer les vraies raisons, sociales et politiques, du racisme. Puis, vous savez, il y a une grande partie des exploités qui sont « blancs », pour reprendre leurs mots. On s’en étonne ? Si on regarde seulement la propagande d’une certaine extrême-gauche ça pourrait étonner, oui. Et on pourrait s’étonner aussi des scores électoraux du Front National dans certaines zones « populaires » comme la Picardie ou l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais. Justement, ça pourrait être le moment de se poser quelques questions et de remettre les pendules à l’heure d’un conflit social, au lieu de jouer le jeu racisme vs. identitarisme.

[7] C’est le cas des « anarchistes » du groupe parisien de la CGA, qui, après avoir fait appel aux limites légales d’application de la loi « anti-voile » et avoir menacé d’une « prise en charge de notre propre autodéfense », prône « l’alliance entre toutes les minorités opprimées, qu’elles soient religieuses, nationales ou sexuelles ». Qu’on lise à ce propos la très pertinente réponse de Claude Guillon, L’alliance des minorités est-elle le nouveau sujet de l’histoire ?, publié le 1/04/2015 sur son site Lignes de force.

[8] Cf. leur site internet, en particulier, pour la citation, l’interview de l’AFA à La Griffe. Idem pour leur compte-rendu du rassemblement contre l’islamophobie.

[9] Bouteldja, dans un entretien publié sur le site Vacarme le 26 avril 2015 (Revendiquer un monde décolonial) dit : « si ces mêmes musulmans avaient manifesté contre le mariage homo mais en refusant toute alliance avec l’extrême droite ou même la droite, cela nous aurait paru intéressant, car nous aurions eu affaire à des groupes racisés qui osent s’affirmer et affirmer leurs convictions tout en refusant de servir des mouvements racistes ou nationalistes. […] Sur la question des identités sexuelles, nous avons fait valoir le fait qu’il n’y avait pas de raison de les universaliser et que dans les quartiers en France, il n’y a pas de mouvements LGBT revendiqués comme tels. De fait, les habitants des quartiers ne souhaitent pas politiser leur sexualité, d’où l’indifférence du PIR. Il y a des priorités. »

[10] A ce propos on lira l’intéressante brochure De la banalisation des thèses ethno-différencialistes et communautaristes en milieu militant, publiée par Ravage Editions en mai 2015.

[11] La chahada est la profession de foi de l’islam, dont elle constitue le premier des cinq piliers.

[12] Un tract papier avec un bref compte-rendu de ce qui est arrivé aux « deux vieux anarchistes » qui se sont trouvés face au service d’ordre de ce rassemblement a tourné de mains en mains. Les auteurs l’ont aussi proposé à la publication sur Paris-luttes.info, mais ça a été refusé avec l’excuse que ce site ne veut pas « devenir l’espace de communication interne des différents groupes anti-autoritaires parisiens quand il y a une embrouille ». Une « neutralité » de façade qui fait bien le jeu des antifas… Le tract, les images présentes sur les affiches en question, la réponse d’un modérateur et la contre-réponse des auteurs sont encore lisible dans le forum interne (accessible après inscription) de Paris-luttes.info – par contre les groupes antifascistes à l’origine du rassemblement n’ont pas cru bon de s’exprimer la-dessus…

[13] Avec cette périphrase pudique on indique toute une panoplie vestimentaire (qui peut aller jusqu’aux gants) et qui est l’expression visible de la soumission des femmes (à partir de 13-14 ans) aux préceptes de l’islam et à l’autorité du père ou du mari. Peut-on cautionner un tel « choix » ? Peut-on parler de « liberté », dans ce cas ?

[14] Voir l’article d’Ornella Guyet Pourquoi je n’irais pas au rassemblement contre l’islamophobie aux côtés de l’UOIF, publié sur Street Press le 27/02/2015 ou celui d’Hassan Aglagal, Assez de Participation et Spiritualité musulmanes dans nos luttes ! publié sur Confusionnisme.info le 3 mars 2015. On se souviendra aussi de la fatwa de l’UOIF du 6 novembre 2005, quand, au beau milieu des émeutes, ils interdisaient à tout musulman de « participer à quelque action qui frappe de façon aveugle des biens privés ou publics ».

[15] De leur page Facebook, 7/03/2015.

[16] Retour écrit et vidéo sur le débat contre l’islamophobie à Saint-Denis le 6 mars 2015, publié le 26/03/2015 sur Paris-luttes.info

[17] Publié sur le site bboykonsian.com le 27/09/2012. Sur la mauvaise fois démontrée dans ce texte, avec notamment une citation de Fanon qui lui fait dire le contraire de ce qu’il voulait dire (en gros, qui lui fait défendre la religion…), voir la Réponse à l’appel des libertaires contre l’islamophobie.

[18] Stéphanie Le Bars, Les musulmans veulent que soit reconnue la réalité de l’islamophobie, publié dans Le Monde du 1/11/2012.

[19] Combs la Ville (77) : « Depuis ce jour, Amedy Coulibaly déteste tout ce qui touche à la police », publié sur Paris-Luttes.info le 16 janvier 2015.

[i] C comme Complot et Charlie, publié le 16/01/2015. Ce passage est précédé par la phrase « Le drame et la stigmatisation des habitants des quartiers poussent bon nombre des nôtres à trouver dans ces multiples versions des faits des récits qui dédouanent et déresponsabilisent de tout lien avec les attaques. ». Mais la bonne volonté de démonter le complotisme le plus grossier n’enlève rien au simplisme déterministe de ce texte.

[20] On trouve parfois sur le blog Quartiers Libres une rhétorique religieuse explicite, comme dans un article-sermon qui prône la tolérance quant aux choix sexuels et de genre, en s’appuyant sur l’indulgence dictée par la religion. Ce post, au titre inspiré Sur la terre comme au ciel (21/03/2014), se termine par ces mots pieux : « Avoir la Foi ou des convictions implique qu’on ne transige pas. On ne transige pas avec les injustices, elles sont le fait des humains. Ainsi, la seule chose dont nous avons à répondre ici-bas ou devant l’Éternel, ce sont nos actes ». Ou le retour de la théologie révolutionnaire…

[21] Mobilisation pour Gaza : la rue parle arabe ! Publié le 14/04/2015.

[22] Cf. la présentation de Quartiers Libres (vers la minute 56’), dans le documentaire au titre ridicule (au vu de ce qu’est l’antifascisme aujourd’hui en France) : Acta non verba.

[23] La confusion qui vient, publié le 6 février 2015 sur Paris-Luttes.info.

[24] Bakounine, Dieu et l’État, 1882.

[25] Ou la « cathophobie » comme on peut l’entendre depuis les « Manifs pour tous »…

[26] Abdel-Hafed Benotman, Il n’y a pas d’islamisation radicale dans les prisons françaises, publié sur Non-Fides.fr le 23 février 2015.

 

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Sans « oui, mais… »

« Des saloperies de voitures de flics, il en crame depuis des décennies. Et il en cramera encore. C’est ainsi et c’est tant mieux. Pour ma part, j’espère qu’une bonne âme voudra bien se décider à me saccager, à me caillasser, à me caraméliser le moteur, à me désosser et me revendre en pièces détachées, à me faire flamber, à m’épargner le terrible poids d’autres arrestations… »
Anti-terrorisme : la dépanneuse [de police] raconte !, Indy Nantes, 25 novembre 2008

Face à la révolte qui s’empare régulièrement des rues depuis plus de deux mois, un vent mauvais d’arrestations et de lynchage médiatique est en train de souffler un peu plus fort pour tenter de calmer les incontrôlables de la contestation. La figure-repoussoir du moment, construite avec délice par les gestionnaires de l’ordre et alimentée à foison par les pompiers sociaux, est bien sûr celle du fameux « casseur« . Une figure mythique parfois redécoupée selon le contexte policier local en « anarchistes », « autonomes », « antifascistes », « ultra-gauchistes », « anarcho-autonomes », voire même ce bon vieux « anarcho-libertaires » qu’on croyait disparu depuis le CPE.
Interpellations d’avant-manifs, interdictions administratives, enquêtes express, perquisitions, contrôles judiciaires et incarcérations préventives ont ainsi déboulé à Nantes, Caen, Lyon, Rennes ou Paris pour enrichir une tambouille répressive déjà lourdingue lorsqu’elle se composait de notes blanches et d’instructions judiciaires, mais qui est devenue carrément indigeste depuis que l’Etat l’a agrémentée de mises en examen pour « association de malfaiteurs » (Rennes) et autres « tentative d’homicide volontaire » (Nantes, Paris). Si cela n’a rien d’étonnant dans une période où état d’urgence, guerre, contrôle et serrage de vis généralisés sont plus que jamais à l’ordre du jour, on peut néanmoins constater que ce n’est pas la peur du ridicule qui a étouffé journaflics et crapules politiques de tous bords ces derniers jours : « Daech de l’intérieur », « terroristes », « barbares » et « fascistes » ne sont que quelques uns des noms d’oiseaux qui ont volé derrière les micros pour défendre les familles des vitrines et un tas de ferraille bleu-blanc-rouge opportunément caramélisé.
Avec de tels tours de passe-passe linguistiques, on peut se demander comment le pouvoir qualifiera ses assassinats permanents de migrants aux frontières de la Méditerranée, ses bombardements « anti-terroristes » de villes entières en Syrie, ou tout simplement son empoisonnement nucléaire et industriel durables de la planète et de ses habitants. Le négligeable prix à payer pour le maintien de l’ordre des paradis de la démocratie marchande ? L’inévitable conséquence d’un monde régi par l’Etat et le capitalisme ?
Et puisqu’on en est aux mots et à leur sens vidé par le pouvoir afin de contenir et d’isoler une partie des révoltés de l’ensemble de la conflictualité sociale, disons les choses clairement : si la balayette d’un manifestant contre un CRS tentant de jouer au héros peut magiquement se transformer en une « tentative de meurtre » sous la plume d’un larbin de l’autorité, il y a fort à parier que le dictionnaire ne sera d’aucune utilité à ce dernier lorsqu’un sbire subira un accident du travail définitif, comme ce fut par exemple le cas lors d’une manifestation de chômeurs à Feriana (Kasserine, Tunisie) le 20 janvier dernier.

Face au choeur assourdissant des porte-parole de la domination, le fameux Tout le monde déteste la police !, un des slogans le plus chanté, gueulé, clamé et scandé ces derniers temps par des dizaines de milliers de personnes à travers tout le pays, semble désormais avoir un peu de plomb dans l’aile.
Non non, pas du flash ball dans la tronche ou de la grenade de désencerclement dans les pattes comme il en pleut dru à chaque manif, juste un peu de plomb. De ce petit plomb calibre 12, modèle Fini la récré, qui frappe en vol tout élan potentiellement subversif, tout battement d’ailes qui sort du dressage scolaire, de l’exploitation salariée ou de l’abrutissement sur écran. Ces mêmes ailes qui ont (re)donné à beaucoup le goût d’aller explorer l’inconnu au-delà de l’horizon d’un terne présent ; celles dont la matière est faite de rages brûlantes, de rêves de destruction, et d’un absolu sans dirigeants ni dirigés ; celles, qui sait ?, d’un monde complètement différent, c’est-à-dire d’un monde notamment débarrassé de toute police.
Car qu’on le veuille ou non, qu’on le trouve trop réducteur, démagogique, voire carrément contre-révolutionnaire comme l’éditeur du Comité Invisible, le slogan Tout le monde déteste la police ! était parvenu ces derniers temps à reléguer au second plan non seulement toute amélioration de la loi travail, mais aussi son prédécesseur en la matière, le très descriptif Flics, porcs, assassins ! présent depuis l’assassinat d’Alexis à Athènes en décembre 2008, sans même parler de son populaire ancêtre qui filait déjà la métaphore animalière sans chichis inutiles : Mort aux vaches ! Certes, les attaques de vitrines commerçantes, les pillages de Franprix ou de Go Sport, les barricades enflammées, les comicos, mairies, banques et locaux du PS transpercés, les gares saccagées ou envahies, tous ces rails de trams, ces carrefours et ces rocades bloquées ont également et largement exprimé une colère qui a su dépasser les rituels affrontements avec la police, tout en ouvrant un espace hétérogène et autrement plus riche en possibilités. Pourtant, c’est l’incendie à Paris le 18 mai d’une voiture de flics lors d’une manif sauvage, non loin d’un rassemblement de syndicalistes pas rôtis et pas contents, qui a relancé l’hallali contre les « méchants casseurs » le temps d’un week-end.

Du plomb dans l’aile disait-on, parce qu’en se transformant de sentiment en action, de détestation en attaque, d’incantation qui rassure en réalité qui peut faire mal (des deux côtés), le fameux slogan chanté sur tous les tons a pris la cruelle dimension de l’existant et de sa machine à punir : celle de la guerre sociale. Que les deux flics aient pu ressortir de leur caisse fumante sans être incités à y rester, y compris le porte-flingue recalé au concours de gardien de la paix, n’est ici pas la question. Tout le monde ne déteste certainement pas la police, mais c’est en tout cas à chacun qu’il revient de décider quand, et surtout comment exprimer concrètement cette rage de la manière qu’il estimera la plus adéquate. La manifestation sauvage qui est partie des abords de la place de la République où se déroulait le rassemblement de syndicats de poulets, n’a eu besoin d’aucune assemblée ou commission pour s’élancer, tout comme les précédentes qui s’en étaient prises à des Jaguars, des Autolib, ou (déjà) des voitures de flics. Si les mots ont encore du sens, conspuer violemment le parti au pouvoir dans la rue peut aussi avoir pour conséquence que des mains inconnues s’en prennent à ses locaux. Que ce soit avec du fumier, des marteaux, de la peinture, une meuleuse… ou douze balles. Si les mots ont encore du sens, conspuer violemment la police dans la rue peut aussi avoir pour conséquence que des mains anonymes lui lancent des pierres, des mortiers, de la peinture… ou jettent un fumi dans la lunette arrière d’un de ses véhicules en fonction.
Dans ce mouvement qui peine à trouver des perspectives autonomes loin des syndicats et des politiciens autoritaires de service, le fait qu’’idée et action puissent parfois encore aller de pair n’est pas la moindre des réjouissances. Comme l’écrivaient en décembre dernier des compagnons juste après l’attaque explosive contre une école de police à Brescia (Italie) : « Si faire d’eux L’Ennemi serait une idiotie, justifier leur travail serait une aberration. Après les morts sous leurs bottes, après les tabassages dans les commissariats, après les charges dans les rues, après d’infinis abus de pouvoir quotidiens qui les rendent toujours plus arrogants, forts de leur impunité, un grondement de révolte dans les ténèbres de la résignation est le minimum qui puisse arriver. Il y a des rages, il y a des émotions impossibles à exprimer avec une pétition (et au diable partis et syndicats, prêtres et militants). » Certes, les chiens qui protègent les maîtres et participent au rapport social de domination ne peuvent à eux-seuls incarner l’ennemi, mais ils sont en tout cas un obstacle évident pour quiconque souhaite s’aventurer sur les chemins de la démolition passionnée comme sur ceux d’une liberté sans mesure. A ce titre, prendre ses propres idées au sérieux contre le plus froid des monstres froids qui prétend en outre au monopole de la violence, et en tirer les conséquences pratiques, est un premier pas nécessaire.

Depuis plus de deux mois, le minimum syndical du Tout le monde déteste la police ! avait réussi à ouvrir une brèche entre l’ahurissant J’ai embrassé un flic et l’étouffant Je suis Charlie d’un état d’urgence prolongé indéfiniment. Ce soir, 24 mai 2016, un jeune manifestant nantais croupit depuis près de 10 jours en taule, accusé de « tentative de meurtre » contre un commandant de police lors d’une émeute. Ce soir, 24 mai 2016, la détention provisoire vient d’être prolongée par un laquais en toge pour l’un des quatre manifestants parisiens accusé à son tour de « tentative de meurtre » suite à la voiture cramée le 18 mai à Paris (les 3 autres restent mis en examen sous contrôle judiciaire). Peu importe qu’ils soient « coupables » ou « innocents », car nous laissons volontiers ces catégories aux charognards du code pénal et à tous leurs amis citoyens-flics. Peu importe qu’il s’agisse de révolutionnaires certifiés ou de lycéens anonymes, car c’est avant tout les actes dont ils sont accusés que chacun est invité à défendre solidairement. Des actes clairs, et sans « oui, mais…« .
C’est au son du clairon que le terrorisme d’Etat est en train de battre son rappel à l’ordre, en utilisant cette attaque incendiaire ou les blocages en cours pour tenter d’effrayer et de favoriser un retour à la normalité. Celle où les matraques syndicales et où les tirs policiers ne rencontreraient pas de réponse contondante, celle où la circulation des flux de marchandises (humaine ou pas) ne serait pas interrompue, celle où l’exploitation ne serait pas réduite en lambeaux, celle d’une démocratie de guerre qui ne serait pas sapée, celle des technologies de l’enfermement et du contrôle qui ne seraient pas sabotées, celle basée sur notre peur et sur notre résignation. Parce qu’au fond, la matraque et son acceptation est ce qui garantit les rapports sociaux.
A chacun de prouver le contraire.

Liberté pour toutes et tous !

Des anarchistes
Paris, 24 mai 2016

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[Repris des Brèves du désordre]

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[Emmaüs] Pourquoi ils ne sont pas à défendre

Paris, jeudi 26 mai : la tête de la manifestations passe devant la boutique Emmaüs. Un cordon de gens habillés en noirs et le visage masqué fait un bouclier humain pour empêcher que les vitres de la boutique ne soient attaquées …

Ça s’agite autour, de gens s’énervent, certains s’empoignent, d’autres essaient d’expliquer à ce SO improvisé ce que fait Emmaüs, pourquoi ils méritent de voir leurs vitres tomber, mais le message ne passe pas, les quelques uns qui gueulent « collabos » se font bousculer et intimider, les autres autour n’en ont rien à foutre, ils se promènent, n’ont pas du tout conscience de ce qui se passe autour d’eux, quand ils n’applaudissent pas le SO du « black-bloc » défenseur des vitrines d’Emmaüs.

Alors pour tenter de combler leur ignorance crasse, un exemple parmi d’autres de ce qu’ils ont défendu aujourd’hui : https://paris-luttes.info/greve-des-refugies-a-emmaus-3686

Si ce que font ces salopards d’Emmaüs aux sans-papiers intéresse ces grands humanistes défenseurs des vitrines, ils pourront chercher par eux mêmes ce que c’est qu’est l’institution d’Emmaüs, comment ils collaborent avec l’État au tri et à l’expulsion des migrants. Et comment aussi Emmaüs exploite des gens dans la merde, de la façon la plus dégueulasse.

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[Publié sur Indymedia Nantes, le jeudi 26 mai 2016]

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Solidarité avec les inculpés de l’incendie d’une bagnole de flics à Paris

Suite à l’hypermediatisation d’une voiture de flics incendiée sous les yeux d’une bonne vingtaine de caméras, cinq personnes ont été arrêtées, dans la soirée ou le lendemain, accusées de cette attaque, somme toute, assez basique, puisque comme on l’entend beaucoup, tout le monde déteste la police, et c’est presque tous les jours qu’elle est attaquée sur le territoire de diverses manières. Notamment, de cette manière là.

A l’issue des gardes à vue, une personne a été relâchée. Les quatre autres ont été mises en examen pour « tentative d’homicide volontaire », « violences volontaires en bande organisée sur personne dépositaire de l’autorité publique », « destruction de bien public en bande organisée et participation à un attroupement armé ». Un des mis en examen est également visé par le délit de refus de se soumettre au prélèvement génétique. Les quatre personnes sont actuellement en détention préventive. Si les accusations grandiloquentes qui leurs sont faites aujourd’hui (« tentative de meurtre ») et la menace inconséquente qui va avec (« prison à vie ») ne tiendront pas une seconde lors d’un procès, elles servent cependant à assurer une détention préventive sous la bénédiction de quelques sadiques en toge.

Les médias de la démocratie, aux ordres, ont bien joué le jeu, leur zèle n’égale que leur servilité sans faille à la normalité et à la violence extrême, elle, de la paix sociale. Une entière satisfaction donnée aux syndicats de flics, qui manifestaient ce jour là, semble être l’objectif secondaire du ministère de l’intérieur et du gouvernement. Un peu de sensationnel pour le citoyen moyen, un peu de vengeance pour les flics, de la dissuasion pour les révoltés. C’est derrière cet ignoble triptyque que la raison d’État s’est mise en œuvre contre quelques camarades, probablement choisis au hasard sur un trombinoscope foireux de la pseudo « ultra-gauche », catégorie inventée par l’Etat, qui a déjà donné lieu à des dizaines de procès, d’incarcérations et de barbouzeries en tout genre au cours de la dernière décennie et aujourd’hui encore (puisque l’affaire dite « machine à expulser » reste toujours à être jugée et que plusieurs camarades et compagnons sont encore mis en examen dans ce dossier d’ampleur). Probablement le même trombinoscope qui sert depuis peu à délivrer des interdictions et assignations diverses ces dernières semaines, sous couvert d’état d’urgence démocratique.

Aujourd’hui il nous parait nécessaire de réaffirmer trois positions importantes :

  • En tant que révolutionnaires, nous serons toujours du coté de ceux qui défient, profanent et attaquent l’ordre, et donc aussi ses forces, dans une perspective d’émancipation. Car la révolution ne se fera pas dans des salons avec des power-point, du folklore militant et des philosophes ennuyeux, mais dans la rue, avec la haine, le feu et l’espoir.
  • Ces camarades auraient pu être n’importe lesquels des milliers de manifestants qui ont redécoré les rues aux couleurs de la joie, ces derniers mois. Ils auraient pu être nous, ou vous, toi ou moi. Cette répression est donc une attaque contre tous les révolutionnaires, et a minima, contre tous ceux et toutes celles « qui détestent la police » et qui détestent le travail.
  • Par conséquent, la question de la « culpabilité » ou de « l’innocence » des camarades inculpés n’appartient qu’au pouvoir, et nous laissons ces considérations et ce vocabulaire de code pénal, qui ne sont et ne seront jamais les nôtres, à ceux d’en face (qu’ils soient flics, juges, avocats ou journalistes). Ce geste, quel qu’en soit les auteurs, s’inscrit dans une longue tradition de pratiques révolutionnaires, il faut donc le défendre en tant que tel . Il ne s’agit pas de rendre cette attaque légitime, justifiée, ou de la minimiser, mais bien d’attaquer tout principe de légitimité, toute somation à la justification, et toute modération dans l’attaque anti-autoritaire des rapports de domination, et des agents qui protègent leur règne.

Nous affirmons donc notre solidarité avec les inculpés, et surtout, avec le geste qu’ils sont accusés d’avoir commis, et qui rappelons-le, est un acte du quotidien, un acte nécessaire pour quiconque tient à sa liberté, et pas un « événement effroyable et ultra-violent ». Dans une ville comme Paris, qui a goûtée en 2015 à une violence aveugle, véritablement effroyable et sidérante, véritablement violente, véritablement terroriste, il est indécent de pleurer sur le sort d’une bagnole de flics, dont la fonction consiste justement à se faire taper sur la gueule par tout ce qui refuse l’ordre du monde. Ne laissons pas les camarades seuls dans le tourbillon mediatico-répressif qui voudrait faire d’eux des individus assoiffés de sang et des cannibales en rut.

Non, face à l’État et ses laquais, ils sont nos camarades, et nous sommes les leurs.

Ni vérité ni justice, complicité et révolution.
La meilleure défense c’est l’attaque.
Liberté pour tous et toutes.

Le 24 mai 2016 à Paris,
Quelques anarchistes.

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[Repris de la Base de données anarchistes]

 

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[Ni loi, ni travail] Arrestations préventives avant manifestations

Arrestations préventives avant la manif du 12 mai à Paris

La police aimerait empêcher certaines personnes de manifester… Elle ne se contente pas d’arrêter pendant et après les manifs : elle le fait aussi avant.

Jeudi, nous sommes deux à quitter notre appartement dans le haut de Belleville pour rejoindre la manifestation à Denfert-Rochereau.

Quelques mètres après la sortie de l’immeuble, des flics en civil (au moins sept officiers de police judiciaire) sortent leur carte de police et nous arrêtent pour un contrôle d’identité. On proteste, et exigeons de connaître le motif : « Réquisition du Procureur ».

On finira par lire le document qui leur autorise entre midi et 20 heures, le contrôle, la fouille des sacs et voitures dans une vingtaine de quartiers de Paris. Au moment de sortir le document, on aperçoit dans le même dossier un papier avec un trombinoscope. Évidemment, l’arrestation est ciblée, le contrôle d’identité est un prétexte, puisqu’ils savent très bien qui nous sommes. Ils fouillent nos sacs où ils trouvent tout l’attirail du manifestant (lunettes de plongée, masque, sérum, pulvérisateur au maalox, foulards, gants, citron), ainsi que quelques œufs de peinture. Ils prétextent que l’absence de carte officielle les empêche d’établir avec certitude notre identité. On est embarqué au commissariat de Louis-Blanc malheureusement toujours en service malgré l’attaque qu’il a subi après les violences policières au lycée Bergson…

On est fouillé plus méthodiquement. Les œufs sont testés (pas sur la destination qui leur était réservée) et reniflés par les mêmes chiens qui nous ont arrêtés. De même pour le maalox. Le tout est pris en photo sous toutes ses coutures. Ils ne cherchent pas trop à nous interroger puisque nous ne répondons pas. A défaut de pouvoir nous inculper pour quoi que ce soit, ils veulent juste nous priver de manifestation, et nous garder les quatre heures complètes du contrôle que permet la loi. Juste avant de nous relâcher, dernière vengeance : ils vident méticuleusement un sachet de farine dans nos affaires. Nous repartons avec notre kit complet moins les œufs, mais la manif est déjà finie.

Depuis le début du mouvement, la répression est féroce, qu’elle se fasse directement à coups de matraque (des flics ou du SO), de flashball, de gaz, et de peines de prison ; ou plus insidieusement en empêchant toutes les tentatives de s’organiser (tenir une AG, occuper des lieux, bloquer, et maintenant aller en manif).

A priori, d’autres personnes ont été arrêtés préventivement jeudi. Il serait intéressant d’en connaître le nombre, et de s’organiser en conséquence la prochaine fois.

On va pas se laisser intimider, on reste déterminé !

[Paru sur Paris-luttes.info,  le 13 mai 2016]

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Contrôles « préventifs » avant la manif du 12 mai à Paris

Dans la lignée des arrestations préventives déjà signalées sur Paris-Luttes avant la manif du 12 mai, voici un autre témoignage inquiétant d’une montée en puissance de la répression policière en mode « préventif ». Ces cas n’étant pas isolés et bel et bien ciblés, ce texte pose la question de l’existence d’autres situations similaires et de la riposte à envisager.

En début d’après-midi, comme depuis le commencement du mouvement social, je descends de chez moi pour me rendre à la manifestation de 14h…
Lorsque je franchis la porte de mon immeuble, je vois un groupe de policiers en civil posés en terrasse au tabac qui jouxte mon bâtiment. Ils m’appellent par mon prénom puis procèdent à un « controle d’identité préventif » (ce sont les mots du policier). Ils trouvent sur moi des lunettes de piscine, du sérum physiologique, un masque anti-poussière, en soi du matériel « défensif » et non pas les « armes » qu’ils étaient venus chercher. Considérant l’absence d’éléments concluants, ils me laisseront repartir me disant : »le deal c’est qu’on te laisse et que tu ne vas pas à la manifestation », non sans m’infantiliser au maximum en me raccompagnant dans mon immeuble, jusqu’au seuil de ma porte d’appartement…
Au-delà de l’humiliation de me faire contrôler à même la porte de chez moi, de l’image dans le quartier, me viennent des questions.
Notamment : est-ce que d’autres ont subi le même type de contrôle ?
J’ai par exemple aperçu qu’un des flics avait en sa possession un dossier avec photos…
Comment riposter ?

Un jeune habitué du cortège de tête des manifs parisiennes

[Paru sur Paris-luttes.info,  le 14 mai 2016]

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 Région parisienne : notification d’interdiction de circulation

Samedi 14 mai, je suis chez moi, en banlieue parisienne, et deux flics (visiblement du commissariat local) toquent à la porte.

Il veulent me donner une notification d’interdiction de circulation dans certaines rues de Paris. Étant donné que je leur dis tout de suite que je refuse de signer, ils ne me font pas lire la paperasse et je ne sais pas de quelles rues il s’agit, ni pour quelle période (mais c’est très probablement lié aux récentes manifestations – et bien sûr autorisé par les mesures de l’État d’urgence). De toute façon la seule chose à faire pour moi, est de me foutre totalement de leurs interdits.
Ma participation à la manif’ du jeudi 12 est un fait établi pour les flics : avec un autre compagnon, nous avons été contrôlés peu après être sortis du métro Vavin. Est-ce que c’est pour cela ? Le contrôle s’est « bien » soldé, c’est-à-dire qu’ils ont juste piqué une bombe de peinture. Ou parce que je suis connu comme un anarchiste revendiqué ? Je ne sais pas, et franchement je me fous un peu de ça aussi.

Contre l’État, toujours.

[Paru sur Indymedia Nantes,  le 14 mai 2016]

un exemple de ces arrêtés :

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[Bruxelles] Report de la décision de la chambre du conseil

Bruxelles – Le 10 mai avait donc lieu la chambre du conseil qui devait statuer sur la tenue d’un procès en anti-terrorisme à l’encontre de douze anarchistes.

Celle-ci aura tourné court, la juge ayant soulevé la question de la langue dans laquelle devrait se passer cet éventuel procès.
En effet, l’ensemble des potentielles inculpées n’avait rien déclarer lors de leurs auditions, mais une majorité d’entre elles n’avaient rien déclarer… en néerlandais ! Or la procédure avait été poursuivie en français…
Ne sachant pas comment régler ce « problème » sur le moment, la chambre du conseil a donc été reportée.
Aucune nouvelle date n’a été fixée pour le moment.

Voilà donc les inculpées entrées de plain-pied dans une nouvelle phase de la « temporalité judiciaire ».
Pourtant, il nous appartient de garder un oeil sur cette histoire – sans alarmisme ni catastrophisme – pour ne pas laisser la justice faire son travail sournoisement sans qu’il n’y ait de solidarité démontrée envers ces compagnonnes.

Par ailleurs, si les faits reprochés datent d’il y a quelques années, le monde lui n’a pas tant changé et il est toujours temps de se révolter !
Que ça soit suite aux révoltes dans les prisons qui se déroulent en ce moment-même, à l’affront qu’est la loi dite des « 45 heures », aux mouvements de contestations dans les centres fermés, aux conditions de vies de plus en plus dures ou aux humiliations quotidiennes imposées par la bonne morale… Ce ne sont pas les raisons ni les possibilités qui manquent.

Solidarité dans la lutte.

[Publié Indymedia Bruxelles, le 13 mai 2016]

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[Bruxelles] La solidarité en pratique face à la Justice

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La solidarité en pratique face à la Justice (Biblibre, 10 mai 2016)

Ce mardi 10 mai, la chambre du conseil décidera de la tenue – ou non – d’un procès anti-terroriste contre des anarchistes en Belgique. Cette date n’est qu’une étape supplémentaire dans le processus répressif mis en place par l’Etat belge à l’encontre de ceux qui mettent en question son existence… un bon prétexte pour se réunir, et tenter de poser des jalons pour mettre en place une dynamique bien nécessaire : la solidarité. En commençant tout simplement par se demander ce que signifie pour nous ce joli mot si souvent prononcé…

Quel est l’objectif concret de la solidarité ? à qui s’adresse-t-elle ? aux compagnons inculpés ? au “monde militant” ? à “l’opinion publique” ? aux politiciens ? aux juges ? est-ce qu’elle vise à infléchir le verdict d’une manière ou d’une autre, ou à renforcer les luttes et les réseaux anti-autoritaires ?

Est-on solidaire de personnes, des idées qu’elles portent, ou des actes qu’elles posent ?

Quel lien maintenir entre les inculpés et les différentes initiatives ? Comment les différentes réponses des inculpés, de leurs soutiens et de ceux qui se sentent solidaires face à la répression peuvent se renforcer ?

Rendez-vous le 10 mai à 19h pour en parler !

Autrement, la BibLibre est ouverte tous les mardis de 17h à 21h. – 131 Avenue Buyl à Ixelles – labiblibre.noblogs.org

[Repris de la lime – caisse de solidarité]

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11 mai 2016 – Resto de soutien à L’Eau Chaude (Bruxelles) resto-de-soutien

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[Bruxelles] Des anarchistes en procès pour « terrorisme »

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Des anarchistes en procès pour « terrorisme » –
rencontre mercredi 4 mai 2016 à 19h au Garcia Lorca
Rue des Foulons 47 – Bruxelles

Ce mardi 10 mai 2016, la Chambre du Conseil décidera si elle juge opportun de confirmer la tenue d’un procès pour terrorisme à l’encontre de 12 anarchistes et anti-autoritaires.

De 2008 à 2014, l’État belge a mené une vaste enquête visant les luttes multi-formes, mais toujours en dehors des sentiers battus, contre les centres fermés, les frontières, les prisons et ce monde basé sur l’autorité et l’exploitation. Perquisitions, micros, caméras devant et à l’intérieur de domiciles, filatures, mises sur écoute, infiltrations, … Ce ne sont pas les moyens qui ont manqué. Après tant d’années d’enquête, l’État cherche aujourd’hui donc à coller l’étiquette « terroriste » sur les potentiels inculpés. Mais en fait, il cible tout individu qui, dans sa lutte contre ce monde, part de l’auto-organisation, de l’action directe et de l’hostilité envers toutes les autorités. En cela, ce procès est une attaque répressive contre la lutte anti-autoritaire dans son ensemble, une attaque qui s’inscrit dans un contexte de répression grandissante contre tous les indésirables et révoltés, aux frontières et dans les quartiers, sur les lieux de travail et dans les prisons, …

Nous proposons un moment de rencontre pour :
• diffuser l’info et jeter les bases pour une solidarité active
• tenter de comprendre les tenants et les aboutissants de ce dossier et voir comment celui-ci ne s’attaque pas uniquement aux seuls inculpés
• reparler des luttes incriminées
• et, réfléchir à quelles réponses on peut donner à ce coup répressif.

Mercredi 4 mai 2016
19h, au Garcia Lorca
Rue des Foulons 47 – Bruxelles

Le terroriste c’est l’État et ses concurrents.
Solidarité active !

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A propos du procès antiterroriste à venir contre des anarchistes et des anti-autoritaires en Belgique

Fin 2008, en pleine période d’hostilités diffuses déclenchées par la révolte en Grèce suite à l’assassinat d’Alexis par la police, le Parquet Fédéral belge lance une enquête visant des anarchistes et des anti-autoritaires. En 2010, sur base d’une liste d’actions que la police attribue à la « mouvance anarchiste » et alors que la lutte contre la construction d’un nouveau centre fermé à Steenokkerzeel se fraye un chemin, la juge d’instruction Isabelle Panou est affectée à l’enquête qui relève désormais de l’antiterrorisme. En mai, puis en septembre 2013, une dizaine de perquisitions ont lieu dans le cadre de cette enquête, ces perquisitions visent différents domiciles ainsi que la bibliothèque anarchiste Acrata située à Bruxelles. C’est à cette occasion que l’existence d’une enquête antiterroriste se donne à voir pour la première fois. Cette enquête est menée par la section antiterroriste de la police judiciaire fédérale qui se retrouvera épaulée tantôt par la Sûreté de l’État, tantôt par le Service Général du Renseignement et de la Sécurité de l’armée ainsi que par différents services anti-terroristes d’autres pays européens. C’est en 2014 que l’enquête est close, aboutissant aujourd’hui au renvoi devant la Chambre du Conseil de douze anarchistes et anti-autoritaires.

Après une séance de légalisation des méthodes particulières de recherche utilisées dans le cadre de cette enquête (filatures, écoutes téléphoniques, placement de microphones dans un domicile, perquisitions en cachette, tentatives d’infiltration, placement de dispositifs de vidéo-surveillance devant des domiciles et à l’intérieur d’un domicile) en octobre 2015, le dossier est renvoyé devant la Chambre du Conseil. La séance de cette Chambre est fixée pour le 10 mai 2016 et déterminera s’il y a lieu de confirmer la tenue d’un procès et, si oui, sous quelles accusations.

De son enquête, le Parquet Fédéral s’est efforcé de tirer pas moins de 29 inculpations individualisées. Neuf compagnons sont accusés d’appartenance à une organisation terroriste et de participation à des activités terroristes pendant des périodes plus ou moins longues. Trois d’entre eux sont en plus accusés d’en être les « dirigeants ». Par ailleurs, trois autres personnes ayant été arrêtées dans la foulée d’une attaque contre le commissariat des Marolles sont quant à elles accusées d’appartenance à ce groupe terroriste pendant un jour, ainsi que des différentes inculpations se rapportant à cette attaque. Ça c’est pour l’accusation générale.

Celle-ci est ensuite complétée par des accusations plus spécifiques telles que participation à une manifestation sauvage devant le centre fermé 127bis à Steenokkerzeel (transformée en « tentative d’incendie volontaire » et d « ’infraction terroriste » par le parquet), préparation et participation à une attaque contre le commissariat de police dans les Marolles (qualifiée par le parquet d’ « infraction terroriste »), coups et blessures sur des agents de police à plusieurs reprises, obstruction de la voie publique, dégradations diverses et variées, vols à l’étalage, incendie de voitures de gardiens de prison sur le parking de la prison de Ittre, incitation à commettre des infractions terroristes… Il est à préciser que ces accusations spécifiques visent à chaque fois des compagnons spécifiques, c’est-à-dire que tout le monde n’est pas inculpé pour l’ensemble des faits reprochés.

En arrière-plan de cette enquête qui a duré plusieurs années et qui a produit pas moins de 32 cartons de paperasses, le Parquet Fédéral émet l’hypothèse qu’un « groupe anarchiste terroriste » serait actif, notamment à Bruxelles, et que les inculpés auraient « participé à » ou « favorisé » ces activités. Il dresse par exemple une longue liste d’une 150-aine d’attaques, dont une bonne partie incendiaires, contre des structures de la domination, des commissariats, des tribunaux, des banques, des entreprises qui se font du beurre sur le dos de l’enfermement, des chantiers, des véhicules de diplomates, d’eurocrates et de fonctionnaires de l’OTAN, des antennes de téléphonie mobile,… Toutes ces attaques ont eu lieu à Bruxelles et dans ses environs entre 2008 et 2013.

L’invention d’un groupe terroriste qui serait responsable de l’ensemble de ces faits (ne serait ce que par le fait de « les avoir rendus possibles ») permet de jolies pirouettes servant l’accusation : une bibliothèque devient un lieu de recrutement, des discussions deviennent des réunions clandestines, des tracts et des journaux de critique anarchiste deviennent des manuels de guérilla urbaine, des manifs et des rassemblements deviennent des appels au terrorisme, des liens affinitaires entre des personnes en lutte et l’auto-organisation qui peut en découler deviennent « un groupe terroriste structuré ». L’invention d’un « groupe terroriste anarchiste » est bien évidemment une tentative assez maladroite de la part de l’État de réduire la subversion anti-autoritaire et révolutionnaire à l’œuvre d’un seul « groupe structuré ». En tentant de mettre derrière les barreaux une poignée d’anarchistes qui dérangent, l’État cherche à décourager les réfractaires à passer à l’action directe contre ce qui nous opprime et exploite et d’imposer un silence absolu aux désirs, possibilités, réflexions et critiques qui s’affrontent à ce monde autoritaire.

Ce qui est renvoyé devant le tribunal, c’est donc toute une mosaïque de luttes, de révoltes, d’idées, d’actions directes, de critiques, d’imaginaires révolutionnaires, d’agitations qui ont, pendant des années, cherché à s’attaquer à la domination. En cela, l’éventuel procès concerne non seulement les compagnons inculpés, mais aussi tout individu, tout anarchiste, tout révolutionnaire, tout réfractaire à l’ordre, tout insoumis à l’autorité qui ne veut pas rester les bras croisés devant l’exploitation et l’oppression. Ce qui est visé, c’est la recherche de l’autonomie dans l’action, l’auto-organisation dans la lutte, l’action directe dans toute sa diversité, le choix de défendre et de diffuser des idées anarchistes et révolutionnaires, de participer ensemble avec d’autres révoltés à des combats auto-organisés et autonomes. Et finalement, sans doute, une approche combative de l’anarchisme qui part de l’individu, de l’affinité, de l’informalité.

Il serait étrange de séparer la répression qui vise aujourd’hui quelques anarchistes et anti-autoritaires de l’ensemble de la répression qui cherche à mater (souvent préventivement) toute critique de l’ordre établi et la révolte. A coups de « menaces terroristes », de crise de réfugiés, de lutte contre la criminalité et de guerres bien réelles, la répression étatique passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Dans une période où les changements et les restructurations viennent toujours plus rapidement modifier les terrains de la conflictualité sociale, neutraliser ceux qui dérangent par leur pensée et leurs actes fait partie d’un ensemble qui cible les exploités et les opprimés : le durcissement des conditions de survie, la militarisation des frontières, l’imposition d’un contrôle technologique massif, la construction de nouveaux camps de détention,…

Se défendre contre ce coup répressif qui veut renvoyer des compagnons devant un tribunal sous des accusations de terrorisme, c’est défendre la possibilité et l’espace de l’agir anarchiste et anti-autoritaire. Et, par la solidarité avec les compagnons inculpés, faire face à la répression étatique qui vise à paralyser toute action subversive.

Si se battre pour la liberté est un crime, l’innocence serait vraiment le pire de tout.

avril 2016

Téléchargez ici ce texte en PDF.

Plus d’infos et contact…

La Lime
Caisse de solidarité bruxelloise
lalime@riseup.net
http://lalime.noblogs.org
Réunion chaque premier lundi du mois à 19h30 à Acrata

Acrata
bibliothèque anarchiste
acrata@post.com
https://acratabxl.wordpress.com/
Rue de la Grande Ile 32 – Bruxelles

[Repris de La Cavaleici et ]

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